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« He is the realest »
Pendant que les commentateurs sportifs prophétisent l’avènement des « nouveaux » Zidane ou Michael Jordan, que la pop music attend le successeur de Michael Jackson, le rap lui, est à la recherche du fils spirituel de Tupac Shakur.
Ce que ces figures ont en commun, c’est d’abord d’avoir transcendé leur discipline, de l’avoir amenée dans des sphères où il ont pu toucher et marquer une audience élargie ; jusqu’à devenir des légendes célébrées aussi bien par un public de néophytes que d’initiés.
A vrai dire, voir Tupac associé à ces autres noms peut faire tiquer certains. Non pas que son statut légendaire puisse être remis en question, mais parce que ce qu’il véhicule ne touche pas l’Humanité aussi largement qu’une reprise de volée en finale de la Ligue des Champions.
Cela tient avant tout au public premier du rap, infiniment plus marqué sociologiquement que celui du football. Alors oui, et a fortiori dans un pays où l’on est renvoyé à son appartenance ethnique jusque sur sa carte d’identité, Tupac Shakur s’adressait avant tout – voir uniquement – aux noirs, aux « african-americans ».
Le statut atteint par ce rappeur dans la communauté noire américaine reste à ce jour sans commune mesure. Il n’est même pas question d’entrer dans une énumération de ce que Tupac a apporté au rap, simplement de souligner l’impact qu’il a eu sur une partie de cette population.
Que ce soit à travers ses textes ou par son comportement et ses déclarations, il a participé à raviver les flammes d’une forme gangster de la « Black Pride » américaine, chère aux Black Panthers dont ses parents étaient de fervents militants. Ajoutez à cela une insoumission totale à l’ordre établi et une allégeance sans faille à « la rue », synecdoque des ghettos noirs, et vous avez les éléments à la base de son rayonnement.
Puis, il y a ce qui lie ces ingrédients, le petit plus inexplicable qui fait basculer le commun des mortels dans la l’immortalité. « He is the realest », une expression qui perdrait de son sens avec une traduction. Celle-ci renvoie à sa manière de raconter son quotidien et celui de sa communauté, sans inhibition, sans jamais restreindre les sentiments exprimés dans ses chansons, que ce soit sa haine, sa peine ou sa fierté, si bien qu’il ne fasse aucun doute que ce qu’il dit soit vrai.
« The realest nigga since Tupac »
L’assassinat de Tupac en 1996 a laissé le rap sans véritable « Roi de la Rue », Jay-Z, Lil Wayne ou Eminem ayant joué sur un tout autre tableau. Pourtant, nombreux sont ceux qui ont essayé d’occuper le trône laissé vacant par « Makaveli ».
Il a fallu attendre une petite dizaine d’années avant que ne se dessine la silhouette d’un sérieux prétendant à cette Royale succession.
Sa mère l’a appelé Torrence, mais à Bâton Rouge, capitale de l’état de Louisiane, tout le monde le connaît sous le nom de Lil Boosie.
Quand en 2006 sort Bad Azz, son premier album en major, Boosie a déjà les dent bien aiguisées par des années de mixtapes dans le circuit indépendant.
Six ans plus tôt, après qu’un cancer ait emporté son père, Boosie souhaite se mettre à rapper pour exorciser sa peine. Il n’est âgé que de 15 ans quand, pour enregistrer ses premiers couplets, il rejoint l’écurie de C-Loc, star locale à la tête d’un label. Boosie n’a alors comme modèle que le fantôme de Tupac, dont il étudie les albums comme une profane liturgie.
Dès ses débuts les parallèles sont évidents, l’attitude et les thèmes rappellent Tupac. Mais là où des cars entiers de prétendants ont échoué, Lil Boosie apparaît vite armé pour obtenir cet unanime soutien des ghettos noirs. L’inexplicable ?
En tout cas, six ans après ses débuts, Boosie devient le premier rappeur à pouvoir oser se comparer à Tupac sans se faire lapider pour blasphème.
Très vite, il est adoubé par des vétérans, comme le regretté Pimp C qui l’aide à monter Trill Ent. en 2002. Sur ce label, avec Webbie et d’autres rappeurs de sa Trill Fam, il s’impose comme la plus grosse star de sa région à coups de mixtapes souvent distribuées gratuitement, mais surtout grâce à ses nombreux concerts. Boosie est sur scène presque cinq jours sur sept pendant plusieurs années.
C’est avant tout localement qu’il commence à se forger une réputation, avec un rap typiquement Louisianais teinté de Bounce Music. Ce style dansant, aux rythmes hypersexualisés, est originaire de la Nouvelle Orléans où il animait notamment les carnavals de Mardi Gras avant d’être adapté au rap par des DJ comme Mannie Fresh.
Sur les disques de Boosie, cette Bounce Music a été retravaillée par les descendants de Mannie Fresh. Mouse On The Track ou B.J. en on fait le décor de ses histoires marquées de matérialisme, de conscience sociale, de violences et d’émotions, qu’il conte avec sa voix rocailleuse, nasillarde, reconnaissable entre mille.
Son petit plus c’est d’arriver, à travers la violence et les sentiments exacerbés de sa musique, à se faire le réceptacle cathartique de la haine, des frustrations, humiliations, et autres injustices subies par sa communauté pour les transformer en carburant à fierté. Non pas qu’il incite ses auditeurs à être fiers d’avoir le cul dans la fange, mais il leur démontre qu’il existe des raisons d’être fiers de qui et de où ils sont, et en un sens, même sans faciliter la vie de personne, au moins à redresser la tête pour sortir du schéma dominants/dominés. Comme Tupac ?
En tout cas, cela est suffisant pour qu’un slogan, en provenance des ghettos où Boosie se produit, lui soit sans cesse accolé : « He is the realest nigga since Tupac. »
Le Maire de Bâton Rouge
En 2007, après la sortie de Survival Of The Fittest, album réunissant toute la Trill Fam, Boosie est un véritable phénomène en Louisiane et est en passe de le devenir nationalement.
A Bâton Rouge, du petit qui à la crotte au nez jusqu’au voyou endurci par les années de prison, tout le monde est fan de celui que l’on surnomme Bad Azz. Quand sa mère traverse la ville en voiture, ce sont de véritables troupeaux d’enfants que l’on peut voir se former et se mettre à courir pour tenter de la rattraper, espérant apercevoir leur champion à travers les vitres.
De l’avis de tous ceux qui le côtoient dans la vie, quand Boosie redevient Torrence Hatch, l’homme est humble et n’a pour ambition que de faire profiter à sa communauté l’argent qu’il fait avec la musique. Quand il n’est pas sur scène ou en studio, Boosie est partout dans Bâton Rouge ; il joue au bingo à la maison de retraite, fait en sorte que chaque enfant de sa ville ait un vélo pour aller à l’école ou organise des repas de charité à Thanksgiving et Noël. Si bien que Connie Hatch en est certaine, si son fils se présentait aux élections, la mairie de Bâton Rouge serait à lui.
Torrence est aussi père de six enfants, qu’il élève avec leur grand-mère dans un gigantesque pavillon de la banlieue de Bâton Rouge ; le plus gros achat qu’il ait fait avec l’argent gagné de son marathon sans fin de concerts.
Une décennie pour possession de drogue
A 20 ans Boosie s’est vu diagnostiquer un diabète de type I, caractérisé par une soif et un appétit décuplé, un amaigrissement malgré une prise de nourriture abondante et un excès de glucose dans le sang. Forcé de contrôler systématiquement sa glycémie et de s’injecter plusieurs fois par jour de l’insuline, l’air que respire Boosie a constamment cette odeur oppressante d’hôpital et de pharmacie.
De son aveu, cette maladie a décuplé son aigreur et alimente la violence de ses textes ; « Maintenant c’est comme si même Dieu voulait ma mort ».
Evidemment Torrence Hatch n’est pas un saint. Si lui même n’a pas d’affiliation connue avec un gang, ni même la réputation d’être l’homme de ses chansons les plus violentes, être le rappeur préféré des hors la loi amène forcément à se retrouver avec un entourage aux casiers judiciaires chargés.
Comme énormément de rappeurs sur ce credo, il n’est donc jamais entièrement sorti des milieux crapuleux, même après sa relative réussite. Il utilise cela pour parfaire sa crédibilité de rue, mais en joue comme on joue avec le feu, surtout dans un milieu où l’on ne reste jamais longtemps sans ennemi, même en étant un artiste adulé.
La veille de la sortie de son deuxième album en major, Superbad : The Retour Of Boosie BadAzz, disque qui devait finir d’asseoir sa reconnaissance nationale, Boosie subit un contrôle de police. Un joint d’herbe roulé, un sac de marijuana et une arme à feu sont retrouvés. Torrence doit plaider coupable pour échapper aux peines très lourdes de l’état de Louisiane, et s’en « sort » avec deux ans de prison.
A l’annonce de son incarcération, fans, amis et familles sont dévastés. Mis de côté le fait que cette péripétie vient compliquer la promotion de son disque et sa volonté d’enfin exister durablement à l’échelle nationale, Bâton Rouge se sent déjà dépeuplé à l’idée de perdre Boosie pendant deux ans.
Des concerts sont organisés pour fêter les derniers mois de Boosie en liberté et aider à payer les frais du procès. Le studio de production vidéo Motion Family réalise un mini film sur les cinq derniers jours de liberté de Boosie, dans lequel on peut voir à quel point la population de Bâton Rouge, et évidemment surtout les membres de la famille Hatch, sont abattus par cette incarcération.
Mais dans les derniers instants la machine infernale commence à s’emballer. Le 10 novembre 2009, alors qu’il attend le début de sa peine de prison, Boosie est de nouveau contrôlé en possession de marijuana. La sanction est immédiate, sa peine de prison est doublée, et le voilà désormais équipé d’un bracelet électronique et placé en maison d’arrêt.
Pendant les années qui vont suivre, des évènements demandant la libération de Torrence Hatch seront organisés régulièrement, servant à mobiliser l’opinion mais aussi a continuer de réunir des fonds pour payer les frais d’avocat et faire vivre la famille nombreuse de Boosie qui se retrouve privée de son unique source de revenu.
Les affiches et les t-shirts marqués du slogan « Free Boosie » sont partout dans Bâton Rouge, et se répandent dans toutes les Etats-Unis via internet.
Il n’y a plus un article ou une vidéo à propos de Boosie qui ne soit pas, dans les minutes qui suivent leur mise en ligne, noyés sous des centaines de commentaires de fans.
« Free Boosie Bad Azz ! » ; « Free the realest ! ».
Deux ans plus tard, alors qu’il est incarcéré à Angola, le pénitencier de l’Etat de Louisiane, il est cette fois accusé d’avoir fait entrer du sirop à la codéine et de la marijuana en prison. Jugé pour ces faits, Boosie voit sa peine une nouvelle fois doubler ; 8 ans.
Derniers jours d’un condamné
En parallèle, une autre affaire va venir considérablement compliquer la situation de Boosie.
Le 21 octobre 2009, un dénommé Terry Boyd est assassiné à Bâton Rouge. L’auteur du crime, retrouvé avec l’arme, est immédiatement arrêté. Mais alors que les autorités proposent à l’assassin un allégement de sa peine en échange d’indications sur les affaires crapuleuses de la ville, ce dernier affirme qu’il a tué Terry Boyd parce que Lil Boosie le lui a demandé.
Mis à part ce « témoignage », il n’y a encore aujourd’hui aucune preuve que Boosie ait bel et bien commandité ce meurtre. Malgré cela le procureur Hillar Moore réclame que le jugement le plus sévère soit accordé au rappeur. Dans cette sombre affaire absolument vierge de preuve, le procureur affirme vouloir s’appuyer sur… les textes des chansons de Boosie pour prouver sa culpabilité. Quant au verdict, il sera proclamé par un jury entièrement anonyme, dont seul lui connait la constitution ; une première en Louisiane depuis presque 30 ans.
Le procès débutera le lundi 30 avril 2012. S’il est jugé coupable, Torrence « Lil Boosie » Hatch pourrait être condamné à mort.
Lil Boosie n’est pas Tupac, et pour retrouver chez le premier l’éclat du second, il ne faudra pas trop s’éloigner de Bâton Rouge. Néanmoins Boosie reste Boosie. Un excellent rappeur, maitre de l’auto célébration et de l’émotion voyou, qui a eu la chance de collaborer avec des très grands, que ce soit pour les productions (Pimp C, Mouse & B.J.) ou les featurings (Young Jeezy, B.G., Pimp C), pour offrir au rap sudiste des années 2000 quelques un de ses sommets avec Da Beginning, Bad Azz, Superbad ou Survival of the Fittest.
Lil Boosie est-il coupable ou non ? Au vu de la peine encourue ce n’est même pas important. Déjà enfermé pour presque dix ans pour possession de drogue douce et d’une arme à feu (rappelons si besoin est que nous sommes aux USA), le voilà une nouvelle fois, et comme des milliers d’autre américains, victime de l’absurdité de la justice Louisianaise.
Après l’annonce de la peine encourue, la famille a pu renforcer ses soutiens, venant d’habitants, d’internautes ou de rappeurs comme Young Jeezy à Atlanta ou Yo Gotti à Memphis, mais elle peine toujours à se faire entendre en dehors des réseaux et médias spécialisés dans le rap, n’ayant pour seule plateforme ce site internet : http://boosiejustice.com/
FREE BOOSIE
C’est cool d’avoir ces rétrospectives de la vie des rappeurs, vu qu’on peut facilement s’y perdre avec le temps.
Sinon en ce qui concerne la musique je me permet de faire 2,3 remarques en qualité de nazi du rap :
– T’as oublié de dire qu’il a commencé (et sorti son 1er album) avec le concentration camp de c-loc, qui comprend aussi e.a. max minelli et young bleed (et les prods de happy perez).
– Ensuite il faut signaler qu’il est d’abord eu sa notoriété grâce à ses deux albums sortis avec webbie, qui sont déjà classiques chez les personnes de goût. C’est là qu’il sort son premier titre à avoir du succès « gimme that pussy » avec un ft de Bun B. Il est dommage de penser qu’on aura probablement plus jamais d’album commun de ces deux là, Bun B les considérait simplement comme les successeurs d’UGK.
– Après son plus gros hit c’est « wipe me down » qui est à la base un titre de son camarade de label foxx, qui apparait sur la compile trill ent de 2007 et qu’il lui a un peu piqué éhonteusement.
– Enfin, si il a pris un telle place (comparable à celle de tupac) dans le coeur de bcp à partir du milieu des années 2000, c’est aussi parce que peu avant y a soulja slim qui se fait descendre. Slim s’autoproclamait déjà « the realest nigga since 2pac » et comme je le disais là (http://sisilafami.tumblr.com/post/12812044461/in-praise-of-late-period-soulja-slim) son aura auprès des amateurs de street-rap de la région reste inégalée.
Ce genre de nazisme est évidemment le bienvenue,
merci pour toutes ces précisions.
En vrai j’avais évité de revenir sur tous les détails de sa carrière parce que c’était un article que je voulais proposer ailleurs au départ, quelque chose de plus « grand public »… Mais bon, Boosie ça n’intéresse que nous de ce côté-ci de la planète malheureusement.
j’imagine bien
Bonne nouvelle, il a été acquitté :
http://www.usatoday.com/life/people/story/2012-05-11/lil-boosie-murder-trial/54911308/1
[…] Pour mieux comprendre tous les tenants et aboutissants de cette affaire, rien de mieux qu’un bon article du confrère Pellion […]
Trés bon article (Y)
[…] • Thuggin Out in Public – Article sur Lil Boosie (PureBakingSoda) http://purebakingsoda.fr/?p=2126 22 octobre 2013 / émissions le concept l'équipe les émissions les contacts © […]