Un matin de 1991, Reginald « Rabbit » McDonald accompagne le futur Lil Wayne dans le pavillon du 7th Ward où habite Mannie Fresh. Rabbit souhaite lui acheter une instrumentale pour que Dwayne puisse enregistrer des démos à envoyer chez Cash Money Records.
En aparté, Rabbit explique au producteur qu’il n’a aucunement l’envie de voir son fils adoptif se lancer dans une carrière de rappeur. En faisant semblant de prendre cette passion au sérieux, il espère mettre assez de pression sur les frêles épaules de Dwayne pour qu’il abandonne et se concentre sur l’école. Mais dès cette première rencontre, Mannie Fresh a une intuition qui se révèlera juste.
« Cela ne fonctionnera pas. Il est évident que l’école est facile pour lui, c’est un génie. Et il a besoin du rap pour canaliser certaines choses… »
Une douzaine d’années plus tard, Birdman fait croire que la relation malsaine qu’il entretient avec Lil Wayne est celle d’un père avec son fils. Pourtant, il utilise le rappeur comme un puits de pétrole, ne lui reverse pas un seul dollar de royalties, mais le loge, le nourrit et le couvre de cadeaux comme un enfant, ou comme un esclave gâté, qui estime ne plus avoir besoin de salaire.
« La façon dont Lil Wayne appelle Birdman « Daddy » m’évoque plus une relation entre un proxénète et sa gagneuse qu’entre un père et un fils. »
Le seul œil bienveillant posé sur Lil Wayne est celui du tout aussi abusé Mannie Fresh. L’unique beatmaker de Cash Money connaît Dwayne depuis qu’il est enfant et, contrairement à Birdman, a toujours cru en son talent. Après The Block Is Hot, c’est à Mannie Fresh que Wayne demande l’autorisation de pouvoir jurer dans ses chansons, et vers lui qu’il se tourne pour choisir les titres qui figurent sur ses albums. Même s’il envisage lui aussi, comme B.G., Turk et Juvenile, de quitter sa prison dorée, Mannie Fresh aimerait offrir un dernier disque à Lil Wayne avant de rendre son contrat au diable.
Pendant l’enregistrement, une obsession musicale marque profondément le parcours de Lil Wayne. Son corps est déjà recouvert de tatouage, mais il vient d’ajouter un « Lucky Me » sous son oreille gauche, et sur son mollet droit, un couplet entier tirée de la chanson du même nom, écrite par Shawn Carter, alias Jay-Z.
Lil Wayne est pris d’une passion frénétique pour le rappeur de Brooklyn, étudie sa discographie comme une profane liturgie, y cherche l’inspiration, des signes, et se persuade que ce n’est pas un hasard si il partage le même patronyme que Shawn Carter. Pendant des mois il n’écoute rien d’autre. Alors, quand au terme de son immersion dans la musique de Jay-Z, Wayne apprend que ce dernier souhaite prendre sa retraite après la sortie du Black Album, il est affolé.
Aussitôt la série des SQ terminée, dont le septième numéro improvisé était déjà inspiré par la technique d’écriture de Jay-Z, Lil Wayne enregistre The Prefix, une mixtape construite sur des productions du Black Album et de quelques titres classiques de Jay-Z.
Les intentions de ce Lil Wayne plus carnivore que jamais sont ambivalentes. Souhaite-t-il attirer l’attention d’une idole ou abattre un adversaire ?
illustration : Hector de la Vallée