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Quand Ferdinand Bardamu, intimidé par la verticalité de New-York, qualifie la ville et sa raideur de pas baisantes, il est clair qu’il n’a jamais entendu parler de Cash Cobain.

Dans la musique de ce dernier, on entend le processus spongieux des autodidactes, et en l’autopsiant, on trouve la trace de ceux avec qui, et pour qui, il a appris et progressé, qui chacun leur tour ont été une marche pour approcher un peu plus de celui qu’il est devenu : la plugg légère de Flee, les murmures nonchalants de Brent Faiyaz et les emprunts grillés de Shawny Binladen.

Les samples courts et répétitifs de dunk contest ou de candle sont estompés derrière une brume, les motifs ondulants de slizzy poetry pt.2 créent un mouvement de flux et de reflux, les lignes mélodiques oscillent et la tension entre tonalités cristallines et rythmiques virevoltantes est tenue dans une cocotte dont la soupape ne semble jamais vouloir décoller : Cash Cobain, qui produit intégralement l’album, ne cherche jamais rien d’autre qu’à recréer la pression contenue dans les minutes qui précèdent un rapport sexuel, et ses bouffées de chaleur sous cutanées qui attendent d’être libérées. L’effet peut être frustrant, car contrairement à la drill éjaculatoire de Pop Smoke, celle de Cash Cobain maintient la sensation de désir dans une attente lancinante, aguichante, mais qui jamais ne se relâche.

Il est parfois difficile de lier ce que Chicago et New-York appellent tous deux drill. Sur PLAY CASH COBAIN, ce n’est pas une histoire de flow ou de caisses claires qui fait le pont entre le Bronx et le South Side, mais l’impression snuff laissée par les textes. Cash Cobain n’énumère pas les victimes d’une guerre de gangs, puisque son album est un récit de vagins, d’orteils et d’anus parcourus avec sa langue, mais la volonté de tout reconnecter au réel est identique à celle trouvée dans le rap belliqueux de Chicago. Alors, pendant que les auditeurs de King Von s’échangent les captures google maps des coins de rue où ont eu lieu les fusillades de ses chansons, ceux de Cash Cobain vont sur Genius pour rattacher les prénoms cités aux comptes instagram des filles en question, afin de mettre un corps et un visage sur chaque nectar venu racler ses papilles.

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A l’autre bout du spectre drill, Chief Keef lui, aime faire exploser ses cocottes minutes, toutes ensembles, les unes sur les autres, et si possible plusieurs fois chacune. Sur 4NEM, au bout d’un parcours ludique balisé de dynamites, multipliant les invocations à Jeezy ou Three 6 Mafia, il confirmait que l’on peut faire œuvre de brutalité sans faire de l’art brut. Avec Almighty So 2, il quitte le monde des jeux pour devenir pilote, nous invite à suivre ses grandes boucles et virages serrés pour arriver jusqu’à ce qui semble être une sorte d’aboutissement, ou au moins de synthèse, d’un arc commencé quand il est devenu producteur.

Alors que tout est toujours plus rapide autour de nous, Keef a choisi, non pas d’être un corps immobile, ce qui le mènerait à se fondre dans la paralysie dans laquelle se complet une partie du rap, mais de continuer d’accélérer, sa pensée, ses idées, sa musique. Il cherche dans la vitesse une euphorie enfantine, et quand elle est trouvée, ne la relâche plus, jusqu’à en faire un carburant qui embrase ses disques précédents, ses influences, les attentes à son encontre, l’industrie, ses souvenirs. Tout vole en éclat sous les accélérations de l’Imperator Furiososa, qui réassemble les fragments calcinés de façon à venir réenchanter son monde.

Chaque vrombissement de moteur s’accompagne de ses râles et quintes de toux, de ses mutations de timbres, de flows à explosion graduelle, de voix fantomatiques, d’extraits de jeux vidéo, de tambours de guerre, évoquant tour à tour Bang 2, Mansion Musick, Back from The Dead 2 et 3 ou le premier Almighty So. Et après chaque virage, le jeune pilote lancé à pleine vitesse s’émancipe un peu plus, par son talent et son intégrité qui l’affranchissent des limites et des règles.

En suivant Chief Keef depuis ses débuts, nous avons assisté à sa progression, portée par la soif d’apprendre et une envie d’être tel qu’en lui-même, libre et différent, quitte à décevoir ou à déplaire. Nous avons fantasmé le voir devenir Gucci Mane, finalement, Keith Cozart est devenu Chief Keef, plus proche de celui que rêverait d’être Kanye West – un auteur d’albums autant régressifs qu’œuvres d’avant-garde, qui n’ont pas besoin de truquer pour retrouver l’euphorie, la joie, la malice, la puissance créatrice et libératrice de l’enfance.

illustrations : Hector de la Vallée 

pbsBEST OF

Veeze, Ganger
RXK Nephew, Till I’m Dead / Neph Crockett
RealYungPhill & Gud, Victory Music
Wizz Havinn, Mr. Too Sticky
Niontay, Dontay’s Inferno
Babyface Ray, Summer’s Mine
Kodak Black, When I Was Dead
RX Papi, My Name Is My Name
Luh Tyler, My Vision
Valee & Top$ide, Car Toons
Sexyy Red, Hood Hottest Princess

Starlito, Love Drug
Sauce Walka, Sauce Ghetto Gospel 3
Big Sad 1900, The Reason

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Commander « Migos » recueil de photographies de Renaud Bouchez

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Veeze est arrivé dans l’écume de Babyface Ray. Puis, ayant ignoré l’hors-champs océanique des disques de son ami, il en a déplacé l’esthétique de la mer au béton, comme l’ont fait les premiers skateurs avec le surf.

Ses plus belles performances évoquent celles de Tom Penny porté par sa planche, flottantes à la surface des choses, avec une authentique nonchalance qui dissimule le travail et la technicité pour ne laisser que l’impression d’un geste facile, à la souplesse naturelle. Et toujours comme un skateur, qui joue élégamment avec un bitume qui, pourtant, peut l’écorcher à vif, Veeze frôle les dangers en restant hypnotiquement cool et blasé. Il manipule avec charme les menaces qui l’entourent, les mêmes qui créent la tension dans le reste du rap de Détroit, en mélangeant l’adrénaline à l’endorphine.

Son flow sous antalgiques, son timbre éraillé, les productions dissonantes et érodées par les rythmiques du Michigan, laissent souvent percer des mélodies duveteuses et rassurantes. Quant à son air indifférent et ses démonstrations de flegme, ils ne font pas disparaître sa joie aux pigments mélancoliques.

On ne sait pas si ce sont les intentions qui sont contredites par les moyens, ou l’inverse, mais quand Veeze glisse comme une ligne de basse à la surface des productions d’Unreleased Leak ou de No Sir Ski, l’anti climax est continu. Cela démultiplie les strates de la perception, comme pris dans une grande bouffée de drogues qui brouille les sens. Se débloque alors une autre compréhension de l’expression wavy, où ce qui est vague est l’état affectif, fait d’un halo d’ennui coincé entre la joie contenue et la tristesse douce, sorte de spleen psychédélique en plein tour de victoire. Sur GOMD par exemple, la performance en apesanteur, rappée sans effort ni gravité, dégage pourtant une euphorie qu’on ne peut ressentir qu’après avoir emporté les X Games.

Veeze fait ce qu’il peut pour avoir l’air insensible à sa réussite en donnant l’impression d’appréhender la musique comme un loisir. C’est peut-être son absence de calcul qui lui permet d’avoir cette fraicheur, d’être lui-même étonné et authentiquement heureux de ce qui lui arrive, alors qu’il semble rapper affalé au sommet d’un quarter-pipe.

Nimbée de ce charisme hypnotique, on oublierait presque que la musique de Veeze est un patchwork du rap dont il est fan, d’Uzi Vert, de Chief Keef, de Young Thug, de Rio ou évidemment de Peezy et de Babyface Ray. Quand ils n’en sont pas originaires, le style des uns et des autres est passé au marteau pilon de Détroit, mais on continue de sentir leurs esprits, celui de Lucki sur Robert De Niro ou de Nudy sur Kinda $, par exemple.

Avec son Auto Tune réglé pour onduler la voix et la faire devenir bizarre, avec la structure diffractée de son album, reliant toute une constellation de formes et de sons actuels, c’est aussi du côté de Lil Wayne que penche la board de Veeze, qui dans sa version mixtape continue d’être le Rodney Mullen d’une génération qui n’a pourtant pas connu l’époque de The Drought Is Over 2. Et comme chez celui-ci, le déversement de pensées tenues en une ligne est, autant que l’aura envoûtante, ce qui permet à Veeze de tenir à lui toute cette mixture, d’y imprimer par-dessus tout sa patte. Sédaté pour oublier la mort de son frère, il hallucine des combats de girafes, transgresse les lois de la physique et, avant de partir, fait la promesse de ne jamais s’arrêter de rouler, comme Tony Hawk.

illustration : Hector de la Vallée