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Plutôt que de proposer un top 10, 5 ou 100 de mes disques préférés de l’année, je vais essayer de revenir chaque semaine sur l’un d’entre eux, en privilégiant ceux dont je n’ai pas déjà parlé ou qui sont passés trop inaperçus à mon goût. Je commence avec le premier album du rappeur d’Huntsville Kristmas.

Avec ce premier album, Kristmas nous fait une parfaite présentation de lui-même, de sa vie et de son univers. Un quotidien rythmé non pas par la cuisson de bicarbonate de soude mais partagé entre un emploi salarié, le studio et les bars d’Huntsville. Une condition qu’il évoque sans jamais tomber dans la complainte larmoyante : Kristmas est fier d’être « working man », de la même manière que beaucoup sont fiers d’être des « trap boys ».

Originaire d’Huntsville et membre de l’équipe Slow Motion Soundz (PRG’z, G-Side, etc.), celui qui officie aussi au sein du groupe DB49 bénéficie du travail des producteurs du coin, les Block Beattaz en tête, dont le talent n’est j’espère plus à prouver.

On retrouve donc sur W2 Boy les envolées instrumentales et les ambiances nuageuses typiques des albums du SMS, servant des textes marqués par l’appartenance sociale de Kristmas… dans la plus pure tradition d’un rap du sud que le grand public se borne à ignorer.

Mais cet album est tellement marqué par la vie et la personnalité de son auteur que le mieux pour en parler, reste de lui poser quelques questions…

Peux tu te présenter en deux mots ?

Je suis Kristmas alias le gros le plus frais de la planète, le roi de la coordination, W2 boy, voix de la main d’œuvre, le roi des comptoirs de bar, etc… haha !

Comment est-ce qu’on grandit dans une ville comme Huntsville ? 

En fait je n’ai pas grandi à Huntsville. J’ai grandi dans une toute petite ville de l’Alabama qui s’appelle Shorter. C’est à presque 3 heures au sud d’Huntsville. Pas de lumière dans les rues, beaucoup de routes cabossées et une population de peut être 1 000 personnes. C’est extrêmement rural et toutes les activités se trouvent en dehors de la ville… On y a pas eu la télé par cable avant 1994!

J’en suis pas fier mais je me rappelle avoir été viré en 5ème (7th grade) de l’école parce que j’avais bu… Dès le CM1, CM2 (4th grade, 5th grade) on regardait des pornos pour s’en inspirer peu de temps après… En fait, si le Sud se développe lentement, nous on grandissait très vite !

Comment s’est faite ta découverte du rap ? D’abord en tant qu’auditeur.

En fait j’ai une sœur qui a 10 ans de plus que moi, donc ma rencontre avec le rap s’est faite avec Children’s Story de Slick Rick, The Ghetto de Too $hort, Run D.M.C., Big Daddy Kane, Kool Mo Dee, ou bien 2 Live Crew, LL Cool J… Dans le même temps mes parents étaient fans de Blues, donc ça s’est mélangé avec Al Green, Otis Redding, Sam Cooke, BB King, Isley Brothers. On peut rajouter un peu de gospel là dedans parce que j’allais à l’église… ce sont vraiment les bases des musiques qui m’ont influencées.

La première fois que j’ai acheté une cassette, je devais avoir 11 ans. Je m’étais inscris en cachette à « Columbia House » qui te permettait à l’inscription d’avoir 11 Cds gratuits, puis après quand t’en achetais 2, d’en avoir 3 gratuits ou un truc comme ça ! Du coup, mes 11 premiers CDs c’étaient Ready To Die, le premier Ol’ Dirty Bastard, 36 Chambers du Wu-Tang, l’album des Gravediggaz, Smoove Da Hustler, Craig Mack, Aaliyah et je me rappelle pas du reste. Je me suis bien fait botter le cul à cause de cette commande, mais c’était un sacrifice acceptable tellement j’aimais cette musique !

Et quand est-ce que tu t’es dis que toi aussi tu voulais être rappeur ? Tu peux nous raconter comment tout à commencé, jusqu’à la rencontre avec les gars de SMS, DB49, etc. 

J’apprenais par cœur tous les textes de rap que j’entendais. J’écoutais la cassette, je mettais pause, j’écrivais ce que j’avais entendu, et ce jusqu’à avoir tout le texte. Après je relançais la chanson et je rappais par dessus en me prenant pour le rappeur.

Le premier rap que j’ai écris c’était pour un devoir d’été. C’était sur les dangers du sexe non protégé, les MST, le SIDA et… ouais, j’avais que 9 ans… Mais on a grandit tellement vite qu’il fallait qu’on soit au courant de ces choses très vite. Je crois qu’il y a toujours eu une part de « conscience » dans ma musique… Après j’ai rappé autant que je le pouvais, de la primaire jusqu’au lycée, et bien avant que ce soit vraiment à la mode.

Quand j’ai commencé, je voulais être un mélange de Kool Moe Dee, Slick Rick et Big Daddy Kane. Pour moi, ils représentaient la classe en personne. Pour ce qui est de mon flow, je dirais que c’était du côté de Jay-Z, mais aussi MJG, Bun B, Mac (No Limit), Fiend, Outkast, Ghostface, Snoop… celui de Nas sur la Purple Tape de Raekwon… C’est un mélange de tout ça qui a fait de moi le rappeur que je suis.

C’est plus tard, vers 1999 que j’ai rencontré Slow Motion Soundz. Mata, qui est maintenant membre du Paper Route Gang’z m’avait présenté au reste du « Slo’ ». On avait discuté d’un premier contrat, mais j’avais refusé parce qu’à l’époque ils avaient déjà beaucoup d’artistes à gérer en même temps. Malgré ça, ils m’ont aidé à monter mon propre label, Shorterboy Records, vers 2002/2003. C’était à l’époque de Lacs N Prices. Même si j’avais mon propre label, j’ai enregistré une grosse partie de mes chansons aux studios de « Slow Mo’ ». Et en 2007, après la sortie de ma première cassette, So Gifted, j’ai mis de côté la gestion du label pour me focaliser sur ma carrière d’artiste. Je suis entré officiellement dans SMS un an après, à l’époque où G-Side bossaient sur Huntsville Int’l. Au même moment Bentley et G-Mane étaient aussi en enregistrement et Bentley a demandé à S.T. de venir sur une des ses chansons. S.T. a convaincu Bentley, qui ne me connaissait pas à l’époque, que j’étais parfait pour le chanson qu’il lui avait proposé. C’était No Special Technique. Ca s’est fait, et ça a tellement bien fonctionné qu’on a commencé à blaguer sur le fait de faire une cassette entière tous les trois… Après ça on s’est revu tous les samedis au studio pour boire, fumer et faire du rap et on a commencé à faire cette cassette.

On s’est dit, si on fait un disque ensemble, il nous faut un nom. C’est GMane qui a eu l’idée de « DB49 ». Le soir même où on a trouvé le nom du groupe, on a fait un concert dans un club, on a acheté des pintes de bières qu’on a alignées tout le long de la scène pour que le public puisse boire pendant le concert ! Haha, la vraie vie !

Aujourd’hui, on le sait parce que tu le répètes souvent dans ton album, tu continues à avoir un travail à plein temps en plus du rap. Comment tu fais pour combiner les deux ?

Hahaha, parfois c’est l’enfer, et je me demande moi même comment je fais… A un moment c’était plutôt facile mais après… ça à commencé à devenir très chaud ! Quand les concerts ont commencé, le tournage de vidéos, toutes ces choses ont rendu la gestion de mon temps très difficile. Mais le fait que je sois manager (à son travail) m’aide un peu. Ca me permet de gérer mon emploi du temps comme je l’entends. Codie G me dit à l’avance ce que sera notre emploi du temps, et je peux essayer d’arranger mon travail en fonction. Mais n’oublie pas que je suis la Panthère du Slo’Mo’ et que quoi qu’il arrive je trouverais du temps pour rapper !

Et si t’avais la possibilité d’arrêter de travailler pour ne vivre que du rap ? Tu le ferais ou t’as besoin de cette équilibre entre les deux ?

Mec, je quitterais mon travail dans la minute…Mais j’ai besoin de cet argent et c’est pour ça que je continue à travailler. J’ai réussi a avoir un mode de vie plutôt agréable et je n’ai pas envie de le sacrifier. En plus j’ai Ayden maintenant, mon bébé qui vient juste de naitre (3 jours avant cette interview… félicitations a Kristmas et la maman !) donc je ne peux vraiment pas quitter mon job. Mais si un jour j’en ai l’opportunité ! Ce serait génial de pouvoir vivre uniquement de ce que j’aime faire.

Comment tu perçois l’industrie de la musique aujourd’hui ? Et celle du rap en particulier…

Je pense que c’est cool pour le rap aujourd’hui. Les indépendants reprennent du poids, et je suis indépendant donc… je suis à la bonne place ! Je pense qu’il y a beaucoup de faux indépendants maintenant, genre secondés par un gros label mais qui font comme si ils faisaient tout eux même… Nous on est vraiment indépendants. On paie tous nos frais et on doit économiser petit à petit pour travailler, pas de soutiens d’un label ou quoi. Mais le rap est cool aujourd’hui, il y a beaucoup de bonnes choses qui sortent, je suis content.

Vous avez beaucoup de très bons rappeurs et producteurs à Huntsville et j’ai l’impression que vous avez surtout un succès très local ou alors auprès d’un public de spécialistes. C’est une volonté ou vous avez le désir d’avoir un jour un succès national, voir grand public ?

Je pense que l’envie est là, j’en suis sûr même. Mais je crois que nos gars avec le plus de potentiel ne sont pas concentrés là dessus. On est plus centré sur le développement de notre propre économie, de notre propre scène. On a vu des gens se faire tirer dessus pour avoir eu un statut de superstar… nous on fait juste notre truc. Et si une superstar vient frapper à notre porte on s’enfuira pas en courant, juste on ne court pas après ça.

Mais c’est vrai que, vu à quel point on est cool, c’est dommage qu’on ait pas notre reality show, notre tournée mondiale et des poupées parlantes à notre effigie en magasin ! Haha !

Et là si un label venait te voir avec le contrat qui ferait toi une superstar, tu signerais ?

J’aime Slow Motion, vraiment, et je préfèrerais un contrat venant de quelqu’un qui veut signer toute notre équipe pour garder la même hiérarchie, CP, Codie G, etc. Eux me connaissent déjà, ma musique, mon potentiel… Je vais avoir 30 ans mercredi là (7 décembre), et je ne cours pas après ça. Donc si un label veut me signer, qu’il sache qu’il devra prendre mon équipe de management et de production avec moi !

Pour ce qui est des producteurs, tu travailles notamment avec les Block Beattaz. Ils donnent généralement l’impression de s’adapter au style des rappeurs avec qui ils travaillent. Ils ne font pas le même genre de beats pour G-Side ou pour Jackie Chain par exemple. C’est pareil avec toi (cf. Slavin). Comment c’est de travailler avec eux ? Tu leur demande ce que tu veux, les guide, ou est-ce qu’ils font ça vraiment au feeling ?

Je crois que je suis différent de la plupart des rappeurs, à savoir que j’écris mes textes sans jamais entendre de beat. Je veux pas que le beat influence ce que j’ai à dire. Donc normalement j’ai tout au plus un refrain, une idée de quelques samples que je veux et je leur dit. La plupart de mes chansons naissent comme ça. Après t’en as qui arrivent d’un coup en entendant un beat, comme avec Cool Muffucka sur W2, et je pense à un refrain… c’est toujours le première chose à laquelle je pense quand je travaille une chanson. Et après ça, CP va avoir ses propres idées, va faire sa petite cuisine qui va parfaitement coller à ta musique, qui que tu sois !

Et en dehors de ton équipe, y’a des gens avec qui tu voudrais travailler ?

Hum, je pense que je vais faire quelques trucs avec Big K.R.I.T…. Surtout après que Spin Magazine nous ait identifié tous les deux comme « la nouvelle vague du rap conscient » ; bien que je pense qu’on soit juste tout les deux des mecs normaux. On travaille dur et honnêtement, mais on fait aussi la fête au moins aussi sérieusement que l’on travaille !

Et sinon quels sont les prochains projets que l’on va pouvoir écouter ?

Alors… Il y a No Hooks qui arrive, un projet qui réunit DB49 et S.L.A.S.H.. Les solos de Bentley et S.L.A.S.H. arrivent très vite aussi, ceux de Zilla et de G.I.A. suivront. Et pour moi ? Il y a donc No Hooks… et quand j’aurais changé la roue arrière de ma caisse, je sortirai un nouvel album. Provisoirement intitulé 1225, mais ca changera probablement de nom.

Sinon, j’ai cru comprendre que tu étais aussi bon en rap qu’en levée de coude… Tu sais qu’on pense être champion de ça en France. Il faut que tu nous conseille des boissons, ou mieux, ce qu’on doit boire en écoutant W2 !

Crois le ou pas, mais ma boisson préférée est un Cognac français, le Courvoisier. On boit beaucoup avec du jus de canneberge, et on le répète assez dans nos chansons, on boit aussi beaucoup de bières brunes !

Sinon, en écoutant W2, tu as besoin de plusieurs boissons. Pour Feng Shui et Cool Muffucka, tu dois boire un French Connection, un cocktail de Courvoisier et de Grand Marnier glacé ou froid. Après tu as besoin de quelques shots de Tequila pour les chansons plus aggresives. Il te faut aussi une bouteille de Crown Royal et de jus de canneberge.

Dans le bar où j’ai mes habitudes, le « Diapers n Daicquiris », ils font un cocktail qui s’appelle le « Crown Slushy ». Tu prends du Crown Royal, des canneberges et de l’Apple Pucker, le tout mélangés avec de la glace… et là BOW, un Crown Slushy !

Avec tout ça, à manger, je conseille des ailerons de poulets citronnés et poivrés !

Wow, merci pour tous ces conseils. Maintenant si tu veux ajouter quoi que ce soit pour conclure…

Pour finir… Slow Motion jusqu’à la fin du monde ! Soyez sûrs d’avoir écouté iSLAND de G-Side, la cassette de Zilla, l’album d’Untamed, et évidemment W2 Boy, mon album. Et sinon, qui est-ce que je dois appeler pour pouvoir faire un concert en France ? On a fait tout le tour de l’Europe mon gars… Mais jamais la France ! Vous nous ignorez ou quoi ? Haha !

Merci beaucoup à Kristmas d’avoir accepté de répondre à mes questions.

W2 Boy – Kristmas (Album)

 

W2 Boy – Kristmas (Album)

  1. Somethin Wrong Ft. Codie G
  2. I Need A Drink Ft. Codie G & Joi Tiffany
  3. Simple Economics
  4. My Bizness
  5. Society Sayz Ft. S.L.A.S.H.
  6. Feng Shui
  7. Kristmas Goes To Jail (Skit)
  8. Cool MF Ft. Shyft & Joi Tiffany
  9. Gangsta And Gentleman
  10. My Good Thang Ft. P.H.
  11. Don’t Get Left Ft. Amp G
  12. My City Ft. Bentley & Chris Lee
  13. Slavin Ft. Shyft