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Des icônes et triangles en bois, des tatouages vaudous et des peintures ésotériques sur des murs de craie, des apparitions dans le ciel, des masques de chamans, cette couronne en métal jaune que porte Rico Wade : Et si toutes les réponses aux mystères de True Detective se trouvaient dans le vidéo clip d’Holiday, single vieux de plus de quinze ans ?
Holiday (… A S.W.A.T. Healin’ Ritual/1998)
Dans son album … A S.W.A.T. Healin’ Ritual Witchdoctor décrit un lieu coupé du reste du monde : Koneelalee, une île peuplée par les femmes les plus belles que vous n’ayez jamais vu. Sa terre promise, son Carcosa. Le Docteur étant originaire d’Atlanta, on suppose qu’il parle d’un club de strip tease, éventuellement d’un bordel, mais à travers ses yeux tout devient mythique et mystique. On ne sait plus très bien distinguer le vrai de l’halluciné, comme quand Rust Cohle prend contrôle de la narration dans la série télé. Et n’oublions pas qu’Atlanta possède aussi son Yellow King, le Boogie Man, tueur d’enfants protégé par les autorités et traqué par la Dungeon Family.
Island Koneelalee (… A S.W.A.T. Healin’ Ritual/1998)
Tous les récits d’Healin’ Ritual sont suspendus entre rêve et réalité. Witchdoctor raconte la vie à Atlanta en plantant un décor embrumé, vaseux et poisseux, baignant dans l’eau des marais de la campagne. Avec le succès interplanétaire et l’écrasante domination des très urbains crunk et trap music, on a pu oublier que tout le contour de cette ville ressemblait à un bayou. Cet album de Witchdoctor nous plonge dans cette campagne moite, quasi jungle où seul Dieu éclaire encore les hommes à l’ombre des grands arbres. A l’écouter, il est difficile d’imaginer que Witchdoctor parle de la même ville que Lil’ Jon et 2 Chainz, mais ce rap country et conscient, frôlant avec la magie noire, a toujours été une part importante de la musique d’Atlanta.
Aux textes mystiques et au storytelling spirituel du rappeur, s’ajoute les productions d’Organized Noize. Ca et là des percussions vaudous, des bruits d’animaux sauvages et de forêt, trempés dans une funk marécageuse. Le trop peu connu Healin’ Ritual contient quelques une des plus belles productions d’Organized Noize et compte parmi les meilleurs albums ATLiens des années 1990. S’il est devenu « a physical piece of amnesia » c’est probablement dû à un mauvais timing. Sorti entre le deuxième Goodie Mob et l’éclipse Aquemini, il arrive aussi à une époque où le rap du Sud s’apprête à exploser nationalement avec un son complètement différent. Enormément d’albums subiront ce sort à Atlanta. Une pensée pour East Point’s Greatest Hit de Cool Breeze (inventeur du terme « Dirty South » et parfois considéré comme étant le tout premier trap rapper de l’histoire) ou Crow’s Nest, premier album de Jim Crow (groupe de Polow Da Don).
Georgia Plains (Holy Ground) Feat. Cool Breeze (… A S.W.A.T. Healin’ Ritual/1998)
Au delà de la blague, on retrouve vraiment dans l’album de Witchdoctor toute l’ambiance ésotérique, Southern Gothic, et le climat complotiste qui ont récemment fait le succès de la série True Detective… Aussi, en entendant les quelques guitares électriques et intrusions reggae d’Healin’ Ritual à l’heure où sort Honest, on est définitivement convaincu que Future est un membre à part entière de la Dungeon Family.
Witchdoctor a rencontré T-Mo, Cee-Lo, Big Gipp et Kujo au lycée Mays à East Point, où ils étaient tous membres de l’équipe de football. Il a commencé la musique avec eux mais il est toujours resté un artiste solo, alors que tous formaient des groupes. Après des apparitions sur les albums de la Dungeon Family, il sort le sien en 1998 chez Atlantic. Le label lui rend son contrat l’année suivante, suite aux ventes catastrophiques de son pourtant excellent premier disque (Seulement 49 000 exemplaires). Il continuera de sortir des mixtapes et des albums via sa propre structure indépendante, Dezonly1 Records, qu’il gère depuis son compte myspace. En 2007 il retrouve une distribution nationale pour son septième projet The Diary of An American Witchdoctor, sorte de best of de ses apparitions et de ses sorties indépendantes.
“Rap needs a doctor. Which doctor? Bring back the Witchdoctor.” – Killer Mike
illustrations : gangsterdoodles