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Avocat le jour, Matt Murdock devient le super héros Daredevil aussitôt la nuit tombée sur New York et son masque à cornes rouges enfilé sur le crâne. Son alter ego lui permet au moins trois choses. D’abord, de séparer sa personnalité et sa vie en deux. Ensuite, de protéger incognito Hell’s Kitchen, son quartier de Manhattan qu’il chéri comme une mère. Enfin, cela l’aide à libérer une part d’ombre sommeillant en lui, incompatible avec la vie diurne et normale à laquelle aspire Murdock. En suivant le comics Daredevil de page en page, on est trainé dans la crasse d’Hell’s Kitchen autant que dans la psyché tourmentée du héros aveugle de Marvel. Ses histoires à la voix narrative, comme si nous entendions sa conscience parler, font échos à ce que raconte la musique du rappeur Ka. Et vice versa.

Le jour, Kaseem Ryan serait un pompier de New York. C’est en tout cas ce que l’on raconte, lui n’ayant jamais confirmé (ni infirmé) l’information. Son alter ego ne prend vie qu’une fois la ville plongée dans le noir, à en croire l’ambiance de ses clips et des photos prises et affichées sur son blog. Pour devenir Ka, il n’enfile pas de masque mais écrit sur son territoire, le quartier de Brownsville à Brooklyn, dont il est une sorte de conteur et d’ange gardien.

Le pouvoir de Ka, c’est d’arriver à décrire et raconter le Brooklyn de la « Crack Era » trente ans après, mais de manière assez vive pour laisser croire que cela se passe aujourd’hui. Dans les années 80, Kaseem a vu les sols de Brownsville se fissurer pour laisser échapper des humains à moitié morts, amaigris et rongés par le crack. « J’ai vu des Zombies, confie-t-il, des sols jonchés de matériels d’injection. J’entendais des coups de feu et des gens mourir chaque soir. » C’est là où s’arrête le parallèle avec Daredevil : Ka n’a pas perdu l’usage de ses yeux et est forcé d’observer Brownsville tomber dans la décadence. En grandissant dans cette petite bulle d’enfer sur terre, Kaseem raconte qu’il est courant d’avoir eu un revolver entre les mains avant 12 ans, que l’ont voit ses voisins dépérir sans pouvoir intervenir, quand on n’est pas simplement forcé de les voler pour survivre. « Nous n’étions pas des mauvaises personnes, juste affamés. C’est la faim qui pousse à faire ce genre de choses. »

Un Crime Dans La Tête

LOLO

Son dernier album Days With Dr. Yen Lo débute par un supplice. « Blood, Blood, Blood… » du sang coule de la pointe d’un stylo et tombe au compte goutte sur le front de l’auditeur. On peut y voir une métaphore du style de Ka, qui s’est toujours efforcé de faire ressentir dans son écriture à quelle point il est habité par des choses qu’il aurait préféré ne pas connaître. « Je saigne dans mes chansons, parce qu’elles sont des extensions de moi-même. » Mais c’est aussi une référence aux tortures et manipulations psychologiques de celui qui donne son nom à l’album. Le Dr. Yen Lo est le savant fou Chinois du film The Manchurian Candidate, celui qui hypnotise Frank Sinatra et Laurence Harvey pendant la Guerre de Corée, afin de les transformer en assassins.

C’est encore Brownsville qui sert de décors à ce nouvel album. Days With… est un récit Noir sur New York, où ses rues sont évoquées à travers des contes funestes, des emmêlements de symboles et un labyrinthe de longues métaphores filées. On suit la voix de Ka, à priori poursuivi par la police, traversant des rues sèches comme un désert, pour décrire les conséquences d’une course à la fierté et aux richesses matérielles. Si les interludes, tirées du film qui inspire le thème de l’album, laissent entendre que quelqu’un subit un lavage de cerveau, on ne comprend qu’à la toute fin que les victimes potentielles ne sont autre que l’auditeur et les personnages de Ka : endoctrinés par une force invisible, ils ont été placés sur la ligne de départ d’une spirale menant au crime, à l’auto destruction et finalement, à la pauvreté dans toutes ses formes. Avec le titre Day 777, c’est aussi le rap qui est désigné victime de cette lobotomie, quand il se polit, se conforme, pour s’adapter à un moule qui le mène à sa perte. Quant à Ka, il conclue que si lui est toujours debout (dans la vie et dans son art) c’est certainement signe d’une élection divine.

Les textes complexes, faits de doubles voire de triples sens, rendent impossible la compréhension de chaque ligne à la première écoute. Ils font de Days With Dr. Yen Lo une sorte de manuel à décoder, d’autant plus qu’il est construit comme un journal dont les pages ne suivent pas l’ordre chronologique. Le travail d’écriture de cet album est, encore une fois avec Ka, hallucinant. Absolument chaque ligne prise à part reste lourde de sens, tout en ayant une place qui semble pensée à la fois dans le contexte de la chanson, et dans tout le storytelling de l’album. « Picasso ne pointe pas ses peintures en disant ‘yo, là c’est un taureau, là c’est un femme’. Je ne ferai pas ça non plus. Tu vois un taureau là ? Bien. Tu vois une femme ? Bien ! Ne me demandez pas d’expliquer ce que j’ai dessiné. » Et chacun reste libre de décrypter les symboles et allusions du Dr. comme bon le lui semble.

Ka donne du poids à chacun de ses mots grâce à son flow proche de la conversation, parfois presque chuchoté, comme s’il rappait avec la peur d’être entendu par quelque chose qui rôde. « Mon frère Ka rappe comme un prophète sur le sommet d’une montagne » dit Roc Marciano, et c’est vrai que l’impression d’entendre le prêcheur d’un culte hérétique est permanente. Par le passé, le flow sombre de Ka a pu faire penser à celui d’un cousin insomniaque de MF Doom ou Prodigy. Sur cet album, les variations et les harmonies chantonnées ou marmonnées rappellent parfois Raekwon, plus souvent Max B. En attendant Ice Cream Man de son partenaire Roc Marciano, l’évidence était devenue claire pour tout le monde, Biggavelli est partout dans le rap de Roc Marci, et sur Days With… on commence à en trouver quelques éclaboussures chez Ka.

Days With Dr. Yen Lo est en réalité un album en duo. Il est entièrement produit par Preservation, DJ et beatmaker, notamment pour Mos Def, et avec qui Ka avait déjà travaillé sur le EP 1200 B.C. l’année dernière. Le travail de Preservation complète et accompagne parfaitement les textes de Ka. Ses jeux sur les espaces et les silences pour créer des mouvements font osciller l’ambiance entre tension invisible et paranoïa. Le grain et les rythmes lents renforcent le côté suffocant du disque, pendant que ses samples précisément découpés de prog-rock des 70’s, nous replongent à l’époque des propagandes de la Guerre Froide. Preservation n’utilisent que très peu de boite à rythme, préférant avoir recours à des boucles d’instruments et rythmer ses productions avec des changements et superpositions de boucles. Encore une fois, c’est un choix qui nourrit la sensation d’oppression et l’aura mystérieuse dégagée par l’album.

Days With Dr. Yen Lo partage les qualités de The Night’s Gambit, précédent opus de Ka, la même écriture léchée et des drones atmosphériques en guise de production. « J’ai sorti Gambit pendant qu’on travaillait sur Yen Lo. Cet album était très influencé par le travail que j’entamais avec Preservation. » Mais cette fois, le concept global de l’album est poussé encore plus loin. C’est pourquoi Days With… est aussi un album opaque, qui n’accèdera jamais aux radios. Pourtant, et seul le temps permettra d’y voir un peu plus clair dans la brume du Dr. Yen Lo, il pourrait s’agir du meilleur album du héros de Brownsville. Une pierre de plus dans une discographie qui, avec quatre victoires pour quatre batailles menées, est sans conteste l’une des meilleures des années 2010.

Origines Secrètes

origine secrete

Les récentes réussites de Ka paraissent encore plus fortes quand elles sont replacées dans leur contexte, au bout de son parcours chaotique et de son éclosion tardive.
Ka a commencé le rap très jeune, tout juste après avoir entendu les premières rimes de Slick Rick au début des années 80. Sa carrière, on pourrait la résumer avec cette anecdote qu’il raconte souvent : au début des années 90, il se retrouve à un concert de celui qui deviendra bientôt une légende, The Notorious B.I.G. Le manager de ce dernier, Puff Daddy, harangue la foule et demande si quelqu’un se sent capable de défier son poulain dans un duel d’improvisation. Kaseem, persuadé de pouvoir rivaliser, lève la main, pour aussitôt se raviser.

Les hésitations et les rendez-vous manqués sont légions tout au long du parcours de Ka, heureusement sa famille et ses amis vont régulièrement lui remettre le pied à l’étrier. C’est un de ses cousins qui le présente à Mr. Voodoo, avec qui Ka et L Swift formeront le groupe Natural Elements. Les premières traces de Ka sur sillons se trouvent sur leur premier EP sorti en 1994 chez Fortress Records et produit par l’un des fondateurs du label, Charlemagne.
Mais dans la foulée, Kaseem quitte de lui-même le groupe, ne se jugeant pas au niveau des autres membres. Il est alors remplacé par A Butta et ne profitera pas de leur deal avec Tommy Boy Records. En 1998, il forme le duo Nightbreed avec son ami Kev, dit Oddbrawl. Epaulés par Charlemagne, ils sortiront le EP Two Roads Out The Ghetto, toujours chez Fortress Records, puis quelques singles et démos.

L’histoire de Ka aurait pu s’arrêter là. Malgré les démos envoyés aux labels, Nightbreed n’obtiendra jamais de contrat, et les deux amis finissent par lâcher l’affaire. Mais poussé par la passion et hanté par les vieux fantômes de Brownsville, Ka continue d’écrire et d’enregistrer des chansons dans son coin, même si rien ne sort, puisque rien ne le satisfait jamais complètement. Il dit avoir plusieurs milliers de chansons écrites à cette époque, stockées dans des disques durs ou confinées dans des cahiers de rimes.

L’air Giuliani, puis la crise des années 2000, n’aident pas à améliorer la situation à Brownsville. La présence policière s’accentue, comme les tensions, et « The ‘Ville » accueillent de plus en plus des gens chassés des quartiers alentours par la gentrification. Pour documenter une bonne fois pour toute la vie de son quartier, et remercier voisins, amis et famille qui l’ont porté et supporté jusqu’à présent, Ka se décide à sortir un album solo. En 2008, Iron Works est écrit comme un premier et un dernier disque, un adieu au rap.

Année Un

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Quasi entièrement produit par un ami du Bronx surnommé Yanedus, Iron Works n’est tiré qu’à 1 000 exemplaires, que Ka offre à son entourage et à quiconque assez curieux pour l’écouter.
La magie du bouche à oreille fait le reste, jusqu’à ce matin où Ka reçoit un coup de fil de GZA. Impressionné par Iron Works, le membre du Wu-Tang veut inviter Ka sur son album solo. Quoi de mieux pour terminer sa carrière que de rapper une dernière fois avec une de ses idoles ? Le morceau Firehouse aurait pu être le dernier clou planté dans le cercueil de Ka, s’il n’avait pas aussi déclenché sa rencontre avec celui qui produit le morceau : Roc Marciano.

Comme à tout héros de comics, ce qu’il fallait à Ka, c’était peut-être un mentor. C’est le rôle que va jouer pour lui Roc Marciano. Celui qui s’apprête alors à sortir Marcberg, l’un des premiers classics new-yorkais des années 2010, se lie d’amitié avec Ka et le pousse à poursuivre dans le rap. Aussi bien dans l’écriture que dans la production d’ailleurs, en expliquant à son collègue de Brownsville que si lui y arrive en s’y étant mis par dépit, il n’y a pas de raison qu’il ne devienne pas aussi un producteur correct.

C’est ainsi que quatre ans plus tard, Grief Pedigree voit le jour. Entièrement produit par Ka, avec pour seul invité Roc Marci. Encore une fois, la tournée des labels reste infructueuse, alors l’album sort en total indépendance, avec un Ka au four et au moulin. Il écrit, produit, fait la pochette et se lance dans la réalisation de clips. Le premier single Cold Facts, pur jus de Ka avec sa boucle hypnotique et son joyau lâché par seconde, est aussi la première vidéo filmée et réalisée par le rappeur. Quelques tutoriaux YouTube, une utilisation tâtonnée de iMovie, et Ka se découvre un nouveau hobby. Sa femme lui offrira ensuite Final Cut Pro, et les morceaux de son album seront clippés un à un par le rappeur.

DAVAL and RYAN

daval ryan

Fatbeats était un magasin mythique du Lower East Side de Manhattan. Point de vente du premier projet de beaucoup de rappeurs new-yorkais et vrai lieu de rencontre pour toute une scène qui se formait en 1994. Aujourd’hui, le magasin est fermé, mais c’est à son ancien emplacement que Ka s’est symboliquement posté, un carton plein de disques à ses pieds, pour vendre lui-même son album. Très peu de gens sont venus lui acheter Grief Pedigree, mais un matin, un type débarqué du New Jersey prend un exemplaire, en expliquant que c’est par Mos Def qu’il a entendu parler de Ka. Cet homme, DJ et producteur pour celui qui se fait maintenant appeler Yasiin Bey, c’est Preservation. Une rencontre qui donnera naissance quelques années plus tard au EP 12 000 B.C. et à l’album Days With Dr. Yen Lo. Parce qu’un super héros a aussi besoin d’un sidekick…

« Je ne suis pas un génie. J’ai dû travailler dur pour devenir bon. » Pour faire une musique pleine de flashbacks, de regrets et de réflexions sur le passé, il fallait bien que l’âme de Ka vieillisse un peu. En racontant sans fierté son passé de criminel qui en a trop vu, en nous faisant parcourir les allées les plus sombres du Brownsville d’hier et d’aujourd’hui, il prêche pour une forme de repentir et réalise un petit miracle dans le milieu très jeuniste du rap : être mature, sans en faire un postulat ou chercher à donner une leçon.

De Grief Pedigree à Days With… en passant par Night’s Gambit, ses textes denses et à tiroirs ont tantôt transformé Brooklyn en no man’s land, tantôt donné vie à ses murs et à ses nuits. Entre rêves perdus de richesse, course à la survie et contre les circonstances, questionnements moraux et références cinématographiques pointues, le rap de Ka est celui d’un personnage complexe et d’un véritable auteur. C’est aussi une esthétique léchées, avec des choix de productions forts afin d’avoir une véritable patte sonore, notamment en n’utilisant que très peu de boites à rythmes. Les basses et caisses claires peuvent être remplacées par des bruitages sourds et menaçants, comme les mécanismes d’horloges d’Our Father, qui semblent provenir de la boite crânienne en ébullition du rappeur. Des ambiances pesantes qui donnent l’impression de nous faire porter, avec Ka, le monde sur nos épaules, et épousent parfaitement son flow et l’univers dessiné par ses textes. En résumé, Ka est la preuve que l’on peut avoir la quarantaine, suivre les canons du rap des années 90, tout en continuant à expérimenter et à proposer une musique innovante et personnelle.

« La musique, c’est mon échappatoire, ma thérapie. J’en ai besoin pour rester sain d’esprit. Ca me permet de me débarrasser de ces images noires qui m’encombrent la mémoire. Je ne fais pas ça juste pour que ce soit fait, je le fais parce que j’ai besoin de le faire. »

illustrations : Hector de la Vallée

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Faire le tour du rap de Los Angeles revient à traverser les mille kilomètres de la ville à pied. Même en ne s’intéressant qu’à ces deux dernières années, il faudrait des pages et des pages pour simplement énumérer chaque disque, sous-genre ou micro phénomène nés là-bas. Parce que même si elle n’a plus l’éclat d’antan, Los Angeles reste une grande ville de rap, fonctionnant d’avantage en coulisse que par le passé, mais toujours laboratoire. Et pendant que Kendrick Lamar et TDE se sont envolés vers d’autres sphères, la Cité des Anges continue de vivre grâce à la musique de groupes d’artistes très différents, représentant chacun une des multiples facettes de la ville. Contentons nous d’en survoler trois : Les premiers ont transformé l’énergie solaire en machine à hits, les deuxièmes ont ravivé leur créativité à l’ombre des palmiers, et les derniers sont devenus des héros locaux en célébrant le traditionnel mode de vie californien.

Dijon McFarlane, dit Mustard, a fait ses classes en tant que DJ dans des soirées étudiantes d’Hollywood. De cette expérience, il dit avoir tiré la capacité de deviner avec une précision mathématique ce qu’un public souhaite entendre pour s’amuser. Pourquoi ne pas mettre à profit cette science de la fête pour produire une musique qui donnerait envie de danser à tous les coups? C’est après s’être posé cette question que DJ Mustard est passé des platines aux boites à rythme, afin de « donner naissance » à la ratchet music.
Pour bricoler ce son très épuré, Mustard a dépouillé deux styles californiens: les rythmes saccadés proviennent du jerk angeleno et les synthés hyphy de la Bay de San Francisco.
Une troisième influence transparait, peut-être moins évidente parce qu’originaire de bayous qui s’étendent à plusieurs milliers de kilomètres de Los Angeles. Les claps, les basses et les claviers épars rappellent aussi – surtout – le rap crado de Louisiane, celui de Young Bleed ou de Juvenile. Ce n’est pas un hasard si avec le temps, les jeunes acteurs de la ratchet music ont multiplié les références aux rappeurs de Baton Rouge et de la Nouvelle-Orléans, ont samplé certains classiques ou invité quelques légendes de là-bas.
Cet assemblage a engendré une ambiance salace, presque porno, comme si la musique cherchait à mimer le déhanché de la plus lubrique des strip-teaseuses de Sunset Blvd. C’est d’ailleurs de cet atmosphère que le son de DJ Mustard tient son surnom de ratchet, mot d’argot sans véritable équivalent en français, servant à designer une fille à la fois trash et furieusement sexy.

Avec le succès du single Rack City (deux millions de singles en un an), DJ Mustard s’est vu immédiatement estampiller hit-maker. Un an après ses débuts dans la production, il collabore déjà avec des stars du billboard tels que 2 Chainz ou Meek Mill, et est vite forcé de réappliquer la formule Rack City pour créer des tubes à la chaine. Mais plus intéressant, en attirant les projecteurs sur lui, Mustard draine quelques talentueux camarades. Englobés dans le mouvement ratchet à leur tour, de par leur affiliation au DJ ou simplement parce qu’ils sont jeunes et californiens, ces artistes s’appellent YG, Ty$ ou Joe Moses.

Originaire de Compton, le rappeur YG a été le premier à collaborer avec Mustard : la ratchet c’est aussi un peu son bébé. Si Mustard a été l’architecte sonore, YG est celui qui en a tissé les thèmes et l’attitude. L’esprit rappelle parfois celui du pimp Snoop Dogg, sauf qu’il n’est plus question de séduire les femmes pour des raisons crapuleuses, mais pour faire la fête, donner du plaisir et en recevoir. Grâce à cet univers de frimeur fornicateur, et au succès du titre Toot it and boot it, YG décroche un deal chez Def Jam puis CTE World, le label de Young Jeezy.
Aujourd’hui même d’anciens gangsters se sont rattachés au wagon YG pour donner un nouveau souffle à leurs carrières. Les derniers singles de Jeezy ou Yo Gotti invitent YG et/ou DJ Mustard pour transpirer cette Californie.
My Nigga, rampe de lancement pour l’album à venir de YG chez Def Jam, est un des plus gros tubes de l’année. Avec Jeezy et Rich Homie Quan pour lui ouvrir les portes de la Mecque du rap, YG a réussi quelque chose de rare : avoir un des titres les plus joués à Atlanta en 2013, sans en être originaire.

Sur Toot it and boot it on retrouvait au refrain un autre énergumène du mouvement, Ty Dolla $ign. Ce dernier, avec la mixtape Beach House, amène la ratchet music sur des terres R’n’B, en y couplant ses claps et ses claquements de doigts à des mélodies éthérées et à un chant légèrement autotuné. En plus de démontrer tout le potentiel pop de Ty$, Beach House fait déjà des émules puisqu’on en retrouve les traces évidentes dans des titres comme Pour it up, un des singles phares du dernier album de Rihanna.
Comparé à l’ancêtre louisianais, la ratchet californienne de Mustard sonne souvent un poil policée, comme si la boue collée aux basques des Hot Boy$ n’avaient pas supportée le soleil de Californie. Ty Dolla $ign fait parti de ceux qui ont réussi a apporter un supplément d’âme à cette musique, en incarnant parfaitement l’attitude qu’elle a voulu se donner. Pré-évolution lubrique de The-Dream, son machisme exacerbé devient romantisme grâce à ses envolées d’autotune. Sur ce terrain où le R’n’B moderne à réussi à faire passer bon nombre de ses acteurs pour des eunuques fantasmant le sexe, Ty$ apparaît comme une star de film érotique.

Décidément dans tous les bons coups de cette ratchet music, Ty$ s’est allié avec DJ Mustard pour produire un autre des meilleurs projets du genre: Whoop!. Grâce à la présence de Joe Moses, rappeur gangster affilié au BSM de Waka Flocka, Whoop! retisse des liens entre ratchet et traditionnel gangsta-rap californien. Le R’n’B de Ty$ se révèle alors avoir des relents de G-Funk, et l’ensemble arrive à nous faire penser à DJ Quik et aux Dogg Pound, dont un des membres, Kurupt, fait d’ailleurs deux apparitions sur la mixtape.
La combinaison Joe Moses – TY$ mérite d’être creusée, dommage que le label du dernier ne soit pas de cet avis et semble forcer son artiste à porter le préservatif. Espérons que cela ne nuise pas trop à l’avenir du Dolla $ign, car même si celui-ci s’annonce radieux, il serait dommage de le voir finir en machine à refrains aseptisés.

Isolé de son groupe pendant leur ascension fulgurante, Earl aurait pu avoir du mal à s’y réintégrer ou à reprendre le cours de ses créations. Surtout que, ne l’oublions pas, si sa mère l’envoyait se perdre aux Samoa, c’était pour le punir de son rap odieusement génial.

A son retour, le fascinant garçon a pris le temps de faire des choix intelligents pour sa carrière. Plutôt que de foncer tête baissée dans l’écurie de ses amis, il a monté une structure indépendante, Tan Cressida, et s’est choisit une conseillère de choix. Cette dernière, Leila Steinberg, est connue pour avoir été le premier mentor et manager du tout jeune Tupac Shakur, et n’aurait pas tardé à coller Ray Luv dans les pattes du garçon pour le coacher.
On pouvait penser que l’aura magique d’Earl s’estomperait une fois le brouillard autour de sa disparition évaporé, pourtant, de part ses choix étrangement matures, le garçon n’arrête pas de fasciner. Et, parce que c’est bien le principal, sa musique continue d’alimenter cette fascination. Sur une production à priori minimaliste mais en réalité truffée de détails, Earl se remet à nous parler, entre haine et amour, de son père absent, de son mal être et de sa récente notoriété. Chum était le premier extrait de Doris, son deuxième album. Il ne nous avait rien promis de particulier, mais ce titre, encore une fois accompagné d’un vidéo-clip surréaliste, a fait entrer Doris dans la catégorie des grosses attentes de l’année.

Finalement sorti en aout dernier, Doris met un point final à l’un des plus grands mystères du XXIème siècle : Earl et l’Île de Lost ne font qu’un, son album et la série TV partageant les même protagonistes.
A la manière d’un John Locke émerveillé par les pouvoirs de l’Île, la fanbase d’Earl avait érigé ce dernier en Messie, incarnation quasi mystique d’un rap aussi crade que virtuose. Ceux là ont sans doute été désarçonnés par le disque, Earl ayant complètement laissé tomber ses délires trashs d’adolescent et même une bonne partie de ce qui le rattachait à l’identité de son groupe d’origine. Seules les apparitions de Tyler viennent nous rappeler que le gamin est membre d’Odd Future. Son grand frère d’adoption sonne d’ailleurs presque hors contexte dans Doris, et chacun de ses couplets comme une tentative de Jack Sheppard de ramener tout le monde à la vieille réalité. Dans la jungle de Doris, on croit entendre MF Doom et Flying Lotus chuchoter dans les arbres sans jamais montrer le bout de leur nez, pendant que RZA, Alchemist et les Neptunes surgissent de nul part comme des ours polaires en plein climat tropical. L’ensemble, tenu par les productions d’Earl lui même et du duo Christian Rich, nous coupe du monde pendant 45 minutes – qui semblent durer des heures tant le disque est dense – nous enferme avec une bande d’ados qui rappent en donnant l’impression de s’en fichent de ce qu’on attend ou va dire d’eux. Chaque variation de prod et enchainement de titres abruptes semblent tout de même avoir été pensé, pensé pour que tout nous fasse perdre le nord, nous déroute, nous surprenne.
A la fin de l’album, Earl ne nous à amené nul part, n’a délivré aucun message et à simplement raconté son histoire, mais le voyage se suffisait à lui même. On ne demande qu’à y retourner. Et à chaque nouvelle excursion dans l’univers de ces ados sortis du temps et de l’espace, une nouvelle image apparaît, un nouveau détail de production se dessine mieux, pour au final nous rappeler sans cesse.

L’insulaire Doris n’a pas oublié son Sawyer et son Hurley. Le premier, a priori second rôle possédant les arguments pour devenir le vrai héro de l’histoire, c’est Vince Staples. Le rap de ce résident de Long Island est nettement plus voyou que celui de ses copains. Un rap de rue sombre, mature, mais pas toujours très accessible faute à un timbre monocorde et un choix de prods un peu hasardeux dans ses propres projets. La place que lui a laissé Earl sur son album (trois apparitions, dont un couplet gangster sur-armé de plus d’1min30) fait de lui plus qu’un invité sur le disque.
Cette année, Vince Staples est derrière un autre très bon projet « solo », avec pour une fois des productions qui font honneur à ses textes du début à fin. Stolen Youth est entièrement mis en musique par un certains Larry Fisherman…
L’Hurley de la bande, c’est lui, Larry Fisherman a.k.a Mac Miller, MC médiocre et millionnaire, abhorré par les auditeurs hardcore de rap, adulé par les collégiennes et les blancs de fraternités. Mais la tête à claque ultime de rap US a réussi quelque chose de fort depuis qu’il a quitté Pittsburgh pour la Californie: Il a commencé par démontrer qu’il était un bon producteur, puis a sorti un disque miraculeusement correct.

Le bénéfice de ses collaborations « organiques » sans doute, puisque Vince, Earl, FlyLo mais aussi Schoolboy Q et Ab-Soul ont tous parlé de l’omniprésence de Mac Miller quand ils sont en studio à L.A.. Et ce dernier ayant déjà démontré par le passé ses capacités d’éponge (pour rester sympa) il n’a pu que gagner en expérience aux côtés de ces talentueux Californiens. L’album Watching Movies With The Sound Off montre un Miller qui a appris à prendre le temps de bien mâcher ses influences avant de les recracher. Alors qu’il se contentait de présenter un numéro d’imitateur de supermarché dans ses premières mixtapes, il délivre ici quelque chose d’un poil plus personnel et surtout de beaucoup mieux construit. Le disque tient quasi uniquement grâce à ses productions, sans cesse teintées d’une légère mélancolie et empilant les détails sonores qui surgissent comme des réminiscences du passé. En somme, cet album de Mac Miller respire encore une forme de nostalgie, mais cette fois le rappeur est assez vieux pour qu’elle ne soit plus artificielle.

Dom Kennedy, et si c’était lui le vrai patron de Los Angeles ? Après le succès de son Yellow Album (presque platine en téléchargement et le single My Type of Party en rotation pendant des mois), il s’offre avec Get Home Safely des chiffres de démarrage trois fois plus élevés que le dernier Schoolboy Q. Forcément très convoité, Dom Kennedy s’est permis d’envoyer balader Rick Ross puis Interscope, préférant faire fructifier au maximum les bénéfices d’une énorme et loyale base de fan en restant indépendant. Si vous traversiez vraiment Los Angeles cette année vous pourriez constater que le rappeur préféré des locaux, c’est effectivement lui.

Pour bien cerner qui est Kennedy, on pourrait le comparer à tout un tas de personnages cool de série, de Fonzy à Dylan de Beverly Hills, mais ça ferait beaucoup de comparaisons avec la télé dans un même article. Kennedy est tellement bon sur ce crédo qu’il n’a pas besoin de beaucoup forcer, de parler de choses exceptionnelles, ni même de tellement rapper. En étant simplement lui même, avec un délivré à la limite du spoken word parfois, il détend le quotidien. Il n’a pas l’ambition d’être un grand rappeur mais, comme dirait le Captaine Nemo, c’est un « designer sonore » qui fournit les parfaites ambiances pour le mode de vie californien, la fête au ralenti sous les palmiers et les grandes traversées en décapotables sur suspensions hydrauliques.
Quasi entièrement produit par The Futuristiks, sorte de pendant funk à ce que sont les Justice L.E.A.G.U.E. à la soul, Get Home Safely est de loin son meilleur projet en date.

 Illustrations : Pierre Thyss

Certains passages sont des extraits épurés et remaniés d’articles écrits pour Tsugi n.60 & n.62 

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La capitale de l’Etat de Tennessee n’a pas usurpé son surnom de Cashville. Seconde ville la plus importante pour l’industrie musicale américaine, les plus gros labels y ont tous installé bureaux et studios, si bien que chaque année ils y génèrent presque 7 milliards de dollars.
Appelée aussi Music City, on dit qu’elle est le berceau de la Country. Elvis Presley, Bob Dylan ou Johnny Cash y ont en effet accouché quelques disques et on y trouve encore aujourd’hui des hauts lieux du genre, tels que le Ryman Auditorium et le Country Hall of Fame.
La petite blanche préférée des rappeurs qui codent leurs communications, Miley Cyrus, est aussi originaire du coin. D’ailleurs, qu’en est il de la scène rap locale ? La ville étant un vrai temple et moteur de la musique américaine, on se dit qu’il y a toutes les chances pour que la seule musique encore excitante de notre air y soit bouillonnante. C’est presque le cas. Mais alors pourquoi Young Buck, ex membre du G-Unit de 50 Cent, est-il le seul à avoir connu un semblant de gloire internationale ?
D’autres ont bien rencontré un petit succès, parfois au delà du Tennessee, mais ils sont trop peu comparés à la masse de disques de rap produits par Nashville. Et c’est un succès tout relatif, les noms de Pistol, Kool Daddy Fresh, Haystak, Quannie Quash, Boogie, Papa J, Greenwade ou Big Lou étant aujourd’hui totalement inconnus du grand public.

A Nashville, on explique cette difficulté à percer nationalement par le manque de lien entre les rappeurs locaux. A Atlanta, Memphis, New York ou New Orleans, on a compris que l’union fait la force et qu’il est bon de tenir les portes qu’on s’est ouverte pour que les copains puissent en profiter, pendant qu’à Nashville ce serait surtout « tout pour sa gueule ».
Dans le même ordre d’idées, l’absence d’un label rap de poids ne joue pas en leur faveur. Résultat, les clubs et les radios de la ville jouent en priorité les artistes d’Atlanta ou Memphis qui, eux, bénéficient de l’appui de grosses structures de diffusion.
Enfin, le rap de Nashville souffre aussi d’un manque d’identité forte, oscillant bien trop souvent entre les sonorités que l’on accole à d’autres villes, comme NYC, Memphis, Los Angeles, New Orleans ou Houston…

Alors c’est d’abord via des « figures », des personnalités fortes aux vies mouvementées, que le rap existe à Nashville. Certains ont réussi à vendre plusieurs centaines de milliers d’albums, d’autres sont devenus de vraies légendes de l’underground. En cherchant bien, on y trouve même un des rappeurs les plus passionnants encore en activité.

Si vous êtes assez curieux pour aller explorer les bois qui longent Hilsboro Road, vous finirez sans doute par tomber sur « Le Château ». Loin du centre et cachée par la forêt, l’intrigante bâtisse est au centre d’une longue liste d’histoires. Il faut dire qu’en plus de son apparence et de sa situation, elle a le pédigrée pour être le décor de toutes les légendes et fantasmes possibles.
Ce « Château » est érigé à la demande d’un certains John P. Welch en 1929. Trois ans plus tard, les constructions sont terminées et « Le Château » commence à accueillir un club de gentlemen offrant des cours d’équitation. Enfin ça, c’est la version officielle, parce qu’en réalité le lieu accueille des activités bien moins distinguées, et John P. Welch n’a du gentleman que les costumes taillés par un grand couturier… L’homme est en fait un bookmaker aux ordres du balafré, Al Capone, qui avant de se faire arrêter cherchait à étendre son activité dans le business des jeux. Son Boss en prison, Welch aurait tout de même ouvert un casino clandestin dans les sous-sols du « Château ».
A la mort du proprio en 1945, les activités du « Château » cessent, et il sera transmis de propriétaire louche en propriétaire crapuleux, sans jamais n’être ouvert au public. On dit qu’il est resté l’endroit idéal pour se cacher quand on est un gangster en danger de mort, l’endroit regorgeant de tunnels et passages secrets débouchant sur des tombes factices, pratiques pour la fuite.

Mais un demi siècle après sa fondation, « le Château » ne peut plus échapper à l’industrie qui fait tourner Nashville : Dans les années 80, la famille Nuyens le transforme entièrement en studio d’enregistrement. Le voici devenu la place forte idéale pour venir se couper du monde pendant plusieurs semaines afin d’y travailler un disque.

C’est au « Château », en 1987, que les premiers rap de Nashville sont enregistrés.

Blow Pop Crew devient le premier groupe de rap de Nashville a être pris au sérieux, et fera le tour du Tennessee à base de premières parties de N.W.A., Ice T, Eric B & Rakim, Public Enemy, Mantronix ou 2 Live Crew.

Ce type de groupe, construit sur le modèle de Blow Pop, germe au kilo pour devenir la norme à Nashville. Top Secret et New Style sont les deux autres posses à connaître un peu de succès et, comme leur modèle, à faire des tournées grâce aux premières parties. C’est au sein de New Style Posse, suite aux envies de Tim Moss a.k.a. M.C. Fresh, que va naitre le premier rappeur de Nashville à avoir une carrière solo : A la naissance de sa fille, Tim change de nom de scène pour devenir Kool Daddy Fresh, quitte son groupe de rigolos et devient une des premières vraies figures du rap local.

Si le ralentissement des rythmes reniflés sur les disques de Blow Pop, Top Secret et New Style, les ancrent d’un pied dans le Sud, leur rap ressemble quand même beaucoup à ce qu’on entend à New York (cf cet article sur Blow Pop). C’est avec Kool Daddy Fresh et sa manie d’étirer nonchalamment les syllabes que Nashville va pouvoir commencer à faire siffler les oreilles des new-yorkais. Des groupes comme UGK ou 8ball & MJG ont commencé à marquer la musique de leurs grosses empreintes, et sur son premier album « It’s All True » en 1994, Daddy Fresh s’inspire franchement de ce genre de gangsta rap. Aux côtés des rythmes lents et synthétiques qu’affectionnent ces gangsters du sud, on trouve des morceaux sous influences g-funk, ainsi que quelques ambiances plus sombres, habillées de rires rauques, rappelant que le funk sinistre de Memphis est en train de naitre non loin de là.

Son plus gros succès, aussi bien critique que financier, vient avec «Plottin’ / Licensed To Chill ». Toujours a mi-chemin entre les sonorités west coast (voire Bay Area quand les synthés s’y mettent) et le rap des campagnes sudistes façon Pimp C, ce deuxième album s’écoule à près de 200 000 exemplaires et lui permet de devenir le premier rappeur noir à se produire au Ryman Auditorium. Sa cote devient telle que même le très blanc gouverneur du Tennessee se démène pour être aperçu aux côtés du Kool Daddy, probablement dans l’espoir de gagner d’avantage de sympathie dans la communauté noire…

Entre quelques noms obscurs, ce disque accueil un couplet du légendaire pimp de Memphis, Playa G, et les traces d’un énergumène lui aussi originaire de Nashville, Pistol. Ce gros rappeur un peu bourru s’apprête à définitivement placer la ville sur les cartes du rap.

C’est en 1994 que Nashville devient une vraie ville de rap. Cette année là, en plus de la sortie du premier disque de Kool Daddy Fresh, un rappeur réussit à obtenir un contrat très important symboliquement.

Leroy Gordon dit Pistol est originaire du quartier Preston-Taylor. Le garçon commence la musique très jeune en participant aux concours de talents de la ville, mais avant son fameux deal, n’y voit rien d’autre qu’un passe temps entre deux transactions crapuleuses. Son rap est cru, naturellement violent, car inspiré du quotidien de Preston-Taylor, zone réputée la plus dure de Nashville. Le côté parfois très réaliste de ses textes fait de lui un quasi journaliste du ghetto, même si l’essentiel de son rap est animé par la flambe et l’autocélébration. On le connaît aussi pour la sensibilité voyou qu’il insuffle parfois à ses chansons, à la manière de ce qu’ont fait Tupac ou Scarface, avec qui il partage ce besoin d’allers-retours entre les moments de gloire et les ambiances très noires. Cette noirceur il la travaille aussi par le choix de ses productions, s’inspirant majoritairement du plus sombre de la country dont sont friands UGK ou les Geto Boys, mais aussi des rythmes les plus lancinant possible de la g-funk californienne.

En 1989, avec les profits de sa débrouille, Pistol se paie l’enregistrement de sa première cassette audio «Young Gangstas», sur laquelle Kool Daddy Fresh fait déjà une apparition. Nashville étant à cette époque complètement déconnectée du rap game, Pistol enregistre ce projet uniquement pour son quartier et ne produit qu’un nombre limité de cassettes qu’il dépose au New Life Records Shop d’un dénommé Lee. Il est alors loin de s’imaginer que seulement quelques jours après, Lee le rappellera pour avoir d’autres exemplaires de la K7… Puis le rappellera, encore, et encore, à chaque rupture de stock… Jusqu’à ce que tout Preston-Taylor ait son exemplaire.

Commençant à faire parler de lui au delà de son quartier d’origine, Pistol est approché par K-Rob, un homme rodé au business qui lui propose de prendre en main sa carrière. Ce dernier devient le VRP de Pistol et se traine de concert en concert pour faire la promo de son poulain. Lors de la venu d’8Ball à Nashville, K-Rob rencontre en loge le patron du label Street Flavor, Kevin Grisham, qu’il convainc de presser le premier album de Pistol.
Impressionné par les démos, et n’ayant à l’époque aucun autre artiste dans leur roster, Street Flavor est prêt à mettre le paquet. Toujours à mille lieux d’envisager une carrière de rappeur, Pistol est lui abasourdi en apprenant que pour le premier pressage, le label prévoit plus de 10 000 exemplaires.

« Mais qu’est-ce que vous allez faire avec ça ? Genre… Qui vend autant de CDs ? »

Pistol boucle pour eux son premier véritable album «Hittin’ Like a Bullet», et retourne aussitôt faire ses affaires dans la rue. S’il ne se soucie pas tellement des ventes de ce projet, Pistol en constate inévitablement le succès : à chaque passage par les locaux de Street Flavor, il voit les piles de disques s’amenuiser. Et les 10 000 CDs s’envolent sans que Pistol n’ait le temps de comprendre ce qui lui arrive. C’est un coup de téléphone qui lui fera prendre conscience de son succès, et qui surtout l’aidera à envisager le rap comme un métier.
Harcelé par cinq labels qui souhaitent enrôler Pistol, Street Flavor demande à son artiste de faire un choix. Dans le lot RCA et EPIC sont prêts à lui dérouler un tapis d’or et de billets, mais au moment de prendre la décision finale, le téléphone sonne une dernière fois. Eazy-E est en ligne, avec une petite place pour Pistol dans le roster de son label.

« MEC ! T’as même pas à me demander. Je vais avec Eazy ! On rappe les même choses ; et c’est le genre de trucs que les labels n’aiment pas! »

Le choix est vite fait, et il ne reste plus à Pistol qu’à parapher son contrat qui le liera à Ruthless Records. En ressortant «Hittin’ Like a Bullet» sur Ruthless, Pistol fait exploser les remparts qui entouraient Nashville. Et voyant l’un des leurs passer sur MTV et trainer avec des légendes vivantes, les jeunes de la ville commencent à massivement embrasser des carrières de rappeurs.

Cette signature sur un label de la côte ouest apparaît évidente quand on écoute l’album de Pistol. Ses sirènes stridentes, samples et saxos funk le font encore énormément ressembler à un disque de dope dealer californien. Même dans les textes, les références à la côte ouest et à son mode de vie (il cruise en 64′ comme Eazy-E) peuvent faire penser que Pistol est originaire de L.A. (et lorsqu’il évoque le « Ouest Side » il s’agit sans doute de l’ouest de Nashville, mais cela ne fait que s’ajouter à la confusion). Seules quelques émanations country resituent le disque dans le sud.

Pistol ne sortira qu’un seul album chez Ruthless, les suivants étant défendus par Street Flavor à nouveau, puis Topadaline et Platinum Plus Music. Avec pratiquement un disque tous les deux ans jusqu’en 2010, une carrière toute en progression et forte de succès (au moins 100 000 ventes pour chacun de ses albums), Pistol devient une vraie légende underground. Avec le temps il s’éloigne de ses premiers amours west coast, avec des albums qui ressembleront de plus en plus à des produits à mi chemin entre les prêches de rue d’un Scarface et l’exubérance d’un Master P. Ces deux têtes d’affiche du Sud sont très certainement ses deux plus grandes inspirations dans la deuxième moitié des années 90. Une période qui est incontestablement son apogée artistique, grâce à des disques comme « They Shoulda Kill’d Me », « Money and the Power » et « Ballhollic »… et cela même si on se demande parfois s’il n’est pas en train d’imiter Tupac… ou d’imiter Master P imitant Tupac.

Après Pistol, une poignée de rappeurs de Nashville vont réussir à gagner une reconnaissance régionale. Parmi eux, Quanie Cash, Haystak et Big Lou sont parmi les plus remarquables. Et en multipliant les collaborations les uns avec les autres, en invitant sur leurs disques les vieilles gloires de Nashville et les rookies, ils aident à construire l’embryon d’une vraie scène locale.

Avant d’être un rappeur, Quanie Cash est le patron de Bottom Boyz Recordz, label qu’il monte en 1995 sans doute motivé par le succès de Street Flavor et Pistol. Mais avec le temps ses modèles deviennent plutôt Cash Money et No Limit Records, dont les Empires commencent à générer des millions de dollars. C’est quatre ans plus tard que Quanie Cash passe de l’autre côté du micro, encore une fois très inspiré par les gangsters de No Limit puisqu’il a tout pour se faire passer pour le quatrième frère Miller : l’attitude irrévérencieuse, le flow rageur, les prods clinquantes chargées en or et les pochettes Pen & Pixel.
Son plus bel effort est probablement « The Real Testimony », une heure et demi de rap de garçon gouttière et de TR-808 qui n’a rien a envier à certains disques de Silkk The Shocker. Suivront des compilations et des albums servant de B.O. aux films qu’il produit et réalise lui même.

Haystak est un peu à part dans cette petite constellation de rappeurs. D’abord, il est blanc. Ensuite, sa musique à d’avantage de points communs avec la traditionnelle country de Nashville qu’avec ce que font ses collègues rappeurs. Certes il rappe, mais jamais sans guitare ou piano plus campagnes qu’un mollard bien marron. Combinaison un poil déprimante entre un cow-boy solitaire et les moments les plus émo d’Eminem, difficile de dire si Haystak peut plaire à qui n’est pas un vrai campagnard du Tennessee. Il s’est en tout cas construit une belle fanbase de cous rouges, et enfantera quelques autres rappeurs blancs émotifs à Nashville. Aujourd’hui, le collègue de Lil Wyte, Jelly Roll, en plus d’être son quasi-sosie physique, lui ressemble beaucoup en tant que rappeur.

Big Lou est un rappeur plus anecdotique, mais mérite d’être cité pour avoir à son actif un album qui tente de synthétiser dix ans de rap à Nashville. On retrouve sur « Perfect Timing » les légendes du coin (Pistol, Boogie, Papa J) et toutes les sonorités que la ville apprécie : Beaucoup d’orgues bien country et quelques morceaux sinista-funk comme « Diggin the grave ». Mais encore une fois l’album est majoritairement marqué par la domination de l’écurie de Master P à l’époque, avec des prods où, sur les rythmes lents et secs d’une TR 808, s’entrecroisent des mélodies de quelques notes de synthés et des boucles de pianos.
Le disque accueille surtout le couplet d’un jeune sauvageon alors inconnu, qui fait ici une de ses premières apparitions avant de devenir la plus grosse star que Nashville ait connu : Young Buck.

Est-il nécessaire de revenir en détail sur Young Buck et sa carrière ? Son charisme et sa paranoïa feront de lui un membre temporaire du G-Unit de 50 Cent, et un artiste international avec à son actif un premier album studio certifié Platine. Buck, ce sont des disques produits par la crème de la crème (Dr.Dre, Lil Jon, DJ Toomp, Three 6 Mafia, Drumma Boy), une voix rauque et puissante reconnaissable entre mille et une capacité à lacher complètement prise lui permettant d’insuffler une energie quasiment infinie même à la plus anecdotique des prods d’Eminem.

Après avoir été promené de label en label (Cash Money, UTP, G-Unit), après avoir échoué à faire du sien, Ca$hville Records, un vrai succès, après avoir laissé sa paranoïa lui bouffer la vie au point de s’embrouiller avec pratiquement tous les gens avec qui il a collaboré, après avoir été affaibli par des problèmes financiers, puis honteusement achevé par le fisc, le voilà finalement en prison pour des broutilles… Bref, la carrière internationale de Young Buck est probablement terminée, même s’il continue à polire quelques pépites inspirées par sa galère. Il lui reste le circuit de la mixtape gratuite pour l’aider à remplir quelques petites salles de concert du Tennessee.

Plus que d’avoir offert à Nashville ses premiers blockbusters et quelques excellents projets un peu moins connus (ses mixtapes avec Drumma Boy…), le plus beau cadeau que Young Buck ait fait au public rap, c’est de lui avoir présenté l’un des rappeurs les plus passionnants du XXIème siècle. Même si encore aujourd’hui il n’y a pas un auditeur sur dix qui en a déjà entendu parler.

Au sommet de sa gloire, Young Buck est invité par BET à dévoiler son TOP 50 Dirty South devant des millions d’américains. Entre les inévitables grands classiques, la star du G-Unit place un nom dont pratiquement personne n’a encore entendu parler, en dehors de quelques acharnés dans le Tennessee.

« C’est le prochain gros artiste qui va sortir de Nashville. Rappelez-vous bien de son nom. All Star, the Cashville Prince. »

Le phénix est un oiseau connu pour toujours renaître après s’être consumé sous l’effet de sa propre chaleur. La carrière de Starlito (anciennement All Star) s’apparente un peu à ces cycles que vit le phénix. Elle est faite d’ascensions, de chutes et de renaissances. Une alternance de hauts et de bas qui, tout en ayant émoussé le rappeur au point de l’avoir complètement et irrémédiablement dégouté de l’industrie du rap, l’a aidé à se forger, à se transformer, à progresser, jusqu’à devenir l’un des tous meilleurs en activité.

C’est presque par hasard que Jermaine Eric Shute est devenu rappeur. Au début des années 2000, alors qu’il est encore à l’Université d’East Memphis et envisage plutôt une carrière de sportif, il s’achète un clavier, histoire de faire des beats pour passer le temps. De son propre aveu il n’a vraiment aucun talent pour la production, et n’arrivant pas à refourguer ses bouses, commence à rapper dessus. De ses freestyles naîtront quelques mixtapes qu’il grave et fait tourner autour de lui. Et pendant que ses proches lui font remarquer ses facilités pour écrire et rapper, Jermaine se met tout doucement à se passioner pour ce nouveau hobby.
Dans son sac de cours on finit par ne plus trouver que des mixtapes gravées, qu’il vend lui même sur le campus. Ainsi débute la carrière d’All Star.

Bien qu’élevé dans l’Est de Nashville, c’est d’avantage le rap d’Atlanta et de Memphis qui a bercé Jermaine Shute et qui logiquement guide ses débuts en tant que rappeur. A cette époque on retrouve dans le rap d’All Star l’attitude et les ambiances développés par la toute toute jeune Trap Music. T.I., Jeezy et Gucci commencent à faire parler d’eux et à imposer ce style qui va influencer une bonne partie des rappeurs des années 2000, à commencé par All Star donc.
Que ce soit sur des faces B ou entouré de cuivres agressifs, guidés par les charlestons et caisses claires des découpeurs de drogues, celui qui s’auto-proclame « Prince de Cashville » est alors avant tout un rappeur à punchlines. A cette époque, il rappe souvent les même histoires de rues, de flambe et de violence, sur le même ton menaçant que beaucoup de trappeurs, mais avec un sens de la formule qui tape efficacement là où on ne l’attendait pas. Et dans la masse de ses freestyles, des fulgurances laissent aussi entrevoir le début d’une écriture bien à lui, lui donnant un côté plus réfléchi que ses collègues.

De cette séries de mixtapes à freestyles commencée en novembre 2003, il vend 800 exemplaires du premier volume, puis  3 500 du deuxième. Il gagne en audience à chaque nouveau projet, étend sa juridiction de la fac jusqu’aux clubs et chaque terrain de sport de Memphis et Nashville, et finira par écouler plus de 20 000 CDs d’un volume 5 entièrement produit par son premier collaborateur régulier : Fate Eastwood.
Entre la sortie des volumes 3 et 4 de ces K7, portée par un public local, la musique d’All Star va venir passer les portes d’un barbershop de Memphis où Yo Gotti, le Roi de la ville, a ses habitudes. Intéressé par ce qu’il entend, Gotti entre en contact avec All Star et lui propose de s’associer autour d’un contrat qu’il doit signer avec Cash Money Records. Avec seulement ses quelques mixtapes au compteur, voilà le jeune All Star en position de signer en major… moins d’un an après avoir officiellement débuté sa carrière.

« On est allé ensemble chez Cash Money pour signer ce contrat. Au départ je pensais que c’était une bonne idée… »

Forcement motivé par l’idée de devenir une superstar qui fait pleuvoir l’argent, All Star signe un contrat avec le label de Birdman. Derrière son coup de crayon, se cache aussi l’espoir de transformer l’affaire en un album qui enflammera le Sud… et pourquoi pas les USA.

Au départ loin de penser que parapher ce bout de papier pour Cash Money était la pire décision de sa vie, All Star sera vite forcé de le constater. Dans les faits, malgré son supposé nouveau statut, le garçon est obligé de continuer à forger son public comme s’il était un indépendant, à coup de projets gratuits et de concerts dans les clubs de Nashville. Cette situation dure des années, mais le travail paie. Il progresse, en même temps que sa région apprend à l’aimer, et c’est à cette époque que Young Buck le découvre et lui fait un coup de promo inespéré sur BET. Les deux rappeurs et toutes la clique Ca$hville collaborent d’ailleurs à plusieurs reprises ces années là, et Buck s’ajoute à la liste des grands noms qu’All Star côtoie, sur laquelle on retrouve aussi Yo Gotti et Young Jeezy. En 2005, il est à peine exagérer que de dire de « Street Ball », son premier album, qu’il est un des disques les plus attendus dans le sale Sud. Mais il sera toujours attendu en 2006. Puis l’année suivante, et encore celle d’après…

La carrière solo d’All Star n’est de toute évidence pas une priorité pour Cash Money, qui pourtant tient un rappeur qui ne cesse de démontrer ses qualités. Parce que depuis ses freestyles de trappeurs, le Prince de Cashville a commencé à changer. Les deux volumes de Starlito’s Way sont certainement les projets qui témoignent le mieux de cette évolution.
S’il est toujours le violent rappeur à punchline de ses débuts, All Star se trouve une nouvelle épaisseur. En faisant appel à d’autres producteurs (Drumma Drama, Coop, Celsizzle), il tente des productions plus lentes, moins agressives, moins minimalistes. Sur ces ambiances il ose amener son rap dans de nouvelles directions, le détendre, et le côté pensif qui surgissait par moment entre deux menaces de morts mute en un vrai talent pour s’observer lui même.

Ce goût pour l’introspection se développe en même temps que ses rapports se dégradent avec Cash Money. Sa situation l’amène à se poser énormément de questions, notamment à remettre en cause la poursuite de sa carrière. Il faut dire que son contrat l’enchaine au non-sens : Le label refuse de sortir son album, et lui n’a plus la liberté de le faire seul, ni même de produire autre chose à son nom pouvant générer de l’argent. Birdman et Lil’Wayne lui laissent bien quelques os à ronger, comme une apparition sur leur LP de 2006 « Like Father Like Son », mais guère plus d’efforts ne sont faits pour que la carrière d’All Star passe à la vitesse supérieure.

Une rumeur persistante, mais qui ne reste qu’une rumeur, laisse entendre que durant cette période All Star est ghostwriter pour Lil’ Wayne et Birdman. On ne sera probablement jamais sûr de rien, mais certaines expressions de Wayne, métaphores et manis d’évoquer des choses en tournant autour, sans ne jamais les citer (ce qu’adore faire All Star), servent d’arguments à ceux qui soutiennent cette idée.
Quoi qu’il en soit, la situation termine d’user la patience du rappeur de Nashville, et il n’en fait plus un secret sur le deuxième volume de Starlito’s Way fin 2007. Sur le premier disque de la mixtape, All Star parle de lui, raconte sa vie et son parcours : Sa mère qui gagne des piécettes en tressant les voisins, son père qui fume le crack, et son adolescence faite de rap, de basket et de trafic de drogues. Sur le deuxième disque, il entame un cycle qui va durer presque deux ans, au propos on ne peut plus explicite. A la manière d’un jeune espoir du foot cantoné à cirer le banc ou à jouer avec l’équipe reserve, All Star demande à partir. Mais cette envie de retrouver sa liberté ne va pas de pair avec une volonté de poursuivre en indépendant… En ayant, pendant plusieurs années, vécu le rap comme un calvaire et à travers ses côtés obscurs (business déshumanisé, rythme de vie qui a mis sa santé en danger, etc.), voilà le Prince de Cashville décidé à tout abandonner.

Rap Music Ruined My Life // Beggin My Freedom, Be My Friend, Belittle My Future

« Like Father Like Son, I’m The Stepson, Interfering With My Dream. Inception. »

C’est comme si les difficultés rencontrées avec Cash Money avait brisées la carapace de trappeur que s’était construit All Star. Son changement d’attitude, la nouvelle orientation artistique de ses projets et surtout son envie de quitter à tout jamais le rap, il l’entérine avec un changement de nom : Starlito. La référence au film Carlito’s Way était déjà présente dans la musique d’All Star, mais en se renommant d’après le nom du personnage joué par Al Pacino, il pousse le parallèle jusqu’au bout. Carlito est un ancien gangster cherchant à se ranger après cinq ans de prison, Starlito est un ancien espoir du rap qui souhaite raccrocher après cinq ans de major.

« Je suis comme le personnage d’Al Pacino dans Carlito’s Way… Juste à la recherche d’une porte de sortie… »

Heureusement pour nous, toujours soutenu par son public, Starlito ne mettra jamais ses menaces à exécution : Ce qu’il annonçait comme une fin se révèle vite être un nouveau départ. C’est DJ Burn One qui va jouer un rôle important dans la suite de la carrière de Starlito, notamment en matérialisant ce nouveau départ avec un projet, comme il l’avait fait pour Gucci Mane avec « Chicken Talk ». Et son implication est encore plus forte avec Starlito, puisqu’il va entièrement produire pour lui « Renaissance Gangster ».

A la fois court et dense, « Renaissance Gangster » installe une ambiance inédite pour Starlito. Orgues, sacro-saintes émanations de « Triggaman » et de cowbells, conduits par des samples vocaux ou country et les rythmiques de TR 909 et 808. En travaillant ses samples avec un leger effet de reverb, Burn One donne l’impression de tous les faire surgir d’une brume épaisse et crée ainsi une parfaite unité à tout l’album.
Sur ces rythmes plus lents qu’à l’accoutumé, le flow de Starlito continue de ralentir, laissant le grain de sa voix gagner en rugosité pour ressembler au timbre enroué des lendemains de fête. Cette nouvelle cadence offre aussi une nouvelle place aux textes. Plus que l’attitude, c’est maintenant chaque mot, chaque image dessinée par Starlito qui gagne de l’importance. Ses références sportives hyper pointues, sa façon de parler de l’ébriété, son espèce de désarrois perpétuelle, tout s’accumule logiquement, en parfaite harmonie avec l’ambiance de bar enfumé.
En fusionant avec Burn One, c’est comme si Lito changeait de famille, passant de demi frère de Dwayne Carter à presque neveu des UGK perdu dans un brouillard de THC.

La suite n’est que réjouissements pour l’auditeur. Terminader Gold 60, Starlito’s Way 3, Ultimate Warrior, @ War W/ Myself, etc, etc. Avec Drumma Drama, Lil Lody, Lil Keis, Coop, Fate Eastwood et DJ Burn One, Lito tient une équipe de collaborateurs qui lui permet de développer chaque facette de son rap : la trap à punchlines avec les uns, la weed music country ou les textes introspectifs avec les autres. Sans revenir dans le détail de chacune de ces sorties, retenons que Starlito y démontre que sa musique s’étend sur des styles très différents. Entre arrogance, humour, peine et aigreur, il est aujourd’hui le chainon manquant entre Playa Fly, Z-Ro, Young Buck et Young Jeezy. Mais parce que ses difficultés lui on fait perdre l’envie de courber l’échine, sa musique arrive jusqu’à nous sans n’être parasitée par quoi que ce soit, faisant de lui un rappeur forcément unique, puisque n’écoutant que ses trips pour rapper.

Depuis décembre 2010 Starlito est libéré de toutes obligations vis à vis de Cash Money et travaille tranquillou, indépendamment du circuit, via Grind Hard sa propre petite structure. S’il n’arrête pas sa carrière, il se considère néanmoins retraité du « rap game », puisqu’il ne se soucie plus de savoir s’il est meilleur qu’untel ou bien dans l’air du temps. Starlito n’est plus là que pour continuer ses petites conversations avec lui même, motiver ses voyous et faire danser en concert pour payer les factures.

Si Lito n’a pas tout abandonné, c’est aussi grâce à sa rencontre avec Don Trip lors d’une tournée en 2011. D’après ses dires, le MC de Memphis lui a redonner le goût de rapper, simplement en lui rappelant que l’exercice pouvait, aussi, être fun. Quelques parties de NBA2K plus tard, les deux bougres sont comme des frères et bien décidés à retranscrire leur complicité en musique. Résultat, ensemble ils donneront naissance à l’un des meilleurs albums de 2012 : « Step Brothers ». A une époque où les duos entre rappeurs se font par couplets échangés par mail ou rappellent les collaborations entre marques de tissus, l’alchimie entre Don Trip et Starlito est un bonheur infini. Sur « Step Brother » on jurerait plusieurs fois que les deux rappent comme ils jouaient à NBA2K, en s’amusant à prendre le dessus sur l’autre. En les écoutant, on se surprend à imaginer les coups de coudes qu’ils se filent en studio après une punchline, comme quand ils se collaient le trois points de la victoire sur console.
Quand il s’agit de faire autre chose que de la punchline pour de la punchline, le goût pour le storytelling de Don Trip complète parfaitement le rap de voyou aigre-doux de Starlito. Et pour ne rien gâcher, l’ensemble est mis en musique par des prodos top notch (Mike Will, Boi 1-da, T-Minus, Lil Lody) qui ont su fournir du velour, tout en s’effaçant juste assez pour que la prestation du duo reste au centre du projet.

Après ce disque, il est certain que Starlito a trouvé le rythme et la manière de bosser parfaite pour lui. Deux ou trois projets par ans depuis qu’il est entièrement indépendant, avec ses producteurs favoris et quelques collaborateurs récurrents (Trip, Young Dolph, Killa Kyleon , Young Buck et Yo Gotti).
Avant d’enregistrer un de ses projets les plus ambitieux l’an dernier, Lito est tombé sur un article parlant de lui et des pionniers du Blow Pop Crew. En le parcourant, il apprend l’existence du fameux « Château » de John P. Welch. Forcément séduit par l’histoire du lieu, Starlito décide de faire un clin d’oeil aux balbutiements du rap de Nashville en s’enfermant plusieurs semaines au château, afin d’y enregistrer « Mental WarFare ».
Les producteurs fétiches sont encore une fois tous présents, mais cette fois Burn One est accompagné de tout le Five Points Music Group pour jouer et enregistrer en live les productions (Walt Live au clavier, Ricky Fontaine à la guitare, The Professor à la basse.).

Encore une fois le disque est l’occasion de faire une plongée dans l’esprit tourmenté de Starlito, peut être plus que jamais. Lean, alcool, amour, carrière, les 25 ans de prison de son ami Red Dot, tout apparait comme un problème dont Lito n’arrive pas à se débarrasser et qui alimente… sa dépression.

En s’engouffrant toujours plus loins dans l’honnêteté, à contre courant du traditionnel égotrip, jusqu’à même répéter qu’il se « hait » parfois, Starlito rappelle de plus en plus le texan mélancolique Z-Ro. C’est peut-être aussi une nouvelle façon de faire de la « Trap Music ». Ce n’est plus qu’au business de la drogue que le rappeur est enchainé, il est aussi « piégé » dans ses tourments, dans ses soucis qu’il n’arrive pas à s’empêcher de ressasser. En témoigne « Produced by Coop » énième morceau résumant douloureusement son parcours et sa situation, mais, et comme toujours, sans s’apitoyer ni même se résigner.
Mais si Mental WarFare est son album le plus abouti, c’est aussi parce qu’il synthétise parfaitement tout le spectre des raps qu’il est arrivé à maitriser. Les titres de trap classiques comme Live From The Kitchen auraient pu servir de tubes à « Street Ball », WTF sonne comme la suite mieux maitrisée des singles Grey Goose et I Go Ham, et les chansons produites par Burn One et Cardo réinstallent le meilleur des ambiances country de « Renaissance Gangster ».
Et Starlito n’oublie pas de célébrer Nashville en invitant le vétéran Quanie Cash sur des prods de son vieux compère Fate Eastwood.

Après avoir collaboré avec de plus en plus d’artistes de la Bay Area, Kool Daddy Fresh a fini par signer sur le label de l’ex-basketteur originaire d’Oakland Gary Payton. Pistol n’a pas sorti de disque depuis presque cinq ans mais reste un personnage éminemment respecté à Nashville. Quanie Cash continue de brasser des milliers de dollars en produisant des compilations et des films direct-to-DVD. Young Buck est en prison jusqu’à la fin de l’année pour port d’arme illégal mais continue a sortir des projets gratuits régulièrement. Starlito s’apprête à sortir un nouvel album intitulé « Cold Turkey » ainsi qu’une suite à Step Brother avec son compère Don Trip.

Illustrations : Léo Leccia / @

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