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En décembre 2011 Gucci Mane sortait de prison pour la énième fois. Dans l’établissement pénitencier du comté de Fulton en Géorgie, où il a passé près de la moitié de son temps ces dix dernières années, il est devenu une figure familière :
« Ca fait plus de 10 fois que je suis enfermé ici, je sais comment gérer la chose » ; « Beaucoup de jeunes détenus viennent me voir parce qu’ils ne savent pas quoi faire, où aller. » ; « Je les invite à penser à ce qu’ils pourraient faire de positif en sortant. »
Ces longs mois passés en prison, Gucci Mane les occupe à lire et à écrire, ce qui explique sans doute sa capacité à littéralement inonder le marché de centaines de couplets par an. Ainsi, en 2011, et alors qu’il n’a été « en liberté » que 2 mois et demi sur 12, il a trouvé le moyen de sortir pas moins de 8 albums. Et s’il se contente parfois de recycler d’anciens couplets ou de jouer son personnage comme s’il utilisait un générateur automatique de Gucci Manières, il lui arrive encore d’avoir des petits moments de grâce… même si le mot peut prêter à sourire étant donné l’apparente lourdeur du larron.
Il est compliqué de parler objectivement de musique, et c’est une difficulté qui semble se décupler avec Gucci Mane. Rares sont les rappeurs ayant autant attirés les jugements aussi péremptoires et, paradoxalement, demandant systématiquement à être expliqués ; parce que dans une discussion sur Gucci Mane, vous aurez toujours tort de dire qu’il est mauvais, et serez toujours suspect si vous le trouvez génial.
Cela découlent directement de son personnage : à priori outrancier, lourd, jamais dans la nuance. Alors, avant de parler de sa musique, il faut peut être d’abord parler de lui ; parce qu’après tout, il n’est jamais question d’autre chose que de lui dans ses chansons.
Premières années en Alabama
12 février 1980, nous sommes dans le sud de Santa Fe, plus exactement dans le quartier haute sécurité d’un pénitencier du Nouveau Mexique. Dans les cellules les prisonniers dorment les uns sur les autres, le nombre de places prévues ayant été depuis longtemps largement dépassé. De fait, le dernier prisonnier, entré ce matin là, était le 1 136ème, pour un secteur qui ne comptait même pas 900 places. On ne saura jamais si c’est l’arrivée de cet ultime renfort qui donnera la force aux détenus de se révolter, et d’entamer ce qui reste encore aujourd’hui une des révoltes de prisonniers les plus violentes de l’histoire des Etats-Unis, ou si c’est le traitement sadique que leur réservaient les gardiens, à base de mind-game les poussant à se retourner les uns contre les autres. Quoi qu’il en soit, et bien que ça n’ait rien à voir, c’est ce matin là, pendant que l’Amérique entière avait les yeux tournés vers ce carnage, qu’en toute discrétion, caché dans une petite clinique du fin fond de l’Alabama, le petit Radric Davis faisait perdre les eaux de sa jeune maman.
On est alors encore bien loin de son futur royaume, la Zone 6 d’Atlanta. Précisément, nous sommes à Birmingham en Alabama et c’est là que Radric, futur Gucci Mane, va passer les neufs premières années de sa vie.
Vivant avec au moins deux frères et une soeur dans une famille monoparentale – et donc avec un unique revenu, soit les variables d’une équation très répandue dans le Sud et ailleurs- on peut imaginer que son quotidien est celui de millions d’américains pauvres.
En entrant à l’école, Radric amène dans son petit cartable tous les stigmates de cette situation économique et sociale.
D’un côté, son fort accent du sud couplé à sa légère dyslexie ne l’aident pas à s’exprimer dans une langue valorisée par l’école, et pour cela ses professeurs ne cesseront de lui répéter qu’il ne sait même pas parler anglais.
De l’autre, ses camarades en font la cible de moqueries quotidiennes, le petit n’ayant pas de quoi s’acheter les vêtements à la mode. Et tout cela, on peut l’illustrer d’une seule et même ligne de Gucci Mane :
« I neva had shit nigga that’s te truth. Rich kids in the school used to jone my shoes »
Dans une des rares chansons où il parle de son enfance, Gucci Mane évoque les moqueries dont il est l’objet. Mais là où cette phrase devient doublement intéressante c’est quand elle est retranscrite « rich kids in the school used to draw on my shoes » sur absolument tous les sites de lyrics, révélant qu’encore aujourd’hui certains américains ont du mal à comprendre l’argot et l’articulation pataude de Gucci. (To jone = se moquer).
Le petit est très vite abonné aux bagarres et aux vols à l’étalage.
« J’étais un mauvais petit gars noir, mais c’était pas de ma faute. » dit il, en se rappelant que s’il avait gagné une pièce a chaque fois qu’il avait pris part à une baston, il serait devenu riche avant sa dixième année.
Et à l’heure du goûter, pour soigner ses blessures, ce n’est pas avec du lait qu’il accompagne ses morceaux de pain, mais déjà avec le sirop violet. Il n’a pas encore neuf an que Radric a déjà la peau qui gratte, et le visage lourd, très lourd.
A l’époque, la seule figure masculine dans la vie de Radric, c’est son grand-père, de qui il tient son patronyme. Cet homme, aux yeux rougis par la surconsommation d’herbe, a voulu mettre en garde son petit fils, lui dire que s’il ne suit pas la voix des sages et s’entête a répéter les mêmes erreurs, c’est une vie très dure qu’il devra affronter ; « a hard head makes a soft ass » comme dit le proverbe sudiste cher au vieil homme.
Ce conseil, Radric prendra soin de le suivre à la lettre, mais en le comprenant comme il eut envie de le comprendre. Ce n’est peut être pas la « voix des sages » invoquée par son grand-père qu’il suivra… tout du moins pas des mêmes sages.
Enracinement en Zone 6
Hiver 89, il neige sur Atlanta pour accueillir Radric et ses frères et soeur qui viennent d’emménager dans l’Est, là où leur mère a obtenu un poste d’institutrice. La ville est divisée en six zones ; d’abord correspondant à des zones de patrouilles de la police, cette délimitation finira par gagner un autre sens pour les habitants qui se la réapproprieront jusqu’à en faire un élément à part entière de leur identité. Ainsi, quand on se présente entre ATLiens, il est courant de préciser de quelle zone on vient, en particulier pour les habitants des Zones 3 et 6, les plus pauvres et celles au taux de criminalité le plus élevé.
C’est dans la Zone 6 que la famille Davis s’installe et c’est une vraie jungle que décrit Gucci Mane quand il parle de ses premières années là bas ;
« C’était dur, vraiment très rude. Quand on est arrivé c’était la mode des vestes starter, on se les faisait piquer. Et quand on te la volait, on te la prenait avec ta casquette et tes chaussures. Il n’y avait pas de règles dans la rue, des chiens contre des chiens. Si tu ratais ton bus le matin, t’avais intérêt à te déplacer en équipe, sinon au premier coin de rue tu te faisais tomber dessus. »
Rapidement le frère ainé de Radric arrive à se faire remarquer dans le quartier et à devenir populaire grâce à ses talents de basketteur. Radric lui, n’a pas vraiment cette possibilité, étant peu athlétique et simplement pas intéressé. Il lui faudra trouver une autre voie pour se faire remarquer, et c’est alors que lui est apparue la lumière.
Cette lumière, elle ne lui est pas venue des cieux mais des bracelets diamantés de celui qui était à l’époque le Président non élu de la Zone 6. Un homme extrêmement respecté dans la Zone, et parce qu’il déambule dans les rues de son territoire habillé par les plus grands couturiers italiens, on l’y surnomme « Gucci Man », l’homme Gucci. Gucci Man prendra non seulement Radric Davis sous son aile, mais il en fera même son fils, en épousant sa mère.
Le quotidien de Radric prend alors une toute nouvelle tournure. Le voilà non seulement membre d’une famille au complet, mais il peut désormais se faire offrir ce qu’il désire : plus personne pour se moquer de ses paires de Nike toujours neuves ou de ses vestes aux couleurs des Hawks de Dominique Wilkins coutant trois mois du salaire moyen de la Zone 6.
Tout en prenant goût à son nouveau mode de vie, Radric comprend très bien à qui il le doit, ou plutôt à quoi ; à cette poudre blanche dissoute dans le bicarbonate de soude, basée dans les cuisines du Gucci Man. S’il veut préserver ce niveau de bien-être il sait à quoi il va devoir s’en tenir. A moins que…
A la même époque il y a en réalité un second model qui va entrer dans la vie de Radric, quelqu’un chez qui il va retrouver les signes de prospérité portés ostensiblement par son père adoptif. Chaines, bagues en or et costumes italiens, pour le style qui rend un noir suspect aux yeux de la police. S’il se défend de vendre de la drogue et laisse entendre qu’il s’est enrichi avec le commerce des charmes féminins, le fils Davis n’est pas dupe, si Big Daddy Kane peut afficher ces richesses, c’est grâce au rap.
Avec le rap, Radric entrevoie alors un moyen légal de réussir, un moyen surtout moins risqué et dangereux que le deal de crack ; il le voit bien, étant spectateur de la progressive tombée dans l’alcool du Gucci Man, fatigué par la pression de ce business.
Au début des années 90, pendant que les jeunes de son âge s’amusent encore à Galaga, Radric lui, commence à vendre ses premiers sachets d’herbe. Il s’invite alors dans les fêtes du coin pour faire transformer ses pochons en liasses de billets. Si cela lui permet de toucher de l’argent plus rapidement qu’avec le rap, ce n’est pas sans risque et il en fera l’expérience très vite. A 14 ans, alors qu’il est « invité » dans une soirée pour fournir les convives en diverses substances, Radric a le malheur de commencer à boire et à trop s’amuser. Les organisateurs sont obligés d’appeler la police pour le faire partir. Etant retrouvé avec les poches pleines de produits, les choses sont un peu compliquées avec la police. Pour la première fois de sa vie Radric Davis enfile des menottes, et si cela amuse le Gucci Man, qui voit son fils adoptif passer par une étape qu’il estime nécessaire pour devenir un vrai débrouillard, cette incarcération attriste énormément la mère.
A sa sortie, peut être dans le but de ne plus avoir à décevoir sa mère un jour, Radric Davis se met à rêver d’une vie où il ne pourrait vivre que du rap. Ce sera l’objectif qu’il se donnera dès ses 15 ans… Mais la route étant longue et parce qu’il faut bien faire cet argent en attendant, c’est d’abord dans la cuisson du bicarbonate de soude et la vente de poulets (chicken = kilo de cocaïne en argot américain) qu’il se lancera corps et âme.
Big Gucci Mane
Le meilleur témoignage de ce qu’il se passera durant cette période dans les cuisines de Radric Davis, il se trouve dans ses raps. Progressivement, en parallèle du trafic, il s’est en effet offert une renaissance: Radric Davis est devenu Big Gucci Mane, un nom porté en hommage a ses deux mentors et symbolisant chacune des faces de sa double personnalité ; Gucci Man le hustler et Big Daddy Kane le rappeur.
On peut le dire tout de suite, même s’il n’a pas manqué d’opportunités, Gucci Mane n’est jamais complètement sorti de la rue, et ce mode de vie, celui d’un dealer de coke, c’est une des seules choses dont il a envie de parler. Et même s’il a probablement arrêté aux alentours de l’an 2000 d’être un dealer à plein temps, il a toujours gardé un pied dans ce milieu pour en rester un des narrateurs certifiés.
Son premier disque, ‘La Flare’, sort en 2001 chez Str8 Drop record. Une rareté, ayant été tirée à 1 000 exemplaires, que peu de gens ont entendu à l’époque. C’est 4 ans plus tard, après avoir travaillé ses gammes entre deux casseroles sur le feu, avec quelques morceaux qui font du bruit localement comme ‘Black Tee’, et quelques passages en prison pour trafic de cocaïne, qu’il sort son véritable premier album : ‘Trap House’.
Difficile de mentir sur la marchandise, c’est étiqueté dessus. Avec cet album Gucci Mane nous fait avant tout visiter ses cuisines pour s’exercer à un genre déjà bien connu à Atlanta, la Trap Music. Avec ses propres codes, décors, références, ce sous genre venait juste d’obtenir une reconnaissance nationale avec l’émergence d’artistes comme T.I. ou Young Jeezy. Il s’agit de faire de la musique à destination des trafiquants de drogues de toutes tailles, de leur fournir le fond sonore de leurs activités, de quoi les motiver et les inspirer pendant qu’ils cuisinent ou effectuent une transaction.
Il ne faut pas deux minutes d’écoute de cet album pour percevoir ce qui différencie Gucci Mane des autres trappeurs.
« I stay High like girafe pussy in my trap house » ; « Money long like Shaq feet »
Les comparaisons sont farfelues, dans un décor qui reste on ne peut plus réel et sérieux. Gucci Mane n’est pas un clown, et s’il est bien habité par un semblant de folie douce, il n’en demeure pas moins un truand armé et dangereux. De ce mélange de figures à priori débiles pour décrire un univers dur et violent, il crée l’impression d’être un personnage de dessin animé ou de BD qui aurait pris vie dans le monde réel.
Alors, ce qui est souvent perçu comme dérangeant dans la Trap Music s’en trouve décuplé, comme grossi à travers un miroir déformant : parler d’activités illégales, de comment on peut s’y épanouir, en tirer une fierté et surtout, sans jamais en éprouver le moindre remords, que ce soit vis à vis de sa communauté ou, pire, vis à vis de Dieu ; sur tout ça, Gucci Mane fait encore moins de concessions que les autres. Dès lors, difficile de savoir s’il est un génie du crime avec un plan ou si c’est un fou lâché dans la nature et branché sur le mode random. Un point pour lequel il rappelle déjà le Joker de The Dark Knight. Et quelle que soit la solution que vous ayez choisie pour l’appréhender, il y a cette récurrence : Gucci Mane n’a pas de limite, et qu’il soit fou, génial ou les deux, le « personnage Gucci Mane » est inarrêtable, incontrôlable, tout en étant pourtant tout à fait réel.
Pour dessiner ce personnage, Gucci Mane possède des armes bien à lui : un flow saccadé, étalé avec nonchalance, et des intonations et prononciations qui lui sont très personnelles. Le défaut de prononciation qui à l’école causait des problèmes à Radric Davis, Gucci Mane a su l’utiliser pour venir parachever le « Gucci Flow », et en faire une arme musicale. Grâce à son articulation si particulière, Gucci Mane peut souvent donner l’impression d’être à deux doigts du bégaiement ou du fourchement de langue, comme s’il était constamment en train de rapper sur le fil d’un funambule, tout en s’offrant la possibilité de pouvoir versifier avec tout ce qu’il veut, puisque tout devient assonance et allitération une fois passé par la patate chaude qu’il semble garder constamment dans la bouche.
Le « Gucci Flow » évoluera avec le temps, développant de nouvelles armes pour devenir une véritable artillerie. On pense évidemment aux onomatopées que Gucci utilisera de plus en plus pour habiller ses phrases, mais aussi au double-temps qu’il développera aux alentours des années 2008, souvent considérées comme son apogée en terme de rap.
Sa carrière, il la débutera entouré des parfaits partenaires à la production. Avec des mélodies faites de notes de synthé que l’on croirait aléatoires et improvisées, accompagnées parfois de violons, de bois ou de cuivres, Zaytoven essaie de recréer des équivalents musicaux, tantôt de l’eau qui bout sur le feu, renvoyant à l’ambiance d’une trap house, tantôt d’une brise glacée comme un bonhomme de neige. On retrouve dans les productions de Zaytoven certains éléments de la musique de Shawty Redd, à l’origine de la majorité des beats de Trap House et, à la même époque, producteur attitré d’autres trappeurs comme Young Jeezy. Le résultat colle parfaitement à Gucci Mane, son flow et son personnage, renforçant l’un et l’autre. Zaytoven lui offrira ses premiers morceaux phares : d’abord Icy avec Young Jeezy, puis Street Nigga, Bitch I Might Be et beaucoup d’autres.
A cette époque, aidé par le succès d’Icy et les complications dû à un différent sur les royalties avec Young Jeezy, Gucci Mane a tout pour exploser à l’échelle nationale. Seulement, peu avant la sortie de son premier album studio, ‘Back To The Trap House’, un événement va venir impacter la vie personnelle de Radric Davis, et sans doute venir marquer le premier grand tournant de la carrière de Gucci Mane.
Meurtre, prison et naissance de « Mixtape Gucci »
Le 10 mai 2005, alors que Gucci Mane rentre avec une strip teaseuse pour lui faire écouter quelques chansons, cinq hommes s’invitent par effraction chez la demoiselle. Parmi eux se trouve un dénommé Pookie Loc, wanna be rappeur signé sur CTE. Sa présence peut laisser entendre que cette intrusion est liée aux rapports houleux entre Gucci Mane et le patron de CTE, Young Jeezy, d’autant plus qu’on retrouve parmi ces hommes Kinky B, co-propriétaire du label avec Jeezy. Il y aura beaucoup de versions de l’histoire, et probablement qu’on ne connaitra jamais l’entière vérité : certains parlent d’une tentative de laver l’honneur de Jeezy en venant voler Gucci Mane, d’autres de péripéties liées aux histoires de gangs, Gucci Mane étant souvent considéré comme affilié aux Bloods, alors que Pookie Loc (comme Young Jeezy) est affilié Crips, d’autres disent que la Black Mafia Family serait impliquée… Quelle qu’en soit la raison, le résultat est le même. Pendant que la Strip Teaseuse est tenue en joug par l’un des hommes, Pookie Loc pointe son arme en direction de Gucci. Ce dernier, également armé, dégainera le premier et tuera Pookie.
Au procès, la juge lui reconnaît la situation de légitime défense. Néanmoins, il se dit encore aujourd’hui que Gucci Mane a souffert du manque de suivi psychologique reçu après ce qui reste le meurtre d’un homme. Et s’il a échappé à la prison pour cette histoire, il y passera 6 mois juste après le procès, pour une vieille affaire d’agression d’un patron de club.
Tel Red Hood à sa sortie des cuves de produits chimiques, Gucci Mane ressort plus malin, plus fort, plus doué, de ces épreuves. Après sa libération en janvier 2006, il entame alors un marathon de mixtapes qui prendra fin en 2008 avec un retour en prison.
La première de ces mixtapes reste encore aujourd’hui un de ses meilleurs disques. Parrainé par DJ Burn One, la double cassette ‘Chicken Talk’ résume une bonne partie du meilleur du Gucci Mane passé, présent et futur.
Comparé à ce qu’il offrait sur ses précédents albums, Gucci Mane a progressé à tous les niveaux et entre dans une autre dimension.
La plupart de ses meilleurs partenaires sont là et ses sujets de prédilection sont traités ; de la pure trap music sur les prods de Zaytoven (Chicken Talk), du rap de rue violent en compagnie de Yo Gotti sur un beat menaçant de Drumma Boy (How Hood Is This) aux hymnes mongols sur son amour vrai des bijoux et des voitures (My Chain, Stupid, Giant).
Enfin, il y a ce morceau, 745, un freestyle sur une prod. de DJ Paul et Juicy J, sur lequel Gucci Mane revient sur son affaire de meurtre en légitime défense, analyse avec justesse sa situation vis à vis du rap et évoque son ambition. Sans doute que Gucci Mane voit qu’il a pour l’instant relativement échoué vis à vis de sa volonté d’être un artiste de premier plan, et pour lui les raisons sont claires, elles sont liés à son attachement à la rue, à son mode de vie qu’il ne veut pas renier et à sa réputation de garçon incontrôlable.
« Niggaz scared to sign me cuz I beef too much and they heard that I stay in the Streets too much. »
Pour autant, il n’envisage pas de changer, au contraire il espère atteindre son but (être le numéro 1) par cette voie. Et il l’annonce on ne peut plus clairement, son but est de détrôner le meilleur rappeur vivant à cette époque.
« Beyonce, Oh that’s your fiancé ? Jeezy is the appetizer you’ll be the entrée »
En ambitionnant de s’attaquer à Jay-Z, Gucci Mane vise non seulement le sommet de la pyramide, mais aussi quelqu’un représentant son antithèse. Un rappeur qui pour réussir a complètement laissé derrière lui le milieu des trafiquants de drogues où il aurait évolué dans le passé. Un ‘passé’ qu’il a d’ailleurs toujours évoqué de manière moralement plus acceptable que Gucci Mane, car toujours du point de vue de celui qui a quitté ce milieu, et non sans certains regrets d’en avoir été un acteur, pendant que Gucci le décrit de l’intérieur et sans intention de s’en écarter.
Tentation mainstream
Après cette longue série de mixtapes, qui contient ses hauts, ses bas, ses périodes, ses moments d’incarcération, ses centaines de morceaux et qui mériterait à elle seule un dossier de 10 pages tant elle constitue le véritable noyau dur de sa carrière, la cote de Gucci Mane est au plus haut.
Au sortir de ce qui s’apparente à ses 12 travaux d’Hercule, Gucci Mane est maintenant un rappeur extrêmement respecté, dans sa Zone 6 natale évidemment, mais dans tout Atlanta et aux quatre coins de l’Amérique.
Entre 2008 et 2010 il n’y a pas un rappeur qui n’a pas sa collaboration avec le Gucc’ et des artistes mainstream comme Black Eyed Peas ou Mariah Carey l’invitent sur les remix de leurs singles.
Plus que le grand public, en plus des auditeurs assidus de rap dont il avait déjà le soutien et la reconnaissance, c’est du public ‘branché’, ou peu importe comment il faut l’appeler, que Gucci Mane devient une égérie à cette époque. Les ‘hipsters’ avides de blog mp3 découvrent Gucci Mane, l’écoutent souvent « au second degré » amusés par ses jeux de mots et son personnage tirant vers le cartoon, refoulant son côté criminel ou refusant peut être de croire que ce mec existe vraiment et qu’il est exactement comme dans ses chansons.
En tout cas, Gucci touche un public beaucoup plus large que les fans de rap sous terrain, et son rayonnement lui paraît être assez haut pour retenter l’aventure en major.
Débute alors une collaboration avec Warner Bros, au départ trois albums sont prévus mais seulement deux verront finalement le jour.
En terme de ventes, sans que ce soit une catastrophe, les deux albums ne font pas des scores exceptionnels et le premier des deux ‘The State VS Radric Davis’, qui est de loin le plus réussi, échoue aux portes du disque d’or. Qualitativement, on est loin d’atteindre le meilleur de ce que Gucci a pu offrir sur mixtape. Si ‘The Appeal’ est clairement un album produit à la va-vite, voir raté, car fait de l’addition de morceaux de mixtapes, de featuring mal choisis et de productions de Swizz Beatz, ‘The State VS Radric’ reste un bon album grâce à des morceaux qui marqueront la mythologie de Gucci (Classical, sur lequel il assène une nouvelle pique à Jay-Z, Heavy, Stupid Wild, Lemonade). Et une nouvelle fois Gucci Mane montre qu’il est entièrement conscient de ce qui est son seul obstacle au succès durable, lui même : sur Worst Enemy il revient sur sa personnalité, ce côté feu que lui même semble incapable de contrôler, ses allers-retours en prisons, ses beefs avec T.I. et Young Jeezy… Si cela aurait pu être un premier pas vers la stabilisation de sa carrière, les choses vont en réalité s’empirer, et juste après la mise en vente du premier disque, Gucci Mane retourne encore et encore en prison.
6 mois, puis 6 mois.
A cette époque, il faut croire que Gucci Mane veut démontrer que le puit dans lequel il s’engouffre est sans fond. Non seulement les quelques projets qui germent ne sont pas terribles (Jewelry Collection, The Burrrprint 2) mais une fois libéré, il renchérira une fois encore dans la folie. Le 2 novembre 2010, après à peine 6 mois de liberté, il est arrêté au volant d’un véhicule non assuré, sans permis, alcoolisé, roulant en sens inverse, après avoir, entre autres charges, grillé des feux et détruit du mobilier public : ALL IN.
A son arrestation, ce n’est cette fois pas à la prison qu’il est conduit, mais au service psychiatrique du Grady Memorial Hospital.
L’éternel retour, l’inévitable rechute
Un peu comme le mari pris en flagrant délit d’adultère et qui n’arriverait pour autant pas à s’empêcher la récidive, Gucci Mane sort régulièrement un projet pour marquer son retour au foyer conjugal, c’est à dire au rap de rue pur et dur. Après sa sortie d’hôpital il y eut Return Of Mr.Zone 6, puis plus récemment Trap Back.
S’il a essayé de se fondre dans le système à plusieurs reprises, nous l’avons vu ce fut toujours sans véritable réussite ; alors pour ne plus avoir a céder à cette tentation, après sa dernière escapade, il a lui même construit les murs du piège qui fera de lui l’éternel prisonnier de la Zone 6 : ce fameux tatouage sur le visage, celui qui n’a pas fait couler de l’encre que sur la joue du rappeur bipolaire.
Si en regardant ce tatouage on voit d’abord l’acte d’un homme qui s’est laissé aller à la folie, on peut y voir aussi un geste symbolique, celui de l’abandon de toute ambition nationale. Plus que jamais Gucci Mane devenait ce rappeur qui répugne le grand public. Le street album ‘The Return Of Mr.Zone 6′ mis en vente juste après, vient confirmer un retour vers un rap plus dur, libéré des featuring et des producteurs imposés par une maison de disque qui espérait placer des singles en radio.
Mais l’inévitable arriva, après avoir jeté une femme de sa voiture en marche, Gucci est de nouveau arrêté et emprisonné pour quelques mois… Cette fois, à sa sortie, il promet que ce sera la dernière fois, qu’il est lassé de ses propres débordements et qu’il se concentrera pour ne faire parler de lui que par la musique. Wait and see.
En tout cas, il se pourrait que Radric Davis reprenne du plaisir à rapper. Si Trap Back n’est pas encore un retour au Gucci Mane qui a fait trembler la terre par le passé, il semble poursuivre une dynamique positive déjà entamée avec l’album Free Bricks : Zaytoven, Drumma Boy, Mike Will, Future, 2 Chainz, Rocko, voilà les noms qui devront entourer celui de Gucci dans l’avenir pour qu’il « revienne » vraiment. Et s’il se remet à rapper comme sur ce Show Me, venu de nul part ou presque, alors il y a de bonnes raisons d’être optimiste.
Quelque part, il y a quelque chose de rassurant dans le semi-échec mainstream de Gucci Mane, celui-ci survenant parce qu’il refuse de se débarrasser de ce qui fait sa personnalité et nourrit ses textes. Et qu’il refuse par véritable respect/amour pour son univers, parce qu’il est véritablement fou, ou les deux, cela lui permet en tout cas de poursuivre une carrière cohérente, que ce soit pour le meilleur (Freebricks, The Return Of Mr.Zone 6) ou les pires Guccimaneries (BAYTL en collaboration avec l’ignoble V-Nasty).
Et par delà ça, la musique aura fait de Gucci Mane un homme riche, ce qui est bien le principal. Il est aussi un des rares rappeurs dont la vie entière pourrait être intégrée à l’œuvre artistique, au même titre que les tout autant légendaires Pimp C, Cam’Ron ou Tupac Shakur.
Crédits :
Texte : PureBakingSoda
Illustrations : Hector De La Vallée from Lelacdefeu.fr