Dans la révélation de Daniel, épisode biblique qui inspire le titre, la pochette et le thème de Feet Of Clay, Earl n’aimerait pas être pris pour the goat. Contrairement à ceux qui lisent ici les initiales de greatest of all time, il a choisi d’être the aries, le bélier à cornes biscornues qui observe l’effondrement du monde.
Il commence à rapper alors que la première seconde de son album n’est pas entièrement terminée. Une ouverture abrupte, et Feet Of Clay nous tombe sur la gueule comme un bout de Some Rap Songs resté collé au plafond. Ses phrases courtes coulent dans un entremêlement de textures organiques et de cliquetis métalliques. D’une goutte de ce mélange, il anéanti les artistes factices, les auditeurs débiles, les faux prophètes, exterminés par ses petites sentences dont le côté codé et nébuleux ne rend que plus fortes.
Il est toujours autant misanthrope, mais Earl n’a jamais été aussi sûr, voir imbu de lui-même. Certainement marqué par le l’afro-pessimisme crépusculaire de billy woods et Elucid, ou par l’extrême répugnance pour l’autre de Mach-Hommy et son souhait de 93 millions d’hectars d’espace personel, Earl réévalue les états d’âme qu’il partage depuis plusieurs années : dans un monde malade, ceux pour qui tout va bien sont soit fous soit à abattre, ce sont les mal intégrés et les parias qui ont raison.
Une lueur perdure chez Earl Sweatshirt, quelque chose qui se dégage de la manière dont il bricole le son comme une matière, comme de la glaise à sculpter. Il produit lui-même la majorité de FOC, et profite d’avoir les mains sur les machines pour leur faire dire autant de choses que ses textes. Dans l’emboitement des échantillons, dans les découpages qui rembobinent ou zappent d’un fragment à l’autre, percent des rayons qui rendent les raideurs flexibles, et les ténèbres supportables – des flashbacks flous qui laissent une impression évidente, bizarrement agréable, l’impression que l’on pli mais ne se brise pas.
illustration : Hector de la Vallée