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En évoquant la ville d’Orlando en Floride, ce sont souvent les mêmes images qui reviennent. Certains se figurent ses gratte-ciels en centre-ville, bordés de bars branchés et de salons de tatouages, quand d’autres pensent d’abord à son équipe de basket qui évolue depuis une vingtaine d’années en NBA.
Ce qu’on retient avant tout d’Orlando, ce sont bien sûr ses parcs d’attractions : Sea World, Universal Resort, Lego Land, Tampa Bay et évidemment l’immense parc Disney qui s’étend sur plus de 30 000 hectares.
Entre le soleil, les stars NBA et les personnages de dessin animés, Orlando s’est donc forgée une image de ville féérique afin d’accueillir les touristes du monde entier. Une féérie en réalité bien fragile, autant que les chevilles de Penny Hardaway, et les décors en carton-pâte du château de Mickey ne font que cacher les stigmates de la crise économique. Autour des parcs, les employés vivent dans des motels qu’ils paient au jour le jour, quand ce n’est pas simplement dans leur voiture qu’ils dorment après avoir rangé leurs uniformes et leurs grandes oreilles.
Un peu plus loin, ceux qui n’ont même pas accès aux emplois Disney habitent des quartiers qui n’ont rien à envier à certaines villes du tiers-monde. Bref, Orlando est la reine du paraître et du faux-semblant, alors forcément, comme ce sont les spécialités de bon nombre de rappeurs, on se dit qu’elle a tout pour être une grande ville de rap.

Dans leurs histoires racontées à la première personne, la question de savoir si les rappeurs fabulent ou nous disent la vérité revient souvent. En général on ne sait pas ou on ne préfère pas savoir, et dans le meilleur des cas l’interprète est assez bon pour sonner comme quelqu’un qui a tout vécu, éludant complètement la question.
Dans les cas où il y un décalage, faire la séparation entre un rappeur, son discours, et la personne qui se cache derrière, pourrait revenir à la séparation faite naturellement entre un acteur et son rôle. La vie menée par Al Pacino n’enlève rien à celles de Michael Corleone ou Tony Montana, et celle de Williams Robert n’empêche pas la musique de Rick Ross d’être ce qu’elle est. Pourtant, le second se voit sans cesse reprocher de ne pas vivre ce qu’il rappe.
Le « pacte » implicite passé entre un rappeur et le public est donc différent de celui passé par un comédien, et il est problèmatique de procéder à cette séparation entre rôle et acteur. Comme si nous devions constamment être dans le film.
Les artistes doivent jouer avec ça, rester cohérent avec leur personnage, jusqu’en interview et dans toutes leurs apparitions publiques. – Quand ils jouent un rôle en tout cas, parce qu’il se peut que ce ne soit pas le cas. –
Toujours paraître « vrais » tout en étant dans la suspicion perpétuelle, voilà dans quoi sont empêtrés beaucoup de MCs. Et si ce constat peut être étendu à une majorité de rappeurs, une difficulté supplémentaire s’ajoute pour ceux qui, en plus, célèbrent des modes de vie illégaux. Beaucoup légitiment leurs propos en évoquant une vie passée, et peuvent ainsi rester « vrais » tout en évitant la prison. Mais il y a aussi ceux qui nous assurent que cette vie de criminel, ils la vivent encore. Pour ceux là, French Montana a résumé leur situation sous forme de conseil :

« Don’t call yourself a coke boy and still sell coke. »

Orlando la factice ne nous a pas déçu : En 2012, ses rappeurs ont plus que n’importe quels autres joué avec les faux-semblants, jusqu’à faire complètement exploser les fines frontières entre fiction et réalité. Et en plus, parce que ça reste quand même le principal, en ayant produit quelques une des meilleures mixtapes de l’année.

HOUSE ON HAUNTED HILL

Avec la figure omniprésente de Rick Ross, la Floride est habituée aux disques inspirés par le septième art. C’est dans les films de Martin Scorsese, Brian De Palma ou Michael Mann que Ross puise l’inspiration pour sa musique ; rien d’anormal pour quelqu’un voulant se forger un personnage de mafieux que d’aller chercher de la contenance dans l’ambiance et les personnages de ces films. Il est d’ailleurs loin d’être le seul à le faire.
Sur le même principe, le rappeur Armstrong a marqué le début de l’année 2012 avec une mixtape modelée sur le cinéma. Mais pour ce dealer de poudre, pas de références à Tony Montana ou Don Corleone, ses modèles ce sont Michael Myers, Hannibal Lecter et Jason Voorhees.

Comme tous les psychopathes et vilains de slashers, Armstrong possède son histoire expliquant les origines du mal.
Jabarus Nathan est né il y a trente ans sous un soleil rouge, sur les collines de Richmond à l’ouest d’Orlando. Très tôt, il entre dans les trafics en tout genre, et à 12 ans il est arrêté par la police, les poches pleines de cocaïne pure. A défaut de finir derrière les barreaux, il s’en tire avec un tabassage en règle et une haine décuplée pour l’ordre et l’uniforme.
Sa survie dépendant entièrement de ce commerce, il n’a pas d’autre choix que de continuer à vendre des cookies et des briques à l’angle des McDonalds. S’ajoute à ça les cambriolages, les vols de véhicules, et à 13 ans Jabarus est un membre des bloods à plein temps. Chaque année il gravit la hiérarchie du gang, au grès des allers-retours en prison et à l’hôpital, jusqu’à devenir un des gangsters les plus connectés de l’état de Floride.

A Orlando, Jabarus est craint pour son extrême violence et son absence totale de pitié. C’est aussi la balle logée dans son bras qui l’a rendu célèbre. Retrouvée là à la suite d’une fusillade, cette balle n’a qu’à moitié paralysé son bras gauche, d’où son surnom de « Strong Arm », celui qui stoppe les tirs avec son biceps.

Le rap, Armstrong s’y est aussi mis jeune, juste après avoir été viré de son collège pour y avoir introduit plus de drogue que vous n’en consommerez dans toute votre vie. Il sort quelques projets en 2005, mais rien qui ne résonne au delà des sous terrains d’Orlando. Puis en 2007, Jabarus Nathan prend dix ans de prison pour un braquage à mains armées.
L’histoire aurait pu se terminer là. La trajectoire, classique, d’un jeune gangster qui termine sa vie en enchainant les longues peines. Mais durant son enfermement, Jabarus aura droit à la visite de quelques un de ses anciens camarades de rue et de rap, notamment le dénommé Mook Boy.
Ce dernier rapporte à Strong que depuis qu’il est en prison, ses mixtapes sont devenus des petits classiques à Orlando, et qu’il tient, avec le rap, un bon moyen de faire beaucoup d’argent légalement.
Alors quand à la moitié de sa peine, en 2011, il est libéré, Armstrong décide de laisser sa vie de criminel derrière lui, afin de s’occuper comme il faut de ses quatre enfants et de sa carrière de rappeur déjà pleine de promesses.

SILENCE OF THE LAMBS

C’est en début d’année 2012 que sort Silence Of The Lambz, mixtape inspirée par le film de Jonathan Demme. Armstrong y performe la musique de gangster qu’il met au point en secret depuis maintenant quelques années, pleine de récits de têtes explosées, de conseils pour faire de l’argent facile, de cuisson de drogues et de tous les détails croustillants qui animent la vie d’Orlando. Mais la vraie vie d’Orlando, celle qui est cachée derrière les oreilles du Mickey.

« I’m sick of people talking about us like we’re all some happy ass kids going to Disney and Universal. Fuck That. »

Armstrong s’inspire de sa vie passée pour rétablir la vérité. Et comme pour contrebalancer avec la niaiserie de Disney, c’est avec plus d’agressivité, d’énergie et de folie que quiconque qu’il raconte les coulisses d’Orlando. Avec sa voix rauque, son flow gorille, parfois crié, et ses adlibs, rappelant son voisin Plies ou l’Orléanais Juvenile, il arrive à nous convaincre qu’il n’y a absolument rien de magique dans sa ville.
Au bout du disque, grâce à une interprétation sans retenue, le personnage créé par Armstrong fait passer Hannibal Lecter pour le chien Pluto. Il n’y a plus que ses enfants, sa mère et Dieu qui semblent capables de contenir son désir de destruction.

Des films d’horreurs des années 80 et 90, la mixtape emprunte aussi quelques samples issus des soundtracks. Et même quand la mélodie est originale, elle reste très inspirée par la musique de film d’horreur, avec des boucles de piano entêtantes de trois notes ou des sifflets venus d’outre-tombe. Le tout habillé avec les snares du découpeur de drogue, de variations à la flute, au violon, de synthés joués par le diable et vous obtenez un slasher mp3 dans l’univers des maisons pièges, où la vente de drogue accompagne le découpage des corps.
Le choix de beats est pour beaucoup dans la réussite du projet. Les samples et les mélodies synthétiques très lentes couplés à des bass soit très lourdes, soit plus rapides, aident à faire naitre l’ambiance oppressante et sont terrains de choix pour le rap tank, lent mais puissant, d’Armstrong.

Avec ce genre de street rap plein d’adlibs, on est tenté de comparer Strong à un Waka ou un Keef, avec des WAMP WAMP en lieu et place des POW POW et des BANG BANG. En réalité le rap d’Armstrong n’a pas grand chose à voir avec celui des deux gamins. Plus mature, plus écrit et finalement moins dans l’energie brut, Armstrong impose son charisme d’avantage grâce aux images qu’il additionne au fil du morceau. Pendant les couplets, ces images paraissent parfois complètement aléatoires et déconnectées, puis les refrains viennent les lier les unes aux autres pour qu’apparaisse une peinture plus claire… nous mettant un peu dans la position d’une Clarice Starling essayant de décrypter la psyché d’un Hannibal Lecter.

Tout juste après Silence Of The Lambz, Armstrong lance la promotion de Kold World Kold Blood, projet contenant une mixtape et un reportage sur sa vie. 645, premier single construit autour d’un sample hypnotique de Van Halen, devient rapidement un tube dans les rues d’Orlando. Dans les rues, mais nul part ailleurs pour l’instant, les DJ refusant de jouer la musique d’Armstrong, la jugeant beaucoup trop violente…

PHANTASM

Bien qu’il paraisse plus violent et cru que les autres, Armstrong laisse entendre que le quotidien qu’il décrit dans ses chansons est derrière lui. Il s’en défend ouvertement en interview, l’évoque parfois brièvement au court d’un couplet, aujourd’hui sa vie n’est dédié qu’au rap et à ses enfants, même s’il ne renie rien de son passé et continue de glorifier ceux qui poursuivent cette voie.

Ce comportement, ainsi qu’un certain nombre de rumeurs à son sujet, ont jeté le trouble dans le public de Strong. Pour beaucoup, il ne fait aucun doute qu’il n’a pas vécu ce qu’il raconte. Au mieux, ce qu’il connaît de l’univers des trafiquants de drogue serait lié à son passé d’indic pour la police. Sa libération après seulement cinq ans sur les dix prévus par sa peine, n’aura fait que jeter d’avantage d’huile sur le feu, et ses beefs avec d’anciens partenaires comme Mook Boy continueront d’alimenter ces rumeurs. Même l’histoire de son bras paralysé par une balle parait louche quand on le voit l’agiter sans problème dans ses clips… Alors, il n’existe pas une vidéo youtube sans commentaire à ce sujet ou de topic de forum sur lui qui ne tourne pas autour de cette question : Armstrong est il un menteur ?

Comme pour sceller à jamais le mythe de sa vie de gangster, Armstrong décide d’accompagner la sortie de sa mixtape suivante d’un DVD racontant sa vie. Ultime tentative d’imposer sa vérité, et dernier rempart anti-démystification.

En parallèle, la musique de Strong commence à faire le tour des Etats-Unis, et convainc non seulement le public, mais aussi quelques maisons de disques. Quatre labels seraient prêts à enrôler l’Hannibal Lecter du rap jeu. On parle de DTE, SODMG, mais aussi de MMG avec qui il multiplie les rencontres à Orlando. Et pour convaincre de tels mastodontes de l’industrie, Armstrong a quelques armes secrètes, comme un album qui serait déjà prêt, avec notamment un featuring de Future et un single en duo avec le légendaire Cam’Ron produit par Bangladesh.

MEET THE FEEBLES

L’ambition d’Armstrong, ce n’est ni plus ni moins que de devenir le nouveau Master P, d’arriver au sommet avec sa structure, ses partenaires et ses millions. Il crée alors Fly Boy Entertainment avec Killa Creepa, renommé F.B.M.L.E. suite à la fusion avec Moses Law Entertainment de son associé Flav Rock.

Killa Creepa et Flav Rock font partie d’une cohorte de rappeurs originaires d’Orlando aussi énervés qu’intéressants à suivre. Ajoutez-y Mook Boy, Giulio 4 ou Haitian Fresh du BSM et vous obtenez une des villes qui a été la plus productive ces deux dernières années dans l’underground, derrière la chouchou de la presse Chicago.

Killa Creepa, bras droit de Strong avec qui il forme les Titus Boys, est sur le même crédo que son collègue : Violence et récits crus, mais contés sur des rythmes plus traînants, et d’avantage marqués par les sonorités de leur Haïti natale.
Flav Rock, aka The Black Jimmy Coonan, a du se faire les dents en or sur les disques de Trick Daddy. Ne vous laissez pas berner par son humour un peu particulier, il n’est pas moins dangereux que les autres.
Giulio 4 est quant à lui le secret le mieux gardé d’Orlando. Sur « Offshore Exchange » il a su capter comme personne les atmosphères de la Yacht Music. Rappant sur la musique smooth qui sert à ambiancer les bars chics d’Orlando et d’Ibiza, il préfère parler du côté faste de la vie de gangster, en citant les marques d’alcool et de tissus les plus chers de la planète, avec une attitude qui rappelle parfois le jeune Shawn Carter.

IN THE MOUTH OF MADNESS

Kold World Kold Blood, comme toutes les suites de film d’horreur, n’est pas forcément meilleure, juste plus spectaculaire et violente. Les « pussy ass niggas » y sont déchiquetés à la pelle, et Armstrong arrive à y surpasser le niveau de brutalité de Silence Of The Lambz. Avec ce nouveau succès d’estime, une équipe plus installée que jamais, des labels qui lui tournent autour et un DVD dont les quelques extraits lachés font trembler la Floride, tout semble parfaitement aligné pour qu’Armstrong passe au niveau supérieur.
C’était sans compter sur la présence du F.B.I. dans l’équation.

Le 24 octobre 2012, la Floride entière a pu découvrir qui était Armstrong, puisque ce matin là, c’est sur son visage que le journal ouvrait.

« One of the most violent, sophisticated gangs in Central Florida — responsible for hundreds of crimes including homicides, drug trafficking and identity theft — was dismantled Wednesday with the arrests of nearly two dozen members.

Local, state and federal authorities built a racketeering case against 33 members of the Bloods and local sets of the street gang, including the Mohawk Boys, the Bullet Boys, the Fly Goons Lumberjacks and the Marlin Boys. »

Depuis plusieurs mois, le F.B.I. travaillait sur l’opération baptisée « Strong Arm », visant à mettre derrière les barreaux quelques un des gangs les plus violents de l’Est Américain, et en particulier l’homme a leur tête : Jabarus Nathan a.k.a Armstrong.

Le coup de filet est rude pour le rap d’Orlando étant donné que 90% de son contingent apparaît sur la photo ci-dessus. Puis, on se dit que si Armstrong passait son temps à dire en interview qu’il n’avait absolument rien à voir avec le trafic, quand d’autres se débattent comme ils peuvent pour prouver qu’ils sont hors la loi jusqu’au cou, c’est simplement parce qu’il était vraiment le gangster le plus menaçant de Floride. « Don’t sell coke and call yourself a coke boys » hein ?

Crédits :

Texte : NP aka PureBakingSoda
Illustrations :  VM aka bobbydollar

BONUS :

Puisqu’on est en Floride, profitons en pour complèter nos pokedex avec d’autres énergumènes du coin ;

Parce qu’il n’y a pas que FBMLE à Orlando, mais aussi des émissaires de la maison MMG. Cash Chris a été la tentative de Rick Ross d’avoir dans son équipe quelqu’un d’Orlando. A vrai dire, même s’il se fait très rare depuis trois ans, il semblerait qu’il soit toujours signé sur MMG. Il a simplement grandement souffert du mercato 2011, avec le passage de Pill, l’arrivée de Meek Mill, puis de la montée en puissance de Gunplay. Tout ça le relégant à jamais au rang de simple porteur d’eau, le voilà juste utile à retweeter les mixtapes des copains.
Sans avoir le talent des rappeurs sus-cités, on se dit qu’il est quand même dommage que ce Cash Chris soit porté disparu, puisqu’avec le départ de Pill il n’y a pas de trappeur dans la plus pure tradition du genre chez MMG. Il est par ailleurs intéressant de remarquer que, contrairement à l’appellation qui ne cesse d’être utilisée à tors et à travers, le genre trap reste relativement absent des gros labels rap (excepté un ou deux rappeurs d’Atlanta, et encore, puisque ce sont sur d’autres types de titres qu’ils comptent pour vendre des disques).

Je ne sais plus où, mais je me souviens avoir lu ou entendu un jour que l’on pouvait faire un lien entre la caricature du rap d’une certaine zone et la façon dont les habitants de cette zone aimaient l’arpenter. Ainsi, le rythme du boom-bap new yorkais se calerait sur celui des métros, quand les lentes sirènes g-funk rappelleraient les longs trajets en voiture obligatoires quand on vit à L.A.
En suivant cette idée, on s’imagine qu’en Floride les gens se déplacent peu, qu’ils garent leurs voitures en rond sur des parkings, les coffres ouvert en grand pour faire exploser des kilos de bass.
Evidemment je suis en train de raconter n’importe quoi, si ce n’est que, ce qui est bien typique du rap de Floride, ce sont ces bass qui viennent faire résonner vos cages thoraciques par l’intérieur. C’est pour ça qu’aujourd’hui le vrai rap Floridien ce n’est pas MMG mais Big Gates Records, les cris de Plies et XTra, et leurs prods qualité diamand qui vous arrachent les plombages si vous les jouez aux dessus des normes de décibels autorisées.

Crédits :

Texte : NP aka PureBakingSoda
Illustrations :  VM aka bobbydollar

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Chicago est depuis deux ans l’une des villes de rap les plus en vue.
D’abord, parce qu’elle est une des terres les plus fertiles en nouveaux talents. Certains de ces artistes, en plus de s’être construits une fan base qui s’étend au delà des frontières de leur ville, ont même su convaincre les majors qu’ils pouvaient avoir une carrière sur le long terme. Et puisant dans le meilleur de ce qui a fait le rap de la fin de la dernière décennie, Chicago s’est recréée une scène, avec ses personnages, ses sonorités et ses propres sous-genres.
Mais ce sont aussi des évènements qui ne sont pas seulement liés à la musique qui ont mis Chicago sous la lumière ces dernières années.

Début septembre 2012, un rappeur relativement inconnu est assassiné. L’histoire fait grand bruit dans la Cité Venteuse, notamment parce que cet aspirant rappeur y est connu pour son embrouille avec deux stars locales qui commencent à connaître un succès national. Or, ces derniers ont réagi à la nouvelle en se moquant ouvertement de la victime, ranimant des critiques dont ils faisaient déjà objet, sur la violence que promouvrait leur musique.

Cette mort, parce qu’il s’agit d’un meurtre, parce qu’elle touche un jeune qui n’était âgé que de 16 ans, est aussi symptomatique de la situation des quartiers sud de Chicago. La même année, ce sont plusieurs dizaines d’adolescents qui sont morts assassinés dans ces quartiers, pendant que, ramené à l’ensemble de la ville, le nombre de morts par balle passait la barre des 500 en six mois.

Pendant que la presse locale et internet prenaient feu après les moqueries des deux jeunes stars montantes, un autre rappeur du coin, lui originaire du nord de la ville, organisait un concert de soutien aux familles. En plus de récolter des fonds pour l’enterrement, il souhaitait faire de cet événement une tribune pour alerter l’opinion sur la situation de Chicago, tout en permettant aux habitants de se changer les idées, le temps d’une soirée.
Le lendemain, l’organisateur expliquait sur sa page facebook, avec tristesse, colère et incompréhension, qu’absolument personne n’était venu au concert.

Entre effervescence, succès critiques et artistiques, tribulations extra-musicales, misère sociale, abandon et violence, c’est ici qu’évoluent King Louie, Chief Keef, Lil Reese, Lil Durk, Sasha Go Hard, Katie Got Bandz, Tree, Young Giftz, Chance The Rapper et beaucoup d’autres. Un univers dur, mais qui aura vu naître une scène qui résume parfaitement une bonne partie du rap de notre début de décennie.

« A Chicago, les même gars vont te tirer dessus, puis t’aimer quand tu perceras, pour finalement venir te racketter après ton concert. »

Internet et l’hyper-régionalisation

Chicago a toujours eu quelques rappeurs pour la représenter à l’échelle du pays, et même plus loin. Twista, Common, Lupe Fiasco et évidemment Kanye West ont joué ou jouent encore ce rôle. Il ne s’agissait alors que d’artistes ‘isolés’, et le plus souvent la ville d’origine s’estompait derrière ces personnalités. Si aujourd’hui Chicago arrive à mettre en avant autant de rappeurs en même temps,  et à s’afficher à travers eux, c’est (entre autres choses) grâce à l’immense vitrine qu’est internet.

S’il est vrai que la toile a pu faciliter le développement d’un rap post-régional, où les particularités locales s’estompent ou se déplacent sur la carte, il faut cependant déconstruire l’idée que c’est un fait nouveau et généralisé.
En réalité, internet a aussi permis l’inverse, à savoir aider à l’émergence de scènes hyper locales, dont la résonnance peut s’étendre sur tout le pays. Un rap hyper-régionalisé en somme. Avant Chicago, le meilleur exemple est certainement la scène rap d’Huntsville, petite ville de l’Alabama qui a pu faire éclore une bonne dizaine de rappeurs grâce au bouche à oreille 2.0. Cela aurait été plus difficile hier, dans un monde où le travail de ces artistes n’aurait été relayé que par les médias locaux. Aujourd’hui, l’info locale étant accessible de partout, la moindre petite effervescence peut s’étendre quasi immédiatement sur toute la carte.

Dans notre cas, la contamination est partie de deux blogs couvrant l’actualité du rap de Chicago, Fake Shore Drive et So Many Shrimp. Ces blogs tenus par des chicagoans ont été la première fenêtre sur le nouveau rap de Chicago, et ont probablement été un des battements d’ailes de papillon qui ont permis à certains artistes d’avoir des signatures en major.
Parmi les rappeurs révélés par ces sites, le premier a sans doute été Chief Keef, il est en tout cas le plus connu à l’heure actuelle.

« Mec, les blogs, internet, c’est la Matrice ! Dès que t’es dedans tu contrôles plus rien. J’ai jamais été en Nouvelle Zélande… Pourtant mon plus grand fan vient de là bas… »

Cependant, pour que le buzz sorte de la niche internet, il aura fallut attendre l’intervention d’une figure de ce monde parallèle qu’est le rap du monde réel : Kanye West, en parlant de ces rappeurs puis en reprenant un titre de Chief Keef, a propulsé la nouvelle scène de Chicago dans les radars des majors et du grand public.
Un élément qui nous rappelle encore une fois que le ‘rap internet’ et celui de l’industrie classique sont des univers différents, ce qui marche dans l’un pouvant être absolument ignoré dans l’autre. La scène d’Huntsville dont il a été question, qui elle n’a pas connu de pont vers l’industrie classique en est le parfait exemple.

La cité des enfants perdus

A la façon de nos produits du terroir, toute musique en provenance de Chicago se voit attacher l’appellation d’origine contrôlée « Drill ». Le terme ne date pas d’hier, au départ mot d’argot désignant une pénétration effectuée sans finesse, puis mot fourre-tout utilisé pour tout ce qui est cool ou excitant, il est devenu au fil du temps synonyme de musique respirant les rues de Chicago.
Les sonorités de la « Drill Music » sont diverses, ont évolué avec le temps et les genres. Aujourd’hui, puisque la nouvelle scène rap en question est évidemment frappée du tampon « Drill », il est toujours difficile de réduire Chicago à un seul « son ». On peut néanmoins y percevoir les nettes empreintes d’Atlanta, notamment des mutations de sa trap music.

L’un des premiers représentants de cette nouvelle Drill Music, c’est Chief Keef.
Habitant un des quartiers les plus pauvres et dangereux de Chicago, Chief Keef a potentiellement vu autant d’armes et de morts qu’un enfant soldat du Nigeria alors qu’il n’a que 16 ans. Ce quotidien marque profondément son rap : cru, violent, nihiliste, dépouillé et sublimé par la rage placide de l’adolescent, celle qui est indispensable pour supporter un tel environnement.

Pour mettre en musique son rap, Chief Keef travaille avec DJ Kenn, producteur qui a fui les tsunamis japonais pour la fournaise chicagoane, et surtout son jeune ami Young Chop, véritable dépositaire du son « GBE », crew de Chief Keef.
Une boucle mélodique très aiguë, qui seule sonnerait presque comme une comptine pour enfant, mais qui couplée aux bass et ratlesnake snares typiques de la trap moderne d’Atlanta devient la musique que doivent jouer les mort-nés dans le limbe des enfants. Aussi menaçante que stimulante.

Le rap de GBE, c’est à dire aussi celui de rappeurs comme Lil Reese ou Fredo Santana, est directement influencé par les expérimentations de Waka Flocka et Lex Luger d’il y a quelques années, et confirme l’impact immense qu’a eu Flockaveli sur le rap.
Mais parmi tous ces disciples, Chief Keef reste celui qui s’en sort le mieux. Parce qu’en poussant à l’extrême ce qui caractérisait le rap de Waka Flocka – jusqu’à définitivement démontrer pourquoi Rap Genius est une aberration, jusqu’à pousser des semi débiles à polémiquer sur la violence qu’il dégage – il pourrait, avec son premier album Finally Rich, transformer l’essai marqué par Flockaveli il y a deux ans.

« Ces petits négros sont sauvages…Mais c’est des gars sûrs, et j’adore faire de la musique avec eux. »

Drilluminati

Chicago en 2012 ne se résume pas à cette trap mutante. Pourtant proche de Lil Reese et GBE, Lil Durk par exemple propose une musique légèrement différente.
Grâce à un flow chanté, l’usage récurent de l’autotune et un rap axé avant tout sur les refrains, il est peut être plus accessible pour le grand public que Chief Keef et le reste de GBE, en traitant pourtant des thèmes similaires. Et si on perçoit encore une mutation de la trap music d’Atlanta, elle a ici plus à voir avec FreeBandz et DTE qu’avec le Brick Squad.

Plus âgé que les rappeurs cités jusque là, King Louie se permet de naviguer entre les différents sons de la Drill Music moderne, tout en y apportant sa touche. De tous les rappeurs dont il sera question ici, il est sans débat possible le plus versatile et expérimenté.

King Louie, c’est d’abord un personnage. Gangster avec une obsession pour le sexe oral, qui n’ambitionne qu’à démontrer qu’il est plus arrogant que Salmonée défiant les Dieux, on le croirait tout droit sorti d’un cartoon pour adulte. Et déjà il nous rappelle quelqu’un. C’est aussi un flow nonchalant, mais déversé de telle manière qu’il donne l’impression de pouvoir continuer éternellement. Une sorte de rappeur coureur de fond, qui là encore nous rappelle quelqu’un, toujours le même.
Puis il y a son schéma de rimes internes, qui donne souvent l’impression que ses meilleures démonstrations ne sont faites que d’une seule et même assonance qui s’étire sur tout le morceau.
Celui que l’on reconnaît parfois dans King Louie, c’est Gucci Mane, avec qui il partage un lyricisme de rue, prétentieux mais assez intelligent pour ne pas être dénué d’humour. Une écriture qui est d’ailleurs parfois appelée « post-Gucci ».

Si on devait pousser bêtement la comparaison avec Gucci, peut-être pourrait-on dire que C-Sick est le Zaytoven de King Louie. Ce producteur franco-américain originaire d’Aix-En-Provence est en tout cas, avec ses boucles métalliques et rythmes hypnotiques, le producteur qui lui convient le mieux. Les prods de Bars et Val-Venis ont ainsi été les meilleurs terrains de jeu de King Louie, et le récent Showtime, construit sur un sample que seul un européen aurait pu dénicher, fonctionne encore parfaitement.

Rappant avec C-Sick, chantant à l’autotune avec Young Chop, et travaillant en général sur le meilleur de ce que fait le reste des producteurs de Chicago, King Louie est la tête d’affiche, le porte drapeau, de la Drill Music.
Avec presque une dizaine de projets, Louie est loin d’être un rookie puisqu’il a plusieurs années de carrière derrière lui. Le récent coup de projecteur sur Chicago a aussi cela d’excitant, nous rappeler que malgré nos réseaux, fils d’infos et kilos de mixtapes quotidiennes nous sommes encore très loin de l’omniscience, et qu’il existe peut être des dizaines de King Louie qui n’attendent que d’être découverts.

« Mon style c’est comme un Gumbo, un peu de si, un peu de ça, mais j’adore Gucci. J’aime son flow, et j’y ai rajouté mon style. Si tu rappes comme ça à Chicago, ils te diront que c’est le flow de Louie, que tu rappes comme King Louie. La vie de ma mère. »

L’arbre caché par la forêt

Si cela fait des années qu’il rappe, ce n’est que récemment que Tree a commencé à attirer l’attention du public et de certains journalistes. Cinquième membre non-officiel d’un groupe de Chicago appelé Project Mayhem, il roule désormais sa bosse en solo. Et s’il est apparu sensiblement au même moment que Chief Keef, King Louie et consorts, son rap paraît pourtant être à des années-lumière de cette Drill Music.
Quand GBE amène la trap music sur des terrains de plus en plus apocalyptiques, Tree prend la direction opposée en y apportant un élément inédit : le sample de soul. Probablement inspiré par l’église Baptiste où il a appris à chanter, c’est comme ça qu’il créé ce style qu’il appelle « Soul Trap ». Les boites à rythme et les thèmes sont ceux du rap de rue, mais le cœur de la prod est fait de boucles vocales de Curtis Mayfield, Etta James, Amy Winehouse ou de samples d’instruments pitchés, qu’il superpose et édite jusqu’à les rendre joliment dissonants.

Alors qu’en l’espace de quelques mois, Keef a pu signer sur Interscope, Reese et Durk chez Def Jam, King Louie avec Epic, Tree reste pour l’instant sans label, malgré sa reconnaissance critique.
Pourtant ce ne sont pas les A&R qui manquent ces derniers mois à Chicago. Depuis le début de la surexposition, la ville est en effet envahie par les découvreurs de talents, et pas un concert ne se déroule sans ses représentants de label et kilos de journalistes venus prendre la température.

« En ce moment les A&R font partis du décors à Chicago, y’en a presque autant que des armes à feu dans nos rues… »

Aidé par son timbre grave et légèrement rugueux, Tree reste le rappeur (et le producteur) le plus remarquable de Project Mayhem. Mais loin d’effacer les prestations d’Ishbah, Lennon, Paypa et Dane, il a plutôt réussi à trouver la recette pour venir parfaitement les compléter. A la base encore plus smooth, et d’avantage inspiré par ce qui vient de New York – nous rappelant au passage que Chicago n’est pas une ville du sud – Project Mayhem a trouvé le parfait complèment avec Tree. Et tous ensemble c’est un bel hommage à la tradition jazz et soul de leur ville qu’ils rendent.

Amazones

Parce qu’elles sont des filles, Sasha et Katie n’auraient peut-être pas connu le succès qu’elles ont aujourd’hui sans l’effervescence du moment. Mais contrairement à d’autres dans ce cas (Fredo Santana, SD ou Gino Marley) elles ne se contentent pas de récupérer la lumière des collègues, et leur place est loin d’être usurpée.

Katie Got Bandz fait partie du M.U.B.U Gang de King Louie, dont elle est une espèce de version féminine dégénérée et à qui elle emprunte les producteurs. Alors qu’elle est loin d’avoir la musique la plus immédiatement accessible (on va  pas se le cacher ses clips ridicules ne l’aident pas) elle est en fait une sorte d’idéal type de la Drill Music grâce à des prod rappelant vraiment le son tourbillonnant d’une perceuse et un rap entêtant sur les petits gangsters et les élastiques.

Après Chief Keef et King Louie, Sasha Go Hard est celle qui apparaît la plus à même d’avoir une carrière sur le long terme. Un peu comme Lil Reese, elle est une Chief Keef plus ‘lyricale’, mais avec un éventail de thèmes et de prods encore plus large, allant jusqu’à la petite balade rap romantique.

Ses titres les plus connus restent cependant des trucs où elle pose sa grosse paire d’ovaires sur la table, comme ce Tatted, hanté par un sample vocal du Trap God, comme si l’ombre du Brick Squad ne cessait décidément de planer sur la Drill Music.

« Ca vient des ados, de la violence. ‘Drill’, c’est un mot dur, tu vois ? C’est pour ça que je dis que c’est la version 2012 de ‘fight’. A Chicago, plus personne ne dis ‘We finna go fight’. On dit ‘drill’…. La Drill Music pour moi, c’est la musique qui va rendre les gens dingues, crunk »

L’épée de Damoclès

Il y a quelques années, King Louie était fauché par une voiture roulant à pleine vitesse dans l’est de Chicago. Le Dos en vrac, les poumons persés, les deux jambes cassées et les dents ruinées, le diagnostic des médecins quant à ses chances de survie était pessimiste.
Non seulement King L a survécu, mais il a en plus pu retrouver l’usage complet de ses jambes. Et quand, au début de l’année 2012, il obtient son contrat chez Sony/Epic, son premier mouvement est d’aller se faire refaire ses chicots pour retrouver sa dentition d’origine.
La carrière de King Louie aurait pu ne jamais commencer. Et si aujourd’hui plus rien ne semble pouvoir l’arrêter, on ne peut pas en dire autant des plus jeunes rappeurs de Chicago.

Chief Keef, Lil Durk et Lil Reese ont déjà fait des séjours en prison, et tous ne cessent de manquer d’y retourner ou de se faire remarquer ; Chief Keef s’est fait filmer avec des armes à feu, lui et Reese se sont moqués de la mort de leur jeune rival Lil JoJo, laissant planer le doute sur le lien qu’ils pourraient avoir avec son meurtre, et alors que j’écris ces lignes, Reese vient tout juste de faire reparler de lui pour des choses qui n’ont rien à voir avec la musique…

Globalement les membres de GBE entretiennent encore beaucoup trop de liens avec les gangs, et certains ont vraiment, vraiment, du mal à profiter de l’opportunité qu’ils ont d’échapper à la tempête de violence dans laquelle ils vivent. Rester loin des ennuis avec la loi est pourtant une condition sine qua non à la poursuite de leur carrière, mais il n’est pas certain que tous arrivent à s’émanciper du mode de vie des ghettos pauvres de Chicago.

Un nouvel hypocentre ?

Tous ces jeunes et moins jeunes ne sont évidemment pas les seuls. Young Giftz a sorti cette année une des meilleures mixtapes à Chicago, Chance The Rapper a signé avec l’agent de Kanye West, Rockie Fresh a rejoint l’écurie Maybach Music, et d’autres comme D-Bo du Brick Squad ou le duo L.E.P. Bogus Boys continuent d’abreuver les rues en mixtapes. La palette de styles couverte par ces rappeurs est immense, et même en réduisant cette scène à quelques uns, disons Chief Keef, King L, Tree et Young Giftz, il y a de quoi satisfaire n’importe qui, à condition d’être réceptif au rap de qualité.

S’ils ne sont pas tous autant célébrés par les médias, qui ont du mal à voir plus loin que Chief Keef et à parler d’autre chose que de la violence à Chicago, cette cohorte de rappeurs forment pourtant bel est bien une même scène. Ce qui va lier tous ces artistes ce sont évidemment des collaborations faites les uns avec les autres. En survolant leurs projets vous retrouverez donc souvent traces d’autres rappeurs du coin, ou de producteurs comme LoKey, C-Sick, Young Chop et même Tree, qui bien qu’ignoré par la presse a déjà obtenu la reconnaissance de ses pairs.

L’effervescence de ces dernières mois est telle qu’on peut légitimement se demander si Chicago ne peut pas prétendre, d’ici quelques années, au titre de capitale rap… succèdant à Atlanta.
C’est évidemment énormément s’avancer que de dire ça, mais les deux villes présentent des similitudes.
Si Chicago se recrée une scène en transformant la musique d’Atlanta, cette dernière avait, à la fin des années 80, créée la sienne en transformant la musique de Miami puis en s’inspirant de la G-Funk Californienne. L’une comme l’autre a connu une période où les nouveaux rappeurs de qualité germent partout. L’une comme l’autre peine a se trouver une identité sonore marquée et semblent miser plutôt sur un panel large de son. Et de la même façon qu’Atlanta a sans doute profité des beefs a répétition dans lesquels s’empétraient Los Angeles et surtout New York pour imposer ses figures, Chicago pourrait profiter du climat de tension qui s’installe progressivement à Atlanta depuis quelques mois, si celui-ci finit par avoir une répercussion sur la musique.

Mais ce ne sont bien sur que d’hypothétiques plans sur la comète fantasmés par le Rap Game Jacques Attali.

Quoi qu’il en soit, à Chicago, on profite. Hier trustés par les tubes d’Atlanta, les radios et clubs locaux ne passent désormais que de la musique du coin. Encore en signe ? Non… la guerre des places ne sera gagnée que quand les princesses de Magic City remueront leur cellulite sur Right Here et Showtime. Et Atlanta étant aujourd’hui aussi sectaire et dédaigneuse que l’était New York à son apogée, ce n’est sans doute pas prêt d’arriver.

Mixtapographie sélective  (2012) :

Back From The Dead (Chief Keef) ; Showtime (King Louie) ; Sunday School (Tree) ; Life Ain’t No Joke (Lil Durk) ; The Lake Effect 1.5 (Young Giftz) ; Do U Know Who I Am ? (Sasha Go Hard) ; Bandz And Hittaz (Katie God Bandz)

En attendant Finally Rich (Chief Keef) et Dope & Shrimp (King L) qui sont d’ores et déjà au sommet des listes pour le père Noël.

Crédits :

Texte : PureBakingSoda
Illustrations : Meaghan Garvey aka Moneyworth / Jetez un oeil à son travail sur son Etsy Shop – son livre sur le rap et les illuminatis est exceptionnel –

Ca ne vous aura pas échappé, Moneyworth ne s’est pas contentée d’illustrer l’article mais a pensé tout un concept autour du jeu de tarot. Et comme les cartes n’ont pas été choisies au hasard, elle vous offre une description de chacune d’elle :

0. The Fool (Louie)—carefree (sometimes, perhaps, too carefre), eager, with an optimistic view of the world and a complete absence of fear; the personification of the child within.

II. The Priestess (Sasha)—skilled and insightful, yet subtle; in tune with the world of dreams and the subconscious.

V. The Hierophant (Tree)—the high priest, or wise teacher; full of esoteric and occult knowledge, but also possesses real life experience; represents the culmination of human development.

VII. The Chariot (Durk)—represents the struggles one must overcome with oneself and with life, with the promise that with diligence and perseverance all obstacles can be overcome. The chariot is drawn by wild creatures that represent our will, which we must strive to control.

VIII. Adjustment (Katie)—also known as Justice, the supreme judge; represents the balance of good and evil, as well as karma and retribution.

XIII. Death (Keef)—the most feared card in the deck, although not necessarily negative; signifies a major life change, or an ending leading to a new beginning.

XV. The Devil (Fredo)—often misunderstood and feared, but not necessarily an evil being; the personification of the animal, instinctual parts of humanity.

XX. The Aeon (Reese)—sometimes known as Last Judgment or Atonement; forces us to acknowledge that our actions create a chain of cause and effect for which we are solely responsible. Represents self-judgment and, ultimately, forgiveness.

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Marijuana, cocaïne, ecstasy, oxycodone, xanax, méthadone, codéine et prométhazine. Ceci n’est pas l’inventaire des dernières perquisitions d’une brigade anti stupéfiants, simplement la liste des drogues dont vous trouverez une trace dans un échantillon de sang de Gunplay.
Ce dernier explique dépenser aux moins 600$ par semaine pour sa consommation de drogues. Et encore, ce ne serait là que l’addition pour une semaine au calme ou passée à travailler, parce qu’en période de fêtes ou de vacances, c’est un minimum de 1 500$ de produits que Gunplay consomme par semaine, sans aucune pression.

Sa consommation hors norme de drogues, Gunplay l’a longtemps traînée comme un boulet. Ce n’est pas qu’il en ait honte, parce qu’en fait pas du tout, simplement elle est difficilement compatible avec son ambition d’être un artiste « cross-over », capable de plaire aussi bien aux dealers de Carol City qu’aux programmations de radios nationales.
Patient, paresseux ou les deux, Gunplay prend en tout cas le temps de bien préparer le terrain pour la sortie de son premier album solo. Pour cela, il évolue depuis une dizaine d’années dans l’ombre de Rick Ross, dont il prend bien soin de suivre chacun des conseils pour ne pas se griller… Parce qu’il est vrai que préparer une carrière quand on a parmi ses sujets de prédilection la consommation de drogues, ou que des références au régime nazi sont marquées jusque sur notre peau, c’est un peu comme évoluer sur un fil de pêche au dessus du Grand Canyon.

Aujourd’hui « Don Logan » pourrait être en passe de faire comprendre à un public élargi qu’il n’est pas que le « goon » de Rick Ross. Ce qui n’était autrefois que des fulgurances est en effet devenu récurrent : Gunplay est capable de transformer la peine et la souffrance en quelque chose de beau. Et il aura peut-être fallu en passer par là pour nous faire remarquer que même lorsqu’il insuffle une énergie quasi nucléaire à des productions de Lil Lody, ou qu’il parle de ses activités illégales et ultra-violentes, il n’oublie jamais de travailler son texte, en plus de jouer avec sa voix, son personnage et son charisme… afin d’être un des rappeurs en activité les plus intéressants.

Maître de l’introspection, mais avant tout du divertissement, de l’énergie, voire de l’émeute, Gunplay est tout ça à la fois. Pour comprendre qui il est, d’où lui viennent toutes ces facettes et d’où il puise toutes ses influences, il est intéressant de revenir sur le parcours du « human L.A. riot ».

D’El Paso à New York

Richard Morales est né le 18 juillet 1979 sur une base militaire du Texas. Oui, les parents du futur Gunplay sont dans l’armée. Comme quoi, le cliché sur l’éducation militaire est sans doute à revoir. Au moins, on a peut-être une explication quant à son obsession pour les chars et les imprimés camouflages.
Mais le petit Richard n’aura pas le temps de s’imprégner du style de vie texan, ses parents déménageant à New York juste après sa naissance, où il vivra jusqu’à ses 10 ans.
Gunplay n’est jamais renvoyé à quoi que ce soit de New Yorkais, alors qu’en réalité sa musique tient autant à la Floride qu’au vieux rap de Liberty City. La façon dont il a, tel Animal Man, d’absorber le pouvoir des animaux de la jungle pour en faire des backs ou des onomatopées intégrés à son rap rappelle les jeux gutturaux de beat-boxers new-yorkais, les Fat Boys de Brooklyn en tête. (cf. Banana Clips ; Jump Out ; Cartoons & Cereals)

Il y a souvent un rapprochement, facile et presque abusif, fait entre Gunplay et Waka Flocka. Il faut dire qu’à l’époque où Gunplay commence à marcher en solo, la réputation de Waka Flocka vient d’exploser. Alors quand en plus on se fait remarquer avec un single basé essentiellement sur l’énergie, qu’on en rajoute en invitant Waka dessus, le parallèle se fait automatiquement. (Rollin’). Pourtant les deux rappeurs n’ont pas tant que ça en commun. Gunplay est nettement plus « goofy » et surtout plus scrupuleux que Waka avec ses lyrics. Du coup, s’il y a un rappeur dont on doit retrouver des traces dans l’ADN de Gunplay, c’est encore une fois sur la côte Est qu’il faut regarder, plus tout à fait à New York, mais dans le New Jersey :

C’est d’ailleurs aussi certainement de Redman que lui vient cette manie de faire des bruits d’animaux (de singes). Quand on entend aujourd’hui Gunplay dire que c’est un de ses rappeurs préférés, l’influence ne fait plus aucun doute.

Miramar, FL

En 1989 les parents de Richard se séparent, et il semblerait qu’il n’ait plus revu depuis son père d’origine Porto Ricaine. Le petit part donc avec sa mère, elle d’origine Jamaïcaine, vivre à Miramar en Floride, une ville du secteur statistique de Carol City.
En passant toute son adolescence en Floride, Gunplay aura tout le temps de s’imprégner des rappeurs du coin, surtout du légendaire Trick Daddy dont il s’inspire et avec qui il partage cette voix rocailleuse et un rap basé avant tout sur le charisme. (cf. Mask On ; Cigar Fare & Hardware)

Pour Richard c’est aussi le début d’une vie sans père et dans la pauvreté, dans un des pires quartiers de l’état. A l’horizon les yachts et les soirées branchées de Miami, mais autour de lui le paysage n’est fait que de décharges et de crack heads. C’est le début d’une descente dans la bouche de l’enfer qu’il raconte souvent en musique ou en interview.
Il n’a pas fallu longtemps pour que Richard passe la totalité de son temps dans ces rues. Arrivé en Floride, il ne fera pas long feu à l’école, et sera même entièrement déscolarisé avant ses 14 ans. L’école n’est pas vraiment compatible avec la situation de survie dans laquelle la famille Morales se trouve, et le jeune garçon a du mal à supporter l’autorité d’un maître d’école alors qu’il doit déjà négocier avec des gros trafiquants et tenir son propre business.
La mère, devenue infirmière, est obligée de travailler plus de 16H par jour. Le domicile est donc laissé libre et à l’entière disposition de Richard, qui ni une ni deux le transforme en Trap House.
La cuisine tourne à plein régime pour baser la cocaïne qui arrive par les ports de Miami, et les toxicos font la queue pour venir récupérer leurs produits.
La maison devient le passage obligé de Miramar, et malgré son très jeune âge, Richard développe son business pour vendre toutes les drogues imaginables, tout ce qui peut trouver un acheteur.

Ce genre d’activité ne passe que difficilement inaperçue aux yeux de la police, alors Morales, doit très vite agir avec prudence, notamment en codant ses discussions téléphoniques. C’est sans doute comme ça qu’il a développé son talent pour les métaphores de la drogue. Ces dernières, personne ne les maîtrise mieux que Gunplay aujourd’hui. A tel point que pas mal de ses lignes doivent passer pour des phases complètement surréalistes pour celui qui n’a pas au moins son Master en « argotage des oiseaux ».
Pourtant, quand il dit qu’il « hache Noël avec son épée » ou qu’il n’y a « ni bras ni marteau dans son Hannah Montana » il ne joue pas au cadavre exquis, c’est simplement sa façon de nous dire qu’il « effrite sa weed» ou que sa « cocaïne est pure à 100% ».

A cause de ces activités, la relation entre Richard et sa mère ne cessera de se dégrader au fil des ans. Parce qu’en plus de difficilement supporter ses activités, la mère va devoir affronter la personnalité endurcie de son fils, de plus en plus violent et hermétique à toutes formes d’autorités. Si bien que pendant plus de douze ans, la mère et le fils ne s’adresseront pas la parole, bien que vivant sous le même toit.

Carol City Cartel

En plus d’être vendeur, Richard devient vite consommateur. Ou plutôt, selon ses propres termes, « un abuseur ».
A 12 ans il fume déjà, mais se contente alors de la marijuana et n’ose pas toucher au reste. C’est trois ans plus tard qu’il fera réellement connaissance avec la première femme de sa vie, la cocaïne.

Nous sommes en 1994, et cela faisait déjà plusieurs années que Richard Morales vendait des sachets de blanche. Le jeune dealer avait donc une clientèle d’habitués, et notamment un type à qui il pouvait vendre jusqu’à quatre sachets par nuit. Un soir, ce gros client arrivé avec les pupilles encore plus dilatées que d’habitude, confia à son jeune vendeur :

« Tu as déjà testé cette merde ? N’essaie jamais, c’est le diable. »

Seulement, pour Richard le diable se trouvait ailleurs, symbolisé par l’image d’une tante que ses parents hébergeaient quand ils vivaient à New York. Il n’avait que 6 ans mais se rappellera toute sa vie de l’épave qui squattait le canapé, un squelette de plus d’1m85 pour 40 kilos. Cette image restera à jamais pour lui celle de l’enfer : celle d’une tante accro au crack, la seule drogue que Gunplay ne consommera jamais.

Alors, quand il entend que l’enfer c’est la cocaïne, il rigole bien, ayant pu constater que cette drogue était consommée majoritairement par des petits bourgeois blancs en très bonne santé.
Après une journée de travail, alors qu’il avait déjà bien imbibé sa viande d’alcool, Morales se lance et sniffe une, deux, trois, quatre puis cinq traces. Sans avoir le temps de s’en rendre compte, le voilà tombé amoureux de la dame blanche. « C’est la meilleure chose que Dieu ait créé », se dit il.
A partir de cette expérience, Richard s’est mis à tester tout ce qui a pu lui passer sous la main, à l’exception du crack donc. Il abuse de tout, mais tâche de garder le contrôle. « I do drugs, I don’t let ‘em do me» devient son leitmotiv.
Pendant plus de dix ans, il est probable que Richard Morales n’ait pas été sobre une seule minute, son jeu étant d’alterner entre les drogues pour régler son tempo, s’adapter aux situations, comme on change de vitesse sur une voiture : une pilule en guise de carburant, de l’herbe ou une coupe de lean pour ralentir devant les passages piétons, et un petit sachet de poudre pour accélérer après les virages.
Pour ce qui est du risque d’overdose, il s’en remet à Dieu. « Si ça m’arrive ? C’est que c’était le plan du Seigneur. Pour l’instant il en a décidé autrement. »

Custom Cars & Cycles

Grâce à ses « occupations », Richard arrive à se faire un petit pactole. Outre dans la drogue, c’est dans ses trois autres passions que part son argent : la musique, les armes à feu et les voitures de sport.
Pour ce qui est de la musique, il s’agit évidemment de rap mais aussi de reggae. Depuis toujours il est un grand fan de rap ; nous avons déjà évoqué Trick Daddy et Redman, mais il y a aussi N.W.A, U.G.K., Scarface et 2LiveCrew qui font la bande-son de ses journées.
Dès l’époque de ses premières K7 de N.W.A., Richard rêve sans doute secrètement de devenir lui aussi un rappeur, et c’est grâce à une autre de ses passions qu’il va sérieusement envisager de franchir ce cap.

Régulièrement, l’asphalte des parkings de Miami chauffe sous les démonstrations de puissance de bagnoles à plusieurs milliers de SMIC. Ces showcase organisées par les locaux, amateurs de grosses cylindrés, sont l’occasion pour les participants de comparer leurs bolides, de parler tuning ou affaires crapuleuses sur fond d’odeur de gomme brûlée.
C’est en 1997, lors d’un de ces shows, que Richard Morales va rencontrer celui qui deviendra son meilleur ami et mentor, William Leonard Roberts II, un apprenti rappeur qui fricotait déjà avec MIA Productions, un label local.
Le rêve de jeunesse de William, c’était de devenir joueur de football US, mais n’ayant pas obtenu la bourse universitaire nécessaire pour continuer à exercer sa passion, il a dû se résoudre à abandonner. C’est donc via le rap qu’il espère s’épanouir et s’enrichir… et après une année passée comme gardien de prison, il a tout quitté pour se lancer entièrement dans le rap.
Les deux jeunes, partageant cet amour pour la musique, les choses mafieuses et les voitures de luxe, vont très vite sympathiser et surtout commencer à rapper sérieusement ensemble.
Richard Morales devient Gunplay, et William Leonard Roberts II prend le pseudonyme de Rick Ross.
Deux ans plus tard le rappeur Torch émigre de New-York vers Miami, et tous les trois formeront le premier roster du groupe Triple C.

Color, Cut & Clarity

La suite de l’histoire est surtout celle de Rick Ross, puisque des deux compères il est celui qui s’appliquera le plus à lancer sa carrière. Le problème de Gunplay, c’est que contrairement à Ross, il a réellement été impliqué dans le trafic de drogues et qu’il faut pouvoir s’en échapper complètement. Malgré tout, après avoir mis un pied dans la musique, il s’en éloignera progressivement pour se concentrer sur le rap… c’est une autre histoire en ce qui concerne sa consommation personnelle.
Heureusement pour lui, Rick Ross, très probablement bien conscient du diamant brut qu’était Gunplay, l’empêchera de se forger une réputation d’artiste ingérable en le forçant à rester sous-terrain autant que nécessaire : Seul maitre de ses choix de carrière, il n’aurait certainement pas obtenu sa récente signature solo sur le label Def Jam.

Pendant presque 10 ans encore il restera impliqué à divers niveaux dans le trafic d’herbe et de cocaïne – précédent un passage éclair dans le proxénétisme – , dont il ne sortira qu’à la signature du deal de Triple C chez Def Jam. Pendant ces 10 ans, Gunplay était tout autant un boulet pour Ross et Triple C qu’il leur était indispensable : véritable épave remplie de drogues, il fait annuler des concerts parce qu’il n’est pas en état, termine des nuits au bord du coma sur des parkings, joue avec sa vie et sa liberté.

Il y a d’abord son rapport très décontracté avec la drogue et les armes : Il n’a pas hésité à insérer des bruits de narines qui reniflent entre les titres de sa première mixtape, ou à se faire filmer en train de consommer. Quant à son amour des armes, en voulant le mettre en scène dans le clip de Cigar Fare and Hardware, il se fera arrêter par la police de Miami. Morales était alors toujours sous le coup d’un sursis pour une ancienne affaire de port d’arme illégal et n’avait pas le droit de s’approcher de si près d’un flingue.

Il y a ensuite ses bad trips : comme cette fois où il a gobé une pilule d’origine inconnue. La chose l’a emmené si haut que son cœur et son système de sudation étaient entrés en mode rhinocéros. Ce soir là, Gunplay est allé tellement loin au-dessus du ciel qu’il a sans doute vécu des expériences extracorporelles. Amené d’urgence à l’hôpital, rien ne semblait pouvoir le réveiller, les gifles et le trajet en voiture n’y faisaient rien. Inconscient et complètement à poil sur son lit d’hôpital, il aura fallu qu’une infirmière essaie de lui retirer sa chaîne pour qu’il redevienne sobre sur le champ, pur comme un bébé. Réflexe de survie : on ne touche pas aux brille-brille de Don Logan.

Il y a enfin son obsession pour les croix gammées et autres symboles nazis : une croix gammée tatouée sur la nuque et des « heil logan » répétés plusieurs fois sur ses cassettes. Il a même très sérieusement envisagé d’utiliser la svastika comme pochette de son premier album solo. Et quand on l’interroge sur son tatouage, Gunplay ne laisse aucun doute, ce n’est pas une svastika, c’est bien une croix gammée qu’il a sur la nuque :

« c’est mon symbole pour dire que je viens pour exterminer ces conneries, je vais Nazifier cette merde, Hitleriser ces fils de pute. Mettre tous ces faux enculés dans la chambre à gaz et leur gazer la gueule. »

Toutes ces anecdotes aident Gunplay à se forger un personnage unique dans le paysage rap, et ne l’ont pas empêché d’être parfois un très bon rappeur… mais elles sont surtout de sérieux boulets pour quelqu’un qui souhaite devenir un artiste « grand public ».

Don Logan

Rick Ross a toujours été le garde fou de Gunplay, une sorte de super manager qui lui a appris ce qu’il fallait et ne fallait pas faire pour se construire une carrière.
Il y a d’abord cette histoire de pseudonyme. Gunplay l’apprendra sur le terrain, lors de sa première apparition en radio, avec Rick Ross. Au moment de présenter les loulous qui l’accompagnent, Rozay présente son bras droit comme « G-Play ». Et tout au long de l’interview c’est comme ça qu’il le désignera. Gunplay comprend que son pseudonyme ne peut même pas être prononcé sur les radios nationales, ce qui est compliqué quand on espère y entendre ses chansons tourner…
En conséquence, Rick Ross conseillera à Gunplay de regarder le film « Sexy Beast », un film de gangsters anglais. Dans ce film, il y a un personnage dans lequel Gunplay s’est reconnu : le bras droit du chef de la Mafia, un type colérique avec le coup de poing facile, tout comme lui à l’époque. « Je pense qu’il y a une bonne raison pour que Ross m’ait demandé de regarder ce film… » s’est alors dit Gunplay. Le nom de ce sous-chef de la Mafia, c’était « Don Logan » ; il décida donc d’en faire un second pseudonyme, avec lequel il pourra switcher à tout moment, un peu à la manière de ce qu’a pu faire Tity Boi/2 Chainz.

Autre conseil important de Ross à Gunplay : l’importance du choix des prods. S’il y a une leçon que tous les rappeurs sur terre doivent retenir de la carrière de Ross, c’est bien que les prods sont aussi importantes que le rap pour faire de la bonne musique. Alors, évoluant à ses côtés, c’est quelque chose que Gunplay a compris mieux que quiconque. Et d’abord avec Justice LEAGUE et The Inkredibles (All On You, Gunplay), mais surtout plus tard avec Lil Lody (Rollin’, Bogota), il a trouvé les parfaites combinaisons et l’équilibre pour habiller son rap sans le parasiter.

Bogota

S’il a fait des apparitions sur tous les albums solos de Rick Ross, c’est surtout en 2009, quand sort le premier album de Triple C’s, Custom Cars & Cycles, que le public a pu faire pleinement connaissance avec Gunplay. (Enfin, aurait pu, étant donné l’échec commercial de l’album). Sur ce disque bien trop sous-estimé, la star ce n’est pas Ross, encore moins Torch et Young Breed, mais bel et bien Gunplay. Ce sont ses couplets, et quelques une des prods, qui volent la vedette au reste de Triple C. A chaque fois Don Logan fait mouche grâce à l’accroche de ses couplets et quelques fulgurances.

A wad of money, not a lotta money
Most on the weed, just a broken dream
Tryna come up sellin’ somethin’
Buyin’ somethin’, tryin’ somethin’
Inside I’m sufferin’, outside I’m stuntin’
I’m bout mine, I’m thumpin’
Till God bring out the trumpet
Barack just a puppet
But no one listens to junkies
And no one hires a flunky…

Par la suite, avec ses mixtapes Sniffahill, Don Logan ou Inglorious Bastard, Gunplay aura le temps de se faire remarquer avec son lyrisme gangster, blindé de références illuminati, de jeux de mots sur les drogues et d’auto-célébrations dissimulant à peine les blessures de sa vie passée. « Inside I’m sufferin’, outside I’m stuntin« .

Amongst Wolves, Mom Sent Me Out. Never Sold My Soul, But The Devil Rent Me Out

C’est surtout le Gunplay débordant d’énergie que l’on retrouve sur ses mixtapes, et sur ses morceaux les plus connus car certainement les plus marquants: Rollin’, Bogota ou l’émeutier Jump Out. Et quand il s’agit de rapper comme s’il était une armée de légionnaires rassemblée en un seul homme, Gunplay est peut être ce qu’il se fait de mieux actuellement.

Après la signature de Triple C sur Def Jam en 2005, Gunplay est bien loin du trafic de drogues. Mais ses cachets lui permettent de poursuivre en toute quiétude sa consommation. Les soirées annulées, les interviews ratées, et toutes les conneries qu’il ne pouvait pas s’empêcher de faire en étant drogué continuent un temps. Gunplay raconte que c’est lors d’un photoshoot pour un magazine qu’il a compris qu’en agissant ainsi, ce n’était pas que lui mais tout son groupe qu’il ennuyait : alors qu’il arrivait encore complètement défoncé, les autres membres de Triple C se sont énervés contre lui : « Ce n’est pas que toi que tu défonces, tu nous fais tous chier là, et tu nous fais perdre de l’argent. C’est l’argent de Rick Ross que tu fais perdre« .

En plus des remontrances de son groupe, il y a aussi la naissance de son fils qui va progressivement le forcer à se calmer sur la drogue. Enfin principalement sur la cocaïne. A vrai dire, il confesse qu’il s’est laissé dépasser par sa consommation de cocaïne à une époque, et après avoir ressenti les premiers gros impacts physiques (narines détruites et extrême maigreur), il décide d’arrêter complètement la C.

Medellín

Bizarrement, Gunplay ne parle de son sevrage de cocaïne que depuis sa signature solo chez Def Jam (été 2012), en expliquant que ça fait maintenant presque deux ans qu’il s’est arrêté. A-t-il été obligé de s’inventer une désintox pour pouvoir vendre des disques ? Étant donné que dans le même temps il continue a vanter les bienfaits de la MDMA, on ne sait plus quoi penser, comment discerner le vrai du faux. Après tout, même pour ce qui est de son passé de grand dealer de coke, on n’a que sa parole comme preuve et on sait ce que vaut la parole d’un rappeur quand il s’agit d’avoir une crédibilité « rue ». Surtout dans la réalité alternative où évoluent Rick Ross et ses amis de MMG.

Aujourd’hui, à défaut d’être un artiste « crossover », peut être Gunplay est-il déjà un rappeur « hybride », mélange d’influences venues de la côte est et du plus profond du sud. C’est en tout cas comme ça que lui-même se décrit :

« Gunplay c’est des lyrics du nord avec le charisme du sud. Gunplay c’est un grand gumbo. Un « Gangsta Gumbo »»

Après toutes ses frasques, Gunplay semble s’être calmé -en dehors des studios- et enfin prêt à être un vrai professionnel. Au moment où j’écris ces lignes il vient de signer un contrat solo chez Def Jam, et son premier album solo devrait sortir dans le courant de l’année prochaine.
Pour celui-ci, il nous est promis un retour du personnage que l’on connaît déjà, ce diable de Tasmanie Illuminatus, tantôt surexcité, tantôt émotif ; tour à tour finaud, tour à tour polisson, tour à tour gangster, mais tour à tour généreux. Et en plus des habituels alliés, sont déjà annoncés Kendrick Lamar, avec qui il a déjà pondu le meilleur titre de 2012 (Cartoon & Cereal) ainsi que le légendaire DJ Quik, prouvant que Morales a bien retenu les leçons de Ross sur l’importance du choix des beats.
Le titre de cet album : Medellín. Gunplay n’a donc pas changé tant que ça.

« Quand j’ai sniffé de la coke à Medellin ils m’ont dit que ma carrière était terminée… Alors maintenant ils vont aller acheter mon album, qui s’appellera Medellin… Bande de suceurs, Noël est fini !« 

Crédits :

Texte : PureBakingSoda
Illustrations : Stephen Vuillemin aka acevee