Durant l’été 2012, TMZ met en ligne la vidéo d’une déposition de Lil Wayne. Un avocat lui pose une série de questions inoffensives, pour confirmer les détails d’un dossier. Avachi sur une table, une capuche enfoncée jusque sur ses paupières, l’apparente placidité du rappeur cache mal un volcan intérieur de haine, prêt à entrer en éruption à chaque instant. Et Dwayne, visiblement rodé à l’exercice, s’amuse avec les codes hyper rigides de ce genre d’entretien, comme pour mieux en souligner le ridicule. Agacé, il finit par entrecouper absolument chaque mot prononcé par son interlocuteur d’un « je ne sais pas. »
« Quelle image de vous dépeignez-vous dans les médias ? – Je ne dépeins rien, je suis qui je suis. Dwayne Michael Carter Jr. »
Hors caméra, le Juge lui demande de faire un effort pour répondre aux questions. Sans le quitter des yeux, Weezy glisse à l’avocat face à lui « Il ne peut pas te protéger dans le monde réel. – Est-ce une menace Mr. Carter ? – Non je me parle à moi-même. Il ne peut pas te protéger. – Pardon ? – Désolé, c’est mon inconscient qui parle. »
Six ans plus tôt, la police de New York contrôle inopinément le bus de Lil Wayne après un concert au Beacon Theatre. Ils y trouvent le rappeur et un ami en train de fumer un joint d’herbe. Et une arme à feu, enregistrée au nom du manager de Wayne, mais rangée dans un sac de sport appartenant à l’artiste. Dans un pays où la consommation de marijuana tend de plus en plus à être légalisée, et où chaque fermier possède son .22 long rifle, Dwayne Michael Carter Jr. est condamné à un an de prison ferme pour possession de drogue douce et d’une arme à feu.
En juin 2008, son ascension est enfin terminée et pendant quelques minutes Lil Wayne est sur le toit du monde. Son opus magnus Tha Carter III vient d’arriver dans les bacs, et s’écoule à plus d’un million d’exemplaires en quelques jours seulement. Cet instant où l’Univers entier est pendu à ses lèvres, Lil Wayne choisit de l’utiliser pour pointer du doigt l’absurdité et la malhonnêteté du système. La conclusion de l’album est un morceau fleuve de 9 minutes et 52 secondes où après trois minutes de freestyle, Lil Wayne s’allume une cigarette avant de partir dans un long monologue. Une bouteille lancée à l’Humanité en général, à l’Amérique en particulier, renfermant sa démonstration de la cruauté de la justice.
Si un américain sur mille passe par la case prison, le chiffre passe à un sur neuf ramené aux seuls afro-américains. La somme d’argent dépensée pour maintenir une personne enfermée est supérieure à ce qu’il aurait fallu pour l’envoyer à l’université. Les lois sont nettement plus sévères avec les drogues de pauvres qu’avec les drogues de riches, créant une forme de priorité qui amène la police à harceler d’avantage les ghettos que les banlieues huppées.
« Pourquoi ? La réponse ne m’intéresse pas vraiment. Je crois qu’on ne se comprend pas. »
Lil Wayne n’a connu aucun traitement de faveur et ressort brisé par son séjour à Riker Island. Dans ses mémoires de prisonnier, il raconte sa peur des autres détenus, sa peur de rapper devant eux, ses longues discussions pour ramener à la raison les suicidaires, il se souvient avoir manqué les premiers pas de son fils, et ce tout premier « papa » entendu à travers le téléphone de la prison.
Privé de studio pour enregistrer ce qui pousse à l’infini dans sa tête, Wayne est obligé de coucher ses textes sur papier, ce qu’il n’avait plus fait depuis plus de cinq ans. Comme si son imagination s’en retrouvait bridée, à sa sortie, il ne sera plus jamais le rappeur qu’il a été.
Le 18 juillet 2010, B.G. est condamné à 14 ans de prison ferme pour port d’arme, dans ce même pays où chaque fermier possède son .22 long rifle. Mais son passé d’héroïnomane a laissé des traces dans son casier judiciaire, et même devenu sobre, B.G. n’avait plus tous ses droits.
Cinq ans plus tard, Lil Wayne continue de peindre un tableau apocalyptique de l’Amérique. Son monde intérieur est un champ de mine, et debout dans les ruines laissées par Katrina, il tend à son pays un verre en plastique rouge dans lequel il essore son cœur.
« Demain, serais-je mort ou en prison ? »
Les étoiles du drapeau américain ne brillent plus pour le President Carter, qui se pose en observateur extérieur, presque extra-terrestre. « Assis sur le monde, j’ai la vie dans le creux de ma main ». A cheval sur leurs têtes nucléaires comme le Baron de Münchhausen, il dit observer les guerres que se déclarent entre eux les gorilles en costume. On ne sait pas bien s’il déteste la justice, le président, l’Amérique ou l’humanité tout entière.
Depuis Katrina et Riker Island, Lil Wayne s’est lentement et progressivement retiré du monde pour s’isoler là haut, dans sa tête.
illustration : Hector de la Vallée