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somuchefun

Sur le campus des Universités traditionnellement noires d’Atlanta, des brass bands reprennent des titres rap locaux. Accompagnés par les percussions et les instruments à vent, des étudiants en polos colorés crawlent sur la terre ferme et balancent leurs bras comme pour trouver l’équilibre sur une planche invisible. A la rentrée, ces orchestres joueront peut-être les chansons de Young Thug et Gunna : Hot, pour sa basse liquide qui condense sous la chaleur des cuivres, ou Surf et la fraicheur cartoon de son synthé 16-bits.

Chacun à leur manière, ces deux titres rappellent une époque mal aimée du rap d’Atlanta, située entre Hip-Hop Is Dead et Death Of Autotune, quand d’aucuns trouvaient insolent que des gamins fassent de la musique pour s’amuser. Coincé entre les empruntes de mammouths du crunk et de la trap, le swag rap a pourtant laissé une trace indélébile, en plus de s’inscrire dans une tradition vieille de plusieurs décennies.

Les Fast Life Yungstaz et leur Swag Surfin’, J-Money ou Roscoe Dash ont disparu des discussions mais il n’y aurait sans doute pas de Migos sans Travis Porter, encore moins de Young Thug sans Young Dro & Yung L.A. Les membres de YSL ne passent pour des extraterrestres que si on oublie ce mélange des sous-genres ATLiens, qui rend pop et bon enfant crunk, trap, snap, etc. en les repeignant aux couleurs des Looney Tunes et des jeux Sega. Le but avoué de K.E. On Tha Track comme d’autres producteurs de cette vague, est de faire une musique qui peut sortir des clubs, en y injectant la culture des lycées noirs et de leurs fanfares de cuivres.

Les ad-libs brisent les harmonies, les trompettes et les caisses claires sont militaires, mais l’agressivité crunk et trap a disparu grâce aux mélodies empruntées au rock, au reggae ou au r’n’b. La violence et les armes aussi sont cachées sous les robes et les tenus multicolores. Tout ce qui compte est de pouvoir recréer l’euphorie des fêtes de fin d’année scolaire.

Annoncer que son album allait s’appeler So Much Fun aurait pu être pris pour une provocation. Le fun est précisément ce qu’il a manqué à la musique de Young Thug pendant un an. Apparemment astreint à ne proposer que des titres qui n’ont pas déjà fuité, le Young Thug des sorties officielles n’a été qu’une version papier glacé de lui-même, un automate qui ne s’amuse presque plus.

Appeler l’album ainsi est finalement un moyen d’être transparent sur son contenu et la manière dont il a été enregistré : sans réfléchir, ni chercher à faire une grande œuvre, pour faire une musique immédiatement amusante afin de retrouver l’enthousiasme perdu.

La première conséquence est l’absence du Young Thug crooner, le mélodiste brouilleur de genres du Rich Gang ou de Barter 6. La deuxième est de nous rappeler qu’avant de chercher à mélanger les musiques, Young Thug naviguait entre les micros genres de rap comme les swag surfers, qu’à l’époque d’I Came From Nothing il n’avait pas tellement de différences avec les Rich Kidz, si ce n’est ce qu’il prenait à Lil Wayne.

Hot, Surf, mais aussi What’s The Move, I’m Scared, Light It Up, voire Mannequin Challenge sont orientés trap music, mais quelque chose de la mélodie pop des uns, de la bizarrerie cartoon des autres, de la gaité qui se dégage de tous, rappelle l’époque du futuristic swag, de Black Boy Swag, White Boy Tags et des compilations Space Invaderz de DJ Spinz.

Entre chacun d’eux s’insèrent les riddims trap on ne peut plus génériques, Sup Mate, Ecstasy, Jumped Out The Window, Cartier Gucci Scarf, Pussy. Mais grâce au flair caribéen propre à Young Thug et ses copains, à leurs métaphores et leurs flows à la texture aquatique, les provocations, les menaces et les insultes sont rendues amusantes. Aucun de ces titres n’a la finition de ceux de The WZRD, mais ils n’en ont surtout pas le sérieux. Alors, tous paraissent nettement plus fous et ludiques, that’s krazy but it’s true.

Young Thug se démultiplie pour faire ses chœurs, se recroqueville dans sa gorge pour chercher l’énergie gorille d’Harambe, joue à cache-cache dans les échos et les crevasses des productions, et a toujours un penchant pour l’absurde et l’argot baveux. Il a perdu en imprévisibilité ce qu’il a gagné en technique et en justesse, mais c’est toujours son style qui fait la différence. Jeffery a assez de flows et de vocabulaire en réserve pour ne jamais être redondant, alors qu’il pioche dans son propre répertoire pendant plus d’une heure.

Lil Duke et Gunna sont les meilleurs collaborateurs pour Thugger. Le premier l’a toujours poussé dans le singjaying et les scansions jamaïcaines (With That, Webbie, For My People, Pass Me The Lighter), I Bought Her et Gucci Scarf ne font pas exception, avec une nouvelle métamorphose en Eak-A-Mouse auto-tuné. Le magnétisme de Gunna est autant mystérieux qu’effectif. Sur ses albums, sa musique est à la trap ce que l’exotica est au jazz. Il est un double épuré et easy listening de Young Thug, aux mélodies monotones qui évoquent les flottements marins et fantasment les cultures d’outre-mer en samplant du charango ou du guzengh. Sur So Much Fun, Gunna reste stoïque dans la fournaise, le contraste avec les excentricités de son copain rend leur duo plus intéressant qu’avec d’autres clones.

Surf résume à elle seule les atmosphères qui font le charme de l’album. Son titre réveille le souvenir des danses qui répandaient la joie dans les lycées noirs à l’époque de Jamboree, et quelque chose dans les premières notes fait penser au steelpan du pays d’origine de Jeffery Williams avant qu’un second synthé ne fasse tout basculer dans la Green Hill Zone de Sonic. Ce swag rap caribéen, gumbo d’Atlanta et de Port-Au-Prince qui pourrait aussi servir à décrire Hot ou Cartier Gucci Scarf, est précisément ce qui nous a fait tomber amoureux de Young Thug au début de la décennie.

So Much Fun n’offre ni apprend rien de nouveau, c’est une récréation dont le côté négligeable et léger est à la fois source de fraicheur et de limites. Avec son séquencing foutraque, qui passe aussi par les samples de guitares sèches et les synthétiseurs électriques avec Just How It Is et Circle of Bosses puis I Bought Her et Lil Baby, il est un bordel auquel on n’avait plus été habitué depuis 1017 Thug. C’est d’abord, et surtout, la première fois depuis des mois que Young Thug semble prendre du plaisir et s’amuser en faisant de la musique.

illustration : Hector de la Vallée