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« Nous ne sommes pas les mêmes, je suis un martien » répète-t-il de sa voix rêche et nasillarde comme celle des créatures du film Gremlins. Que Lil Wayne puisse venir d’une autre planète, on n’a aucune peine à le croire. Surtout quand il fait grincer sa gorge plus sèche que la surface de Vénus ou utilise des machines extra-terrestres pour faire naviguer sa voix entre le rap et le chant. Pleine d’excentricités et d’inventions, sa carrière ressemble finalement moins à l’ascension d’une montagne qu’à une conquête spatiale. Il a fait évoluer toute une partie du rap, l’emmenant sur des territoires jusque là inexplorés, perdus entre réalisme et expressionnisme, pour finalement le remodeler à son image.

« Avalez mes mots, goutez mes pensées, et si c’est trop sale, recrachez-les moi au visage. »

La pointe imaginaire de son ciel, après laquelle tout ne peut être que moins haut, arrive dans la série de mixtapes qui encadrent la sortie de ses albums. Sur Da Drought 3, les oiseaux demandent permission pour voler aux côtés de Lil Wayne, qui plane avec les poissons, nage avec les pigeons. Sur la face b de Mr. Jones, l’un des plus grands rappeurs de tous les temps réalise que le « ciel est la limite ». Un message d’espoir pour tous ceux qui l’écoutent, un aveu de faiblesse pour celui qui voulait quitter la Terre et vivre sans bornage.

Après la sortie de Carter III en 2008, Lil Wayne quitte la Cité croissant de Lune et s’installe sous le Soleil de Miami, pour y vivre comme un enfant gâté de presque 30 ans. Ce quotidien de rock star n’a aucune pitié pour son inspiration. Artistiquement, la chute est aussi vertigineuse que l’ascension fut stratosphérique. L’attraction terrestre est implacable, à jouer la comète on finit par s’écraser.

Dix ans après la sortie des premiers Carter, il est facile d’en observer l’impact sur le rap et la pop music en général. Dans la foulée du III par exemple, Kanye West écrit 808s & Heartbreak, un album marqué par l’utilisation mélancolique du logiciel de transformation vocal auto-tune, démocratisée par Lil Wayne.

Les bizarreries pop et le rap imagé de Wayne influencent surtout la génération d’artistes arrivée après lui. Des façons d’écrire aux impressions de légèreté laissées par le choix de productions éthérées, l’ADN artistique de Lil Wayne se retrouve aujourd’hui dans la musique de rappeurs qui occupent le devant de la scène tels que Drake ou Future. Mais dans cet amas stellaire, ce sont deux autres proto-étoiles qui semblent les plus à même de briller comme Dwayne Carter.

« E.T. téléphone maison, parti pour longtemps, car mes cônes sont puissants. Et je hais les clones, renvoyez-les chez eux ou j’en place deux dans leur dôme. » Young Thug

« Je pourrais décoller, laisser ces cul-terreux et partir pour Vénus, j’suis une étoile qui porte un neutron sur le riquiqui (…) Sur Uranus, je crois avoir vu le démon. Je pensais l’avoir laissé en cellule, je dois rêver. » Kodak Black

illustration : Hector de la Vallée