La détonation syncopée de Chum est une marque laissée par l’influence des Neptunes. L’un d’eux, Chad Hugo, souffle d’ailleurs dans l’inquiétant saxophone entendu dans l’interlude à la fin du morceau. Ce premier single est à l’image de l’album dont il est extrait – un pont entre la musique d’Odd Future et celle, à venir, d’Earl.
Serpentant sous un piano et le son d’une voix inintelligible, une ligne de basses bourdonne comme un essaim de fantômes et de sorcellerie. La grenouille qui gonfle dans le clip à la photographie goudronneuse, laisse entendre que nous allons assister à un étrange récit. Il s’agit pourtant d’une histoire des plus banales.
Cela fait bien douze ans qu’il est parti,
me laissant sans père,
avec cette habitude malhonnête
de dire que je le déteste
alors qu’honnêtement,
ce mec manque comme quand j’avais six ans
Et chaque fois que j’aurais pu le lui dire,
Je ravalais.
Le ton est placide, Earl apparaît plus intime. Aux provocations de sa première mixtape, il préfère des mots clairs. Sont évoqués sa gène vis à vis d’un public qui ne lui ressemble pas, la dépression chronique qui le ronge depuis toujours, ses addictions, à l’herbe et à l’alcool, la pression écrasante des attentes à son encontre, le vide laissé par les absences des uns, des autres. Ce n’est définitivement pas le contenu de ses textes qui justifiait sa retraite au Samoa.
Pendant l’écriture, sa grand-mère est en train de mourir et on dit l’album plein de clins d’œil, rassemblés en tumulus pour honorer sa mémoire. Un titre porte la couleur rouge violacée du tapis de son salon, et certainement qu’à part elle, personne ne pouvait le remarquer. Doris, le titre de l’album, pourrait être son prénom, ou celui d’une autre vieille apparue dans ses rêves.
On ne sait pas parce que rien ne délimite nettement la frontière entre ce qui est vécu et les hallucinations. Et chaque apparition de Tyler, comme rappeur ou producteur, ramène Earl vers l’époque où tout était dissimulé derrière des farces et des paraboles alambiquées qui menaient dans des trous noirs.
Ce mélange de quête de sens, de biographie et d’autofiction, baignées d’une atmosphère surréaliste, pourrait être inspirée de sa lecture avide de l’unique roman de Richard Fariña. D’ailleurs, son disque suivant aurait du s’intituler Gnossos, comme le héros génial, assoiffé d’alcool et de vérités de L’avenir n’est plus ce qu’il était. Le décès de sa grand-mère, avant même que celle-ci ait pu découvrir l’hommage à son tapis rouge violacé, semble avoir modifié ce plan.
illustration : Hector de la Vallée