Il ne reste que des images trouvées de son apparition. Earl est un gamin à peine pubère, à la voix trop grave, à l’attitude trop assurée, à l’articulation trop technique. Sur les grésillements d’un beat lo-fi, il rappe, assis sur un siège de coiffeur, la tête calée dans le casque utilisé pour faire des permanentes aux proxénètes et aux mamies. Puis, ses camarades d’Odd Future font des overdoses au liquide vaisselle.
A dire vrai, Earl n’as pas disparu puisqu’il n’a encore jamais été là. Le monde découvre Odd Future alors que ce groupe à l’équilibre périlleux trouve sa cohérence précisément autour du slogan « FREE EARL ». Odd Future s’est unifié grâce à l’absence de son plus jeune membre, bouc émissaire sur qui on projette un esprit commun, un génie supposé, une mystique. Et grâce à qui le leader et fondateur Tyler, fait entrer la bande dans la grande culture du rap, en reprenant ce cri de ralliement tant rebattu – libérez mon ami incarcéré !
En revenant à pied du collège, Earl a trouvé une arme à feu derrière un amoncellement de poubelles, certainement laissée là par le membre d’un des nombreux gangs de Los Angeles, en fuite. Il a voulu l’essayer, en tirant dans le cadavre d’un sans domicile dont la carcasse rôtissait au soleil. Manque de chance, le corps était celui d’un flic dispar… Non. Earl, pratique depuis petit un art martial sud coréen, le Hwa Rang Do, aussi connu sous le nom de « voie des chevaliers en fleur ». Parti à Séoul pour passer sa ceinture rouge, il a été, là-bas, repéré pour intégrer un groupe chargé d’approcher Kim-Jong Il pour l’assassi… Non plus. Choquée par le contenu de sa première mixtape, par ses histoires de meurtrier et de violeur racontées à la première personne, par son écriture automatique démesurément grossière, sa mère interdit à Earl de rapper. Il est désormais à moitié coupé du monde, dans une maison de redressement pour adolescents à problèmes. Vraiment ?
Par le biais des nouveaux moyens de communications informels, forums, messageries, réseaux sociaux, de nombreuses légendes urbaines sur les raisons de l’absence d’Earl Sweatshirt se répandent. Souvent, à la suite de déclarations ou de lyrics équivoques des membres d’Odd Future. Mais toutes ces histoires sont fausses, y compris la dernière, à laquelle les fans vont pourtant croire très fort, jusqu’à se mettre à harceler la présumée responsable, sa mère.
illustration : Hector de la Vallée