category: Featured
tags:

De la volonté de faire connaître des artistes en les associant à une tête d’affiche, jusqu’à l’envie d’une star de jouer le chef d’entreprise, il existe tout un panel de raisons pouvant expliquer qu’un rappeur passe de la carrière solo au groupe.
Pour plusieurs de ces raisons, Gucci Mane n’a pas échappé à cette étape. En 2003 déjà, Never Again Records l’avait fait rapper aux côtés de quelques bras cassés pour essayer de capitaliser sur le succès de Black Tee à Atlanta.
Mais évidemment quand on pense à Gucci Mane, c’est d’abord le Brick Squad qui vient à l’esprit. Cette association de zigotos, aux ramifications qui s’étendent aujourd’hui sur toutes les USA, étant sans doute le groupe de rap le plus prolifique et constant de ces trois dernières années.

Véritable poupée russe, pleine de sous groupes et affiliés, la galaxie Brick Squad possède une vingtaine d’étoiles plus ou moins brillantes. L’explorer s’annonçait laborieux ; finalement, il s’avère que son histoire peut être résumée à travers le parcours de deux personnages clés. Et si Gucci Mane est important, puisqu’il est le noyau autour duquel le groupe s’est forgé, son rôle reste secondaire à côté de ceux joués par Debra Antney et son fils Juaquin Malphurs.

La Reine de Jamaica

New York, Queens, au sud du très pauvre quartier de Jamaica ; Debra n’a que neuf ans quand elle fait une overdose d’héroïne qui aurait pu lui couter la vie. La petite ne consomme pas cette drogue mais son père, accro, cachait de la poudre dans un pot de talc pour bébé. Pour jouer, elle a utilisé le pot, sans savoir.
Si la poudre n’avait pas été cachée, sans doute qu’elle aurait pu la reconnaître tellement l’héroïne fait partie de son quotidien. Ainée d’une fratrie de neuf enfants, c’est elle que son père utilise pour monter la garde quand, pour payer ses doses, il cambriole le magasin où travaille sa femme, c’est aussi elle qui traverse la 150ème rue, strappée avec des petits sachets d’héro cachés sous le tee-shirt.

De cet univers où, raconte-t-elle, les femmes cuisinent et font le ménage pour des hommes qui les frappent en retour, Debra essaiera de s’échapper. Alors, plutôt que de faire la bonne à la maison, elle a fait tout ce qu’elle a pu, aidée par les aides sociales, pour réussir via l’école.
Une dizaine d’années plus tard, la voilà diplômée en acupuncture et à la tête de plusieurs associations caritatives. Appréciée et respectée à Jamaica, considérée par tous comme une mère pour ce qu’elle fait pour sa communauté, le petit chef d’entreprise souhaitera vite fonder sa propre famille. Mais si elle possède un instinct maternel qui donnerait des cauchemars à Elisabeth Badinter, elle refuse de se marier, étant toujours hantée par l’image de son père.
Debra aura des enfants, plein, et avec plusieurs hommes, mais sans jamais en épouser un seul.

C’est le 31 mai 1986 que nait son fils le plus célèbre, Juaquin Bertholimule Malphurs.
Dès ses premières années, Juaquin est un garçon débordant d’énergie, un petit casse cou à l’affut de la moindre connerie à faire. En atteste cette semaine où sa mère aura dû l’emmener trois fois aux urgences pour qu’il se fasse recoudre successivement la jambe, la main puis une épaule, qu’il s’était entaillé méchamment en jouant au con. Cet épisode avait fait naitre des soupçons chez les services de protection de l’enfance, trouvant louche qu’un garçon puisse se blesser autant dans un laps de temps si court… Mais en réalité il n’y a sans doute pas meilleure mère que Debra Antney. Maman voyou, surnommé le « Pitbull en jupe », elle cumule quatre emplois, donne tout son temps et son énergie pour les enfants de son quartier. Une énergie qu’elle est fière de retrouver chez son fils ;

Juaquin ne peut pas rester quelque part sans rien faire. Il est comme moi, c’est fou. C’est un mini-moi, une version mâle de moi même.

Au même moment, en ce début des années 90, un homme appelé Mack Drama débarque dans le Queens. Originaire de Compton à Los Angeles, où il habitait précisément la rue Piru, lieu de naissance des Bloods, il arrive à New York pour y importer les couleurs de son gang.
En quelques temps, souvent après un passage par la prison de Rikers Island, les petits gangsters New Yorkais se retrouvent affiliés aux Bloods.

Un des cousins de Juaquin devient vite un de ces néo-bloods New Yorkais. Les deux cousins passent beaucoup de temps ensemble, notamment des après-midis devant la télé à regarder le Muppet Show. Inspiré par leur émission favorite, c’est ce cousin qui le surnommera « Waka », en référence aux onomatopées proférées par Fozzie Bear quand il est mal à l’aise. La raison ? « Waka » est simplement une façon de prononcer « Juaquin » en articulant comme un mongol.
L’autre cadeau que fera ce cousin à « Waka », c’est de l’intégrer, lui et un autre de leurs cousins, Anthony, à son gang.

Road to Riverdale

Juaquin et Anthony, commencent à dealer pour leur cousin aux quatre coins de Jamaica, des ptits sachets blancs, verts ou marrons, alors qu’ils viennent juste d’avoir neuf ans. Cette affaire arrivera vite aux oreilles de Debra Antney et il est hors de question pour cette dernière de laisser son fils s’empêtrer dans des histoires de gangs, surtout qu’en tant qu’aîné, il risque d’entrainer ses frères dans cette spirale infernale. Pour elle cette histoire est signe qu’il est temps de quitter New York.
Debra pense tout de suite à Atlanta pour cette retraite. Il ne lui faudra pas deux coups de téléphone pour arriver à trouver un job en Georgie. Mieux, Miss Antney est tellement réputée pour ce qu’elle a entrepris à Jamaica, que des associations créent des postes spécialement pour elle afin de l’accueillir.

En 1995, Debra arrive donc dans le quartier de Riverdale, avec cinq de ses fils, trois filles qu’elle a adoptées, ses sœurs et sa mère. Là bas, elle travaille dans divers services sociaux, devient gérante d’associations caritatives et retrouve donc très vite le rôle de maman de secours qu’elle avait dans le Queens.

De son côté, Juaquin jure que ses jeunes années à Atlanta se passent loin des gangs, même si ça ne l’empêche pas de dealer avec ses frères et son nouvel ami Mario. Parce que si Debra a du succès dans sa vie professionnelle, cela ne s’accompagne pas d’une aisance matérielle de roi pour la famille. Avec ses salaires, Debra doit nourrir ses enfants, ses sœurs et sa mère, qui peine à vivre de son magasin de fringues. Alors pour suivre le rythme, Waka rejoint les angles de rues, pour revendre de la drogue et de la marchandise volée. Et il résume sa situation assez simplement ;

J’étais entouré de basketteurs et de dealers de drogues, alors c’est ce que je suis devenu. Si j’étais entouré de médecins et d’avocats, c’est surement ce que je serais aujourd’hui.

A l’école, aussi improbable que cela pourra paraître pour certains, Juaquin est un bon élève. Il envisage longtemps de suivre les traces de sa mère et de réussir par cette voie, et pourquoi pas, un jour, aller à l’Université. Ce serait en tout cas la voix royale pour qu’il puisse faire de sa passion un métier en devenant basketteur professionnel. Small forward qui fera 1m98 adulte, il sera même pisté par des scouts de ligues mineures en entrant au collège. Mais pour l’instant, Mario et lui, deux grands maigres débordant d’énergie, sont surnommés Slim et Flaco par les petits à qui ils mettent des raclées sur les playgrounds d’Atlanta.

Le début des années 2000 sera un tournant important pour la famille Malphurs/Antney. Plusieurs évènements vont en effet venir marquer leur vie personnelle et professionnelle, dont quelques électrochocs aussi tristes qu’importants pour la fondation future du Brick Squad.

Fuck School

Faisons un saut dans le temps, jusqu’à il y a seulement une paire d’années. Juaquin vit toujours à Atlanta, toujours avec sa mère, qui est devenue son manager. Seulement, le voilà désormais connu dans toutes les Etats-Unis sous le nom de Waka Flocka Flame.
En pleine nuit, Debra est réveillée par Waka déboulant en larmes dans sa chambre. Son fils, tombé à genoux, a l’air tellement dévasté, raconte t’elle, qu’en le voyant elle s’est mise à pleurer aussi fort que lui. A cette époque Gucci Mane traverse une période très difficile sur le plan personnel et psychologique ; il vient d’enchainer les coups d’éclats, et son entourage commence à être inquiet qu’il ne fasse une vraie grosse, grosse connerie. Alors, automatiquement, Debra Antney fait un rapprochement avec Gucci et questionne son fils ; « Où est Gooch’ ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Qu’est-ce qu’il a fait ? ». A ces questions Waka ne fera que présenter des excuses « Excuse moi maman, je suis désolé, tellement désolé… », sa mère ne comprenant pas, elle finira par simplement l’envoyer chez Gucci Mane pour voir s’il allait bien.

Debra Antney avouera à un journaliste qu’elle n’a compris que quelques mois après ce qui s’était passé ce soir là. Et cela n’avait rien à voir avec Gucci Mane, pas cette fois. Si son fils était dans cet état, c’est parce qu’il est encore hanté par un événement qui a eu lieu dix ans plus tôt, et dont il se sent entièrement responsable.

An 2000, Juaquin a 14 ans quand il accompagne son petit frère, RahRah, dans un quartier voisin. Le plus petit des deux frères Malphurs est, comme son ainé, un bon élève, et il a promis à un camarade de l’aider à faire ses devoirs. Si Waka l’accompagne, c’est pour les couvrir ; le père de l’élève en difficulté est violent, et s’il apprenait que son fils se fait aider à l’école par les frères Malphurs, il pourrait s’en servir comme prétexte pour lui coller une très sale raclée.
Une fois les devoirs terminés, Juaquin et son frère s’en retournent chez eux, le grand à pied, le petit à vélo.
Sur le chemin les deux frères se séparent, Waka partant trainer de son côté.

Quelques heures après, l’ainé Malphurs est accueilli chez lui par des sirènes, et une fois n’est pas coutume, ce ne sont pas celles de la police qui crient dans le quartier.
Deux rues après l’avoir quitté plus tôt dans l’après midi, son jeune frère se faisait percuter par un camion.

Mizay Entertainment

Debra se rappelle qu’après la mort de son petit frère, Waka est devenu « une version démoniaque de lui même ». Incapable d’accepter la moindre forme d’autorité, il quitte l’école et est forcé d’arrêter le basket-ball. Le voilà devenu un corner boy à plein temps, adepte des petits gains d’argent journaliers ; vente de drogue, racket, recèle, tout y passe, jusqu’aux vols dans le magasin de sa propre grand-mère.

Dans le même temps, la réputation de Miss Antney lui permet d’obtenir un poste dans une grosse association qui vient de se créer ; The Ludacris Foundation, créée par le rappeur ATLien qui vient de gouter au succès international avec Back To The First Time et Word of Mouf.
Si sa carrière dans le social prend alors un nouvel élan, la poursuivre à travers l’association d’un rappeur lui permet aussi d’accorder un peu plus de temps à sa passion. Plus jeune Debra était danseuse, et si elle a dû arrêter pour pouvoir offrir son temps aux autres, elle en a gardé une passion immense pour la musique. Dans le Queens déjà, elle aimait jouer un rôle en coulisse dans la carrière de petits artistes locaux, à Atlanta elle va développer d’avantage cette corde de son arc… Jusqu’à envisager de créer sa propre entreprise de conseils et de management d’artistes.

C’est ainsi que naît Mizay Entertainment. Ce nom provient du surnom que Ludacris a donné à Debra, « Miss A », prononcé avec un accent du sud dont la New Yorkaise aime se moquer.
La formule proposée par Mizay est toute particulière. C’est un mélange de gestion de carrière artistique et d’assistance sociale. Un artiste qui entre là bas, entre dans la famille, il devient comme un fils ou une fille pour la patronne qui se retrouve à gérer absolument tous les aspects de sa vie. Parce qu’à travers Mizay, l’ambition de Debra est d’abord d’arriver à sortir des jeunes de la rue en leur offrant une carrière dans la musique.

En 2003, elle est contactée par un jeune artiste dont la carrière ne démarre pas chez Neva Again Record. Otis Williams Jr. vient du quartier de Bouldercrest à Atlanta, et espère avec l’aide de la structure de Debra Antney, pouvoir monter son propre label ; 32 Entertainment.
Otis Williams, a.k.a. OJ Da Juiceman débute alors une collaboration avec Mizay qui n’a jamais pris fin depuis.

Le Prologue

32 Ent. est lancé avec succès, OJ Da Juiceman commence à sortir des mixtapes localement via sa structure, à se faire un nom dans la Zone 6 d’Atlanta et à signer quelques amis.
Déjà, les terrains déblayés par le Jui-Man sont des voies ouvertes à ses futurs coéquipiers du Brick Squad.
Pour plusieurs raisons OJ ne joue plus un rôle de premier plan dans la Brick Squad, pourtant, dire qu’il a toujours « déblayé le terrain » pour les autres reste un euphémisme. De la façon dont chaque membre du BS utilise les ad-libs dans ses chansons, jusqu’à l’exploration des productions de Lex Luger, il a toujours eu un tour d’avance sur les autres.

Récemment, lors d’une interview à propos de son entreprise, un journaliste demanda à Debra Antney ce que représentait pour elle d’avoir travaillé avec des artistes qui ont tous fini par apparaître au premier plan, citant Gucci Mane, Waka Flocka, Nicki Minaj et French Montana. Après avoir répondu à la question, elle ajouta ;

Je ne comprends pas pourquoi, dans aucune interview personne ne me parle jamais de Juiceman ? Pourquoi personne ne pense jamais à Juiceman ? Il était là, avant. Et c’est moi qui lui ai présenté Gucci…

C’est aux alentours de la fin 2005 que Debra reçoit un autre coup de téléphone important. C’est une collègue, Vicky Davis, ancienne institutrice reconvertie dans le social. Cette dernière souhaite que son fils, un rappeur qui vient d’amasser un peu d’argent avec la vente d’albums, mais qui a tendance à le dilapider un peu n’importe comment, puisse donner un peu de son temps et de son argent à la communauté. Miss A appelle le garçon pour lui demander ce qu’il souhaite faire. Ce garçon, Radric Davis, lui explique qu’il veut participer à ses œuvres de charité… mais aussi et surtout, qu’il aimerait passer une étape supérieure dans sa carrière.
Le reste de l’histoire tout le monde la connaît. Impressionnée par le garçon, Debra Antney démissionne de tous ses autres emplois dans le social et devient le manager de Radric « Gucci Mane » Davis, l’aide à créer So Icey Ent. au sein de Warner, et s’il semblerait qu’Otis et Radric se connaissaient déjà (il n’existe en vérité aucune preuve), c’est elle qui fait se rencontrer et travailler ensemble OJ Da Juiceman et Gucci Mane.

So Icey Boys

Cinq ans après la mort de son petit frère, l’ainé Malphurs continue d’explorer le côté obscur de sa Force. Plus que jamais impliqué dans le trafic à Riverdale, même voir quelques un de ses amis tomber sous les balles ne semble pas lui donner envie de raccrocher.
Il faudra que sa mère vienne le tirer de ce bourbier pour qu’il n’aille pas rejoindre son petit frère trop tôt.
La patience de Debra arrivera à bout quand en 2006, son fils est arrêté armé après une grande fusillade dans Riverdale. Waka échappe à la prison en plaidant coupable, mais il n’échappe pas au courroux de sa mère, plus sauvage que la pire des prisons du tiers monde.
Elle ne pourra pas le sortir complètement de la rue, ni l’enfermer dans sa chambre toute la journée, alors sa solution trouvée est de le coller 24/24 dans les pattes de Gucci Mane et OJ Da Juiceman avec deux de ses frères.
Deux ans durant, les trois frères vont devenir les roadies des deux artistes Mizay Ent. et cette petite troupe commencera à passer des journées, des semaines et des mois sans se dissoudre un seul instant. Rapidement, ils sont rejoints par Mario, le meilleur ami de Waka et, de façon intermittente, par Anthony, le cousin Blood du Queens devenu le rappeur Frenchie.
Et si à cette époque Waka ne songe pas un seul instant à devenir rappeur, au contact de Gucci Mane, un de ses frères se mettra à rapper pour devenir celui que l’on appelle Wooh Da Kid.

Gucci Mane, OJ Da Juiceman, Wooh Da Kid et Frenchie se mettent à rapper ensemble. Accompagnés par leurs hypemen Juaquin et Mario, ils formeront ensemble les So Icey Boyz.
C’est à cette époque que Gucci Mane termine de baptiser les membres de son entourage, Mario aka Slim, devient Slim Duncan. Quant à Juaquin, il lui rajoute la flamme à ses Waka et Flaco ; le voilà devenu Waka Flocka Flame.

Entre 2008 et 2009, Gucci Mane entame un de ses marathons d’allers et retours en prison, et en son absence les So Icey Boyz ont du mal à exister.
Cependant OJ en profite pour développer sa carrière solo, en sortant une mixtape tous les deux mois. Parmi elles, la désormais classique Alaska In Atlanta, première apparition connue de productions de la future superstar Lex Luger (Early Morning Trappin ; Midget ; Vegetarian).
Profitant que les stars d’Atlanta soient quasi toutes enfermées à cette époque, OJ parvient à un degré supérieur d’exposition ; son avalanche de mixtapes lui vaut d’être partout sur internet, quelques un de ses singles tournent en radio ; a tel point qu’il finira par atterrir sur la couverture du magazine XXL, au milieu de 9 autres artistes désignés comment étant les révélations de l’année passée.

Le style développé par Jui-Man à cette époque influencera celui du Brick Squad, mais marquera aussi plus largement le rap. Souvent raillé pour son style vestimentaire, ses rimes surréalistes pour aborder des sujets qui ne sont pas valorisés par les Ayatollah du Hip-Hop, la seule chose que l’on peut en réalité reprocher à Juiceman, c’est d’être arrivé le premier.
En racontant comment il gare sa voiture, sa ressemblance avec des choses farfelues (une bière, un ours polaire, un igloo, une lesbienne), son crazy stupid swag ou en abusant d’ad libs à l’infini, il a ouvert des voies aussi bien pour Lil B ou RiFF RAFF que pour certains de ses futurs coéquipiers.

Juaquin Flaco Flame

« Et si je me mettais à rapper ? » Cette idée est arrivée à Waka comme une envie de pisser. Il n’y a sans doute même pas pensé sérieusement. Et quand il évoque l’idée autour de lui, à part Gucci qui le soutient et le pousse dans cette voie, personne ne le prend au sérieux. Le rap ce ne serait pas pour lui.
Seulement, depuis qu’il a arrêté l’école et le basket, il ne sait pas quoi faire d’autre, si ce n’est retourner vendre de la drogue.
Pour le rap, il sait éventuellement vers qui se tourner ; sa mère, bien sûr.

Quand Waka est venu voir sa mère pour lui parler de son envie de s’essayer au rap, la première réaction de celle-ci fut d’en rire et de lui ordonner d’aller faire de l’argent intelligemment. Elle non plus n’y a pas cru, et elle l’avoue encore aujourd’hui.
Alors Waka commencera seul ; Ou presque, puisqu’il s’enfermera dans son garage avec son ami Tay. En deux, trois nuits, les deux potes vont enregistrer une dizaine de morceaux avec un micro et un ordinateur.
Waka n’a pas le flow et l’écriture de Gucci ou OJ, il en a bien conscience, alors il combattra avec d’autres armes, sa rage et son énergie illimitées.
Avec ses 10 pistes en poche, il commence à participer activement aux shows des membres de So Icey Boyz, et petit à petit, l’énergie qu’il déploie sur scène lui permet de s’attirer la sympathie du public.

Sans vraiment qu’il ne s’en rende compte, Waka Flocka devient un petit phénomène à Atlanta. Et c’est presque par hasard qu’il découvre que sa musique est appréciée par de plus en plus de monde ;

J’étais dans ce club à Atlanta, le Figure 8 à côté du Greenbriar Mall. La salle était blindée, personne ne me connaissait. J’étais assis, quand tout d’un coup, le DJ lance « O Let’s Do it »… Et là, la foule est devenue complètement dingue. J’avais enregistré ce truc en 10 ou 15 minutes, et tout le monde le connaissait !

Debra est épatée, et devra bien avouer qu’il est bien possible que son fils puisse avoir une carrière. Son premier conseil, ce sera de le pousser dans la voie qu’il a commencé à emprunter ; la voie d’un rap basé exclusivement sur l’énergie. Elle souhaite que le rap devienne le défouloir de son fils, que ce soit là qu’il libère son stress plutôt qu’à un coin de rue avec les armes aux poings.
En réalité, Waka expliquera que l’énergie qu’il insuffle à ses morceaux, il ne la puise pas uniquement dans le stress de la vie urbaine ou dans sa folie naturelle, mais surtout dans sa souffrance, celle d’avoir perdu son frère et de s’en sentir coupable.
La formule sonne un peu cliché, mais le rap devient une forme de thérapie pour Waka Flocka, le réceptacle de toute la haine qu’il avait accumulée contre lui, et qui par le passé l’avait amené à frôler la prison et la mort.

« I was told to calm down and spit my pain on da mic » – For My Dawgs

« so much pain in me I use the mic to pour it out » – Lil Debbie

Marqué par vingt ans de gangsta rap avec lequel il a grandi, Waka synthétisera tout ce que ce genre a pu offrir dans un hybride de trap et de crunk music. Pas besoin de lyrics, ne visant pas un public de chambre mais celui des clubs d’Atlanta, celui qui l’a soutenu en premier. Et il est bien conscient que ce n’est pas la « qualité », toute subjective d’ailleurs, des lyrics qui font qu’un titre sera passé en club ou non.

I said I don’t need lyrics. That’s where everybody got it misconstrued, it’s the energy, the delivery, and the realness of the person that’s making it

1017 Brick Squad

So Icey Ent. fermé après le changement de label de Gucci, les So Icey Boyz n’ont plus de raison d’exister. Cependant ils ne disparaitront pas pour autant, puisque rejoint par Waka Flocka Flame, ils renaitront immédiatement sous l’A.O.C. 1017 Brick Squad.

Gucci Mane et OJ Da Juiceman sortant tous les deux des périodes les plus engageantes de leurs carrières, Waka Flocka Flame emboitant leurs pas avec Salute Me Or Shoot 2 puis LeBron Flocka James, jusqu’à devenir le nouveau prince des mixtapes à Atlanta, le Brick Squad originel devenait dès sa création une drogue extrêmement recherchée.

Parce qu’en plus de proposer le haut du panier en matière de trap music, épaulé par une armée de producteurs managés dès le berceau par Debra Antney (Lex Luger, South Side, Prince N’ Purp, Tay Beatz, etc.), la force de ce Brick Squad est de pouvoir proposer autant de personnages intéressants et différents qu’il compte de membres. Chacun d’entre eux est identifiable grâce à ses gimmicks, son timbre de voix, sa façon bien à lui de parler du trafic ou de la cuisson de la drogue. Et si la mayonnaise prend, c’est parce que par dessus leurs différences, ils partagent tous ce côté outrancier, à la limite du cartoon ou des bad guys de comics ; comme si Kermitt, Fozzie Bear, Scooter, Gonzo et Animal s’étaient mis au deal après la fin du Muppet Show.

Malheureusement, cette version originale du Brick Squad ne sortira jamais de disque. Entre les allers et retours de Gucci Mane en prison, les quelques problèmes d’égo entre ce dernier et OJ Da Juiceman et la primauté des carrières solos de chacun, on ne devra se contenter que d’apparitions des uns et des autres sur des projets solos.

Flockaveli & Monopoly

Waka Flocka continuera sur sa lancée de mixtapes, et sa popularité grandira progressivement au gré de titres comme Luv Them Gun Sound ou Hard In The Paint. La complémentarité de son style explosif avec les productions abrasives de Lex Luger poussera les deux amis à prévoir une mixtape en commun. Mais une fois terminée, l’alchimie fut telle que l’entourage de Waka Flocka, notamment sa mère, lui conseilla de garder ce projet au chaud pour en faire son premier album.

La mixtape fut donc entièrement mixée par un ingénieur son de KY Engineering. Ce dernier expliquera que pour mixer cet album, il n’eut à disposition qu’un studio équipé… d’enceintes de club.
Le résultat, ce fut le petit miracle Flockaveli, dernier « game changer » de l’histoire du rap.

Au delà des immenses qualités de cet album, et de l’impact qu’il aura sur le rap, ce dont il a été question maintes et maintes fois déjà, ce qui a pu marquer les auditeurs, c’est l’absence des OGs du Brick Squad, remplacés par une petite dizaine d’inconnus.
Ces gangsters sont en réalité les artistes signés sur ‘Brick Squad Monopoly’. Avoir ce label, afin de signer ses artistes, fut une vraie volonté de Waka Flocka une fois installé comme artiste solo.

Les premières signatures sur BSM, comme Slim Dunkin ou D-Bo, sont en réalité les amis d’enfance de Waka. Bien conscient que le rap lui avait offert la possibilité d’échapper à ce que la rue a de pire, il entend bien en profiter pour sortir aussi ses amis de ce bourbier. « J’ai donné une carrière à mes gars » explique t’il en interview, « c’est toujours mieux qu’un autre rappeur qui en réalité ne fait que t’envier, et qui est là juste pour récupérer un peu de ta lumière. Moi je vais utiliser ma lumière pour éclairer mes potes. »

« Can I Take Sum Partna’s out da hood ? They say my downfall is I wanna take all my homies out da hood » – Rap Game Stressfull

Prenant en quelque sortes la succession de sa mère, elle qui avait aidé la première « génération » du Brick Squad à avoir une carrière, Waka se mue en mécène pour ses meilleurs amis.

Mais toutes les signatures ne viendront pas des quartiers d’Atlanta où Waka a passé son adolescence, puisqu’il fera une tournée des guêpiers les plus célèbres des USA pour se former une équipe All-Stars de jeunes gangsters.

Suwoooooo

Même s’il s’est servi du rap comme d’un tremplin pour sortir de la délinquance, Waka s’évertuera à rapper pour son quartier et les rues qui l’ont vu grandir. Alors, pour garder une crédibilité rue, il se tournera vers ce qu’il a connu, et ses jeunes années en tant que membre des Bloods.

Déjà depuis les tout débuts de carrière il multiplie les cris de guerre Bloods et les références au rouge. Par la suite, c’est absolument chaque artiste signé sur BSM qui sera plus ou moins affilié au gang couleur sang. Cherchant à tout prix à légitimer davantage son appartenance à ce que la rue a de plus de gangster, Waka se tournera naturellement vers un de ses seuls souvenirs de gang ; en l’occurrence l’homme qui était venu importer la couleur rouge dans le Queens de sa petite enfance, Mack Drama.

C’est lors d’un voyage à Los Angeles, via YG Hootie, rappeur de Compton qui ne cesse de plaider allégeance aux Bloods, que Waka Flocka retrouvera OG Mack Drama. Durant l’année 2011, ils s’afficheront ensemble en concert et sur youtube à de nombreuses reprises ;

La supercherie se défait d’elle même en voyant cette vidéo. Mack Drama – l’hurluberlu avec un keffieh rouge sur la tête – n’est plus ce qu’on peut appeler un gangster actif, mais guère plus qu’un Sitting Bull des temps modernes, utilisant son passé gangster pour faire peur aux enfants et amuser les touristes.
Mais la fascination de Waka pour l’univers des gangs ne semble pas différente de celle d’un enfant face à une vitrine de jouets. Lors de sa première visite à Piru, qu’il a pris soin d’immortaliser sur caméra, on le voit émerveillé comme un gosse qui arriverait dans un parc d’attractions.
Alors, souhaitant ramener au gangsta rap sa puissance d’antan, celle de l’époque de N.W.A. qu’il prend souvent en exemple, il s’amusera à signer des artistes venant des quartiers et villes les plus emblématiques de l’univers des gangs ; Ice Burgandy vient d’Inglewood, P. Smurf de South Central, YG Hootie de Compton, Bo-Deal de Chicago, le mexicain MGM devient la caution Cartel, etc.

Malheureusement, ce petit jeu de proximité avec les gangs ne sera pas sans conséquences. Passons le fait que le désormais ridicule Mack Drama se retrouve à utiliser son affiliation au Brick Squad pour exister, plutôt que l’inverse. Il est par exemple derrière la création d’un improbable Brick Squad SW, structure sur laquelle il signe des rappeurs et chanteurs mort-nés.
Le véritable danger, ce sont les vrais voyous qui vont être attirés par la sanguinaire affiliation.

Rap Game Stressful

A force d’arriver en concert escorté par des Bloods ou de parler de sa dextérité avec les armes à feu, Waka Flocka va finir par provoquer les petits voyous et les gangs adverses. Il se fera tirer dessus, braquer, et se retrouvera lié indirectement à des affaires d’homicide et de possession d’arme. Après avoir échappé de justesse à la prison, il avoue être fatigué par le rap jeu. D’un côté oppressé par le rythme de vie de troubadour pour grand voyou, de l’autre déçu par le comportement de certains de ses amis. Alors, en 2011 Waka Flocka annonce qu’il va arrêter le rap. C’est sa mère qui se fera son porte parole pendant cette période où il prendra un peu de recul avec la musique ;

« Waka était déçu du changement de comportement de certains de ses amis. Et de la mentalité dans l’industrie. Tout le monde pense que tu lui dois quelque chose, parce qu’ils s’imaginent que tu as une tonne d’argent. Être dans le rap, ou être dans la rue, cela ne veut pas dire que tu ne ressens rien, ou que tu n’as pas de coeur. Waka a été très touché par ça. »

Mais le pire arrivera en Décembre 2011. Alors que Waka et son meilleur ami Slim sont en studio pour enregistrer un clip pour leur série de mixtapes The Twin Towers, une embrouille survient entre Mario « Slim Dunkin » Hamilton, et l’un des petits gangsters présent pendant la session. Le motif est inconnu, probablement dérisoire au vu des conséquences ; après s’être fait coucher par Slim Dunkin, le garçon vexé est revenu au studio pour abattre « Dunk » d’une balle dans la poitrine.

Après ces évènements Waka, dévasté, se fera un peu plus discret. Aussi parce qu’il peaufine son second album, le très attendu Triple F, pour Friends, Fans & Familly.
Les amis et la famille, le Brick Squad n’est fait que de ça. Et quand les liens de sang n’existe pas, Debra Antney fait toujours en sorte de créer des liens forts avec ses ouailles. Gucci Mane parle d’elle comme si elle était sa tante, Slim Dunkin parlait d’elle comme si elle était sa mère. Et si Miss A a révélé publiquement avoir adopté cinq enfants, elle confesse qu’en réalité il y en a plus que ça… mais qu’elle préfère taire leurs noms pour ne pas faire jaser.
Après avoir lancé la carrière de Nicki Minaj, et remis de l’essence dans le moteur de French Montana, Miss A a prouvé qu’elle était actuellement une des personnalités les plus influentes du rap. Sa façon de gérer la carrière des artistes, entre management classique et seconde maman, a fait de Mizay Ent/1017 Brick Squad une sorte d’anti-Cash Money, dont l’empreinte n’est pas encore aussi profonde que celle du label Orléanais, mais qui est bel et bien en train d’écrire une des plus belles pages de l’histoire du rap.

Aujourd’hui le groupe des OGs du Brick Squad n’existe plus vraiment. Gucci Mane continue de forger sa légende en solo, OJ et Frenchie ne cessent de disparaitre, a priori occupés par des « activités » extra-musicales, Wooh et Waka travaillent, eux, sur leurs albums solo respectifs et au développement de BSM.
Ce sont donc les membres de BSM qui en profitent pour prendre du galon, notamment les Angelenos Ice Burgandy et YG Hootie, qui depuis la mort de Slim Dunkin, sont les mieux placés pour obtenir le titre de 6ème homme du Brick Squad.

Quant à « Miss A », elle garde certainement un oeil, et le bon, sur le développement de BSM. Elle reste aussi plus que jamais impliquée dans la vie de sa communauté, notamment via son association RahRah’s village of hope, qui s’assure qu’aucun enfant d’Atlanta ne soit oublié par le père Noël.

Crédits :

Texte : PureBakingSoda
Illustrations : Hector De La Vallée from Lelacdefeu.fr

 

->From Shootin’Dice Part.1 <-

category: Featured
tags:

En décembre 2011 Gucci Mane sortait de prison pour la énième fois. Dans l’établissement pénitencier du comté de Fulton en Géorgie, où il a passé près de la moitié de son temps ces dix dernières années, il est devenu une figure familière :

« Ca fait plus de 10 fois que je suis enfermé ici, je sais comment gérer la chose » ;  « Beaucoup de jeunes détenus viennent me voir parce qu’ils ne savent pas quoi faire, où aller. » ; « Je les invite à penser à ce qu’ils pourraient faire de positif en sortant. »

Ces longs mois passés en prison, Gucci Mane les occupe à lire et à écrire, ce qui explique sans doute sa capacité à littéralement inonder le marché de centaines de couplets par an. Ainsi, en 2011, et alors qu’il n’a été « en liberté » que 2 mois et demi sur 12, il a trouvé le moyen de sortir pas moins de 8 albums. Et s’il se contente parfois de recycler d’anciens couplets ou de jouer son personnage comme s’il utilisait un générateur automatique de Gucci Manières, il lui arrive encore d’avoir des petits moments de grâce… même si le mot peut prêter à sourire étant donné l’apparente lourdeur du larron.

Il est compliqué de parler objectivement de musique, et c’est une difficulté qui semble se décupler avec Gucci Mane. Rares sont les rappeurs ayant autant attirés les jugements aussi péremptoires et, paradoxalement, demandant systématiquement à être expliqués ; parce que dans une discussion sur Gucci Mane, vous aurez toujours tort de dire qu’il est mauvais, et serez toujours suspect si vous le trouvez génial.

Cela découlent directement de son personnage : à priori outrancier, lourd, jamais dans la nuance. Alors, avant de parler de sa musique, il faut peut être d’abord parler de lui ; parce qu’après tout, il n’est jamais question d’autre chose que de lui dans ses chansons.

Premières années en Alabama

12 février 1980, nous sommes dans le sud de Santa Fe, plus exactement dans le quartier haute sécurité d’un pénitencier du Nouveau Mexique. Dans les cellules les prisonniers dorment les uns sur les autres, le nombre de places prévues ayant été depuis longtemps largement dépassé. De fait, le dernier prisonnier, entré ce matin là, était le 1 136ème, pour un secteur qui ne comptait même pas 900 places. On ne saura jamais si c’est l’arrivée de cet ultime renfort qui donnera la force aux détenus de se révolter, et d’entamer ce qui reste encore aujourd’hui une des révoltes de prisonniers les plus violentes de l’histoire des Etats-Unis, ou si c’est le traitement sadique que leur réservaient les gardiens, à base de mind-game les poussant à se retourner les uns contre les autres. Quoi qu’il en soit, et bien que ça n’ait rien à voir, c’est ce matin là, pendant que l’Amérique entière avait les yeux tournés vers ce carnage, qu’en toute discrétion, caché dans une petite clinique du fin fond de l’Alabama, le petit Radric Davis faisait perdre les eaux de sa jeune maman.

On est alors encore bien loin de son futur royaume, la Zone 6 d’Atlanta. Précisément, nous sommes à Birmingham en Alabama et c’est là que Radric, futur Gucci Mane, va passer les neufs premières années de sa vie.
Vivant avec au moins deux frères et une soeur dans une famille monoparentale – et donc avec un unique revenu, soit les variables d’une équation très répandue dans le Sud et ailleurs- on peut imaginer que son quotidien est celui de millions d’américains pauvres.
En entrant à l’école, Radric amène dans son petit cartable tous les stigmates de cette situation économique et sociale.
D’un côté, son fort accent du sud couplé à sa légère dyslexie ne l’aident pas à s’exprimer dans une langue valorisée par l’école, et pour cela ses professeurs ne cesseront de lui répéter qu’il ne sait même pas parler anglais.
De l’autre, ses camarades en font la cible de moqueries quotidiennes, le petit n’ayant pas de quoi s’acheter les vêtements à la mode. Et tout cela, on peut l’illustrer d’une seule et même ligne de Gucci Mane :

« I neva had shit nigga that’s te truth. Rich kids in the school used to jone my shoes »

Dans une des rares chansons où il parle de son enfance, Gucci Mane évoque les moqueries dont il est l’objet. Mais là où cette phrase devient doublement intéressante c’est quand elle est retranscrite « rich kids in the school used to draw on my shoes » sur absolument tous les sites de lyrics, révélant qu’encore aujourd’hui certains américains ont du mal à comprendre l’argot et l’articulation pataude de Gucci. (To jone = se moquer).

Le petit est très vite abonné aux bagarres et aux vols à l’étalage.
« J’étais un mauvais petit gars noir, mais c’était pas de ma faute. » dit il, en se rappelant que s’il avait gagné une pièce a chaque fois qu’il avait pris part à une baston, il serait devenu riche avant sa dixième année.
Et à l’heure du goûter, pour soigner ses blessures, ce n’est pas avec du lait qu’il accompagne ses morceaux de pain, mais déjà avec le sirop violet. Il n’a pas encore neuf an que Radric a déjà la peau qui gratte, et le visage lourd, très lourd.

A l’époque, la seule figure masculine dans la vie de Radric, c’est son grand-père, de qui il tient son patronyme. Cet homme, aux yeux rougis par la surconsommation d’herbe, a voulu mettre en garde son petit fils, lui dire que s’il ne suit pas la voix des sages et s’entête a répéter les mêmes erreurs, c’est une vie très dure qu’il devra affronter ; « a hard head makes a soft ass » comme dit le proverbe sudiste cher au vieil homme.
Ce conseil, Radric prendra soin de le suivre à la lettre, mais en le comprenant comme il eut envie de le comprendre. Ce n’est peut être pas la « voix des sages » invoquée par son grand-père qu’il suivra… tout du moins pas des mêmes sages.

Enracinement en Zone 6

Hiver 89, il neige sur Atlanta pour accueillir Radric et ses frères et soeur qui viennent d’emménager dans l’Est, là où leur mère a obtenu un poste d’institutrice. La ville est divisée en six zones ; d’abord correspondant à des zones de patrouilles de la police, cette délimitation finira par gagner un autre sens pour les habitants qui se la réapproprieront jusqu’à en faire un élément à part entière de leur identité. Ainsi, quand on se présente entre ATLiens, il est courant de préciser de quelle zone on vient, en particulier pour les habitants des Zones 3 et 6, les plus pauvres et celles au taux de criminalité le plus élevé.

C’est dans la Zone 6 que la famille Davis s’installe et c’est une vraie jungle que décrit Gucci Mane quand il parle de ses premières années là bas ;

« C’était dur, vraiment très rude. Quand on est arrivé c’était la mode des vestes starter, on se les faisait piquer. Et quand on te la volait, on te la prenait avec ta casquette et tes chaussures. Il n’y avait pas de règles dans la rue, des chiens contre des chiens. Si tu ratais ton bus le matin, t’avais intérêt à te déplacer en équipe, sinon au premier coin de rue tu te faisais tomber dessus. »

Rapidement le frère ainé de Radric arrive à se faire remarquer dans le quartier et à devenir populaire grâce à ses talents de basketteur. Radric lui, n’a pas vraiment cette possibilité, étant peu athlétique et simplement pas intéressé. Il lui faudra trouver une autre voie pour se faire remarquer, et c’est alors que lui est apparue la lumière.

Cette lumière, elle ne lui est pas venue des cieux mais des bracelets diamantés de celui qui était à l’époque le Président non élu de la Zone 6. Un homme extrêmement respecté dans la Zone, et parce qu’il déambule dans les rues de son territoire habillé par les plus grands couturiers italiens, on l’y surnomme « Gucci Man », l’homme Gucci. Gucci Man prendra non seulement Radric Davis sous son aile, mais il en fera même son fils, en épousant sa mère.

Le quotidien de Radric prend alors une toute nouvelle tournure. Le voilà non seulement membre d’une famille au complet, mais il peut désormais se faire offrir ce qu’il désire : plus personne pour se moquer de ses paires de Nike toujours neuves ou de ses vestes aux couleurs des Hawks de Dominique Wilkins coutant trois mois du salaire moyen de la Zone 6.
Tout en prenant goût à son nouveau mode de vie, Radric comprend très bien à qui il le doit, ou plutôt à quoi ; à cette poudre blanche dissoute dans le bicarbonate de soude, basée dans les cuisines du Gucci Man. S’il veut préserver ce niveau de bien-être il sait à quoi il va devoir s’en tenir. A moins que…

A la même époque il y a en réalité un second model qui va entrer dans la vie de Radric, quelqu’un chez qui il va retrouver les signes de prospérité portés ostensiblement par son père adoptif. Chaines, bagues en or et costumes italiens, pour le style qui rend un noir suspect aux yeux de la police. S’il se défend de vendre de la drogue et laisse entendre qu’il s’est enrichi avec le commerce des charmes féminins, le fils Davis n’est pas dupe, si Big Daddy Kane peut afficher ces richesses, c’est grâce au rap.
Avec le rap, Radric entrevoie alors un moyen légal de réussir, un moyen surtout moins risqué et dangereux que le deal de crack ; il le voit bien, étant spectateur de la progressive tombée dans l’alcool du Gucci Man, fatigué par la pression de ce business.

Au début des années 90, pendant que les jeunes de son âge s’amusent encore à Galaga, Radric lui, commence à vendre ses premiers sachets d’herbe. Il s’invite alors dans les fêtes du coin pour faire transformer ses pochons en liasses de billets. Si cela lui permet de toucher de l’argent plus rapidement qu’avec le rap, ce n’est pas sans risque et il en fera l’expérience très vite. A 14 ans, alors qu’il est « invité » dans une soirée pour fournir les convives en diverses substances, Radric a le malheur de commencer à boire et à trop s’amuser. Les organisateurs sont obligés d’appeler la police pour le faire partir. Etant retrouvé avec les poches pleines de produits, les choses sont un peu compliquées avec la police. Pour la première fois de sa vie Radric Davis enfile des menottes, et si cela amuse le Gucci Man, qui voit son fils adoptif passer par une étape qu’il estime nécessaire pour devenir un vrai débrouillard, cette incarcération attriste énormément la mère.

A sa sortie, peut être dans le but de ne plus avoir à décevoir sa mère un jour, Radric Davis se met à rêver d’une vie où il ne pourrait vivre que du rap. Ce sera l’objectif qu’il se donnera dès ses 15 ans… Mais la route étant longue et parce qu’il faut bien faire cet argent en attendant, c’est d’abord dans la cuisson du bicarbonate de soude et la vente de poulets (chicken = kilo de cocaïne en argot américain) qu’il se lancera corps et âme.

Big Gucci Mane

Le meilleur témoignage de ce qu’il se passera durant cette période dans les cuisines de Radric Davis, il se trouve dans ses raps. Progressivement, en parallèle du trafic, il s’est en effet offert une renaissance: Radric Davis est devenu Big Gucci Mane, un nom porté en hommage a ses deux mentors et symbolisant chacune des faces de sa double personnalité ; Gucci Man le hustler et Big Daddy Kane le rappeur.
On peut le dire tout de suite, même s’il n’a pas manqué d’opportunités, Gucci Mane n’est jamais complètement sorti de la rue, et ce mode de vie, celui d’un dealer de coke, c’est une des seules choses dont il a envie de parler. Et même s’il a probablement arrêté aux alentours de l’an 2000 d’être un dealer à plein temps, il a toujours gardé un pied dans ce milieu pour en rester un des narrateurs certifiés.

Son premier disque, ‘La Flare’, sort en 2001 chez Str8 Drop record. Une rareté, ayant été tirée à 1 000 exemplaires, que peu de gens ont entendu à l’époque. C’est 4 ans plus tard, après avoir travaillé ses gammes entre deux casseroles sur le feu, avec quelques morceaux qui font du bruit localement comme ‘Black Tee’, et quelques passages en prison pour trafic de cocaïne, qu’il sort son véritable premier album : ‘Trap House’.

Difficile de mentir sur la marchandise, c’est étiqueté dessus. Avec cet album Gucci Mane nous fait avant tout visiter ses cuisines pour s’exercer à un genre déjà bien connu à Atlanta, la Trap Music. Avec ses propres codes, décors, références, ce sous genre venait juste d’obtenir une reconnaissance nationale avec l’émergence d’artistes comme T.I. ou Young Jeezy. Il s’agit de faire de la musique à destination des trafiquants de drogues de toutes tailles, de leur fournir le fond sonore de leurs activités, de quoi les motiver et les inspirer pendant qu’ils cuisinent ou effectuent une transaction.
Il ne faut pas deux minutes d’écoute de cet album pour percevoir ce qui différencie Gucci Mane des autres trappeurs.

« I stay High like girafe pussy in my trap house » ; « Money long like Shaq feet »

Les comparaisons sont farfelues, dans un décor qui reste on ne peut plus réel et sérieux. Gucci Mane n’est pas un clown, et s’il est bien habité par un semblant de folie douce, il n’en demeure pas moins un truand armé et dangereux. De ce mélange de figures à priori débiles pour décrire un univers dur et violent, il crée l’impression d’être un personnage de dessin animé ou de BD qui aurait pris vie dans le monde réel.
Alors, ce qui est souvent perçu comme dérangeant dans la Trap Music s’en trouve décuplé, comme grossi à travers un miroir déformant : parler d’activités illégales, de comment on peut s’y épanouir, en tirer une fierté et surtout, sans jamais en éprouver le moindre remords, que ce soit vis à vis de sa communauté ou, pire, vis à vis de Dieu ; sur tout ça, Gucci Mane fait encore moins de concessions que les autres. Dès lors, difficile de savoir s’il est un génie du crime avec un plan ou si c’est un fou lâché dans la nature et branché sur le mode random. Un point pour lequel il rappelle déjà le Joker de The Dark Knight. Et quelle que soit la solution que vous ayez choisie pour l’appréhender, il y a cette récurrence : Gucci Mane n’a pas de limite, et qu’il soit fou, génial ou les deux, le « personnage Gucci Mane » est inarrêtable, incontrôlable, tout en étant pourtant tout à fait réel.

Pour dessiner ce personnage, Gucci Mane possède des armes bien à lui : un flow saccadé, étalé avec nonchalance, et des intonations et prononciations qui lui sont très personnelles. Le défaut de prononciation qui à l’école causait des problèmes à Radric Davis, Gucci Mane a su l’utiliser pour venir parachever le « Gucci Flow », et en faire une arme musicale. Grâce à son articulation si particulière, Gucci Mane peut souvent donner l’impression d’être à deux doigts du bégaiement ou du fourchement de langue, comme s’il était constamment en train de rapper sur le fil d’un funambule, tout en s’offrant la possibilité de pouvoir versifier avec tout ce qu’il veut, puisque tout devient assonance et allitération une fois passé par la patate chaude qu’il semble garder constamment dans la bouche.
Le « Gucci Flow » évoluera avec le temps, développant de nouvelles armes pour devenir une véritable artillerie. On pense évidemment aux onomatopées que Gucci utilisera de plus en plus pour habiller ses phrases, mais aussi au double-temps qu’il développera aux alentours des années 2008,  souvent considérées comme son apogée en terme de rap.

Sa carrière, il la débutera entouré des parfaits partenaires à la production. Avec des  mélodies faites de notes de synthé que l’on croirait aléatoires et improvisées, accompagnées parfois de violons, de bois ou de cuivres, Zaytoven essaie de recréer des équivalents musicaux, tantôt de l’eau qui bout sur le feu, renvoyant à l’ambiance d’une trap house, tantôt d’une brise glacée comme un bonhomme de neige. On retrouve dans les productions de Zaytoven certains éléments de la musique de Shawty Redd, à l’origine de la majorité des beats de Trap House et, à la même époque, producteur attitré d’autres trappeurs comme Young Jeezy. Le résultat colle parfaitement à Gucci Mane, son flow et son personnage, renforçant l’un et l’autre. Zaytoven lui offrira ses premiers morceaux phares : d’abord Icy avec Young Jeezy, puis Street Nigga, Bitch I Might Be et beaucoup d’autres.

A cette époque, aidé par le succès d’Icy et les complications dû à un différent sur les royalties avec Young Jeezy, Gucci Mane a tout pour exploser à l’échelle nationale. Seulement, peu avant la sortie de son premier album studio, ‘Back To The Trap House’, un événement va venir impacter la vie personnelle de Radric Davis, et sans doute venir marquer le premier grand tournant de la carrière de Gucci Mane.

Meurtre, prison et naissance de « Mixtape Gucci »

Le 10 mai 2005, alors que Gucci Mane rentre avec une strip teaseuse pour lui faire écouter quelques chansons, cinq hommes s’invitent par effraction chez la demoiselle. Parmi eux se trouve un dénommé Pookie Loc, wanna be rappeur signé sur CTE. Sa présence peut laisser entendre que cette intrusion est liée aux rapports houleux entre Gucci Mane et le patron de CTE, Young Jeezy, d’autant plus qu’on retrouve parmi ces hommes Kinky B, co-propriétaire du label avec Jeezy. Il y aura beaucoup de versions de l’histoire, et probablement qu’on ne connaitra jamais l’entière vérité : certains parlent d’une tentative de laver l’honneur de Jeezy en venant voler Gucci Mane, d’autres de péripéties liées aux histoires de gangs, Gucci Mane étant souvent considéré comme affilié aux Bloods, alors que Pookie Loc (comme Young Jeezy) est affilié Crips, d’autres disent que la Black Mafia Family serait impliquée… Quelle qu’en soit la raison, le résultat est le même. Pendant que la Strip Teaseuse est tenue en joug par l’un des hommes, Pookie Loc pointe son arme en direction de Gucci. Ce dernier, également armé, dégainera le premier et tuera Pookie.
Au procès, la juge lui reconnaît la situation de légitime défense. Néanmoins, il se dit encore aujourd’hui que Gucci Mane a souffert du manque de suivi psychologique reçu après ce qui reste le meurtre d’un homme. Et s’il a échappé à la prison pour cette histoire, il y passera 6 mois juste après le procès, pour une vieille affaire d’agression d’un patron de club.

Tel Red Hood à sa sortie des cuves de produits chimiques, Gucci Mane ressort plus malin, plus fort, plus doué, de ces épreuves. Après sa libération en janvier 2006, il entame alors un marathon de mixtapes qui prendra fin en 2008 avec un retour en prison.
La première de ces mixtapes reste encore aujourd’hui un de ses meilleurs disques. Parrainé par DJ Burn One, la double cassette ‘Chicken Talk’ résume une bonne partie du meilleur du Gucci Mane passé, présent et futur.
Comparé à ce qu’il offrait sur ses précédents albums, Gucci Mane a progressé à tous les niveaux et entre dans une autre dimension.
La plupart de ses meilleurs partenaires sont là et ses sujets de prédilection sont traités ; de la pure trap music sur les prods de Zaytoven (Chicken Talk), du rap de rue violent en compagnie de Yo Gotti sur un beat menaçant de Drumma Boy (How Hood Is This) aux hymnes mongols sur son amour vrai des bijoux et des voitures (My Chain, Stupid, Giant).
Enfin, il y a ce morceau, 745, un freestyle sur une prod. de DJ Paul et Juicy J, sur lequel Gucci Mane revient sur son affaire de meurtre en légitime défense, analyse avec justesse sa situation vis à vis du rap et évoque son ambition. Sans doute que Gucci Mane voit qu’il a pour l’instant relativement échoué vis à vis de sa volonté d’être un artiste de premier plan, et pour lui les raisons sont claires, elles sont liés à son attachement à la rue, à son mode de vie qu’il ne veut pas renier et à sa réputation de garçon incontrôlable.

« Niggaz scared to sign me cuz I beef too much and they heard that I stay in the Streets too much. »

Pour autant, il n’envisage pas de changer, au contraire il espère atteindre son but (être le numéro 1) par cette voie. Et il l’annonce on ne peut plus clairement, son but est de détrôner le meilleur rappeur vivant à cette époque.

« Beyonce, Oh that’s your fiancé ? Jeezy is the appetizer you’ll be the entrée »

En ambitionnant de s’attaquer à Jay-Z, Gucci Mane vise non seulement le sommet de la pyramide, mais aussi quelqu’un représentant son antithèse. Un rappeur qui pour réussir a complètement laissé derrière lui le milieu des trafiquants de drogues où il aurait évolué dans le passé. Un ‘passé’ qu’il a d’ailleurs toujours évoqué de manière moralement plus acceptable que Gucci Mane, car toujours du point de vue de celui qui a quitté ce milieu, et non sans certains regrets d’en avoir été un acteur, pendant que Gucci le décrit de l’intérieur et sans intention de s’en écarter.

Tentation mainstream

Après cette longue série de mixtapes, qui contient ses hauts, ses bas, ses périodes, ses moments d’incarcération, ses centaines de morceaux et qui mériterait à elle seule un dossier de 10 pages tant elle constitue le véritable noyau dur de sa carrière, la cote de Gucci Mane est au plus haut.
Au sortir de ce qui s’apparente à ses 12 travaux d’Hercule, Gucci Mane est maintenant un rappeur extrêmement respecté, dans sa Zone 6 natale évidemment, mais dans tout Atlanta et aux quatre coins de l’Amérique.

Entre 2008 et 2010 il n’y a pas un rappeur qui n’a pas sa collaboration avec le Gucc’ et des artistes mainstream comme Black Eyed Peas ou Mariah Carey l’invitent sur les remix de leurs singles.

Plus que le grand public, en plus des auditeurs assidus de rap dont il avait déjà le soutien et la reconnaissance, c’est du public ‘branché’,  ou peu importe comment il faut l’appeler, que Gucci Mane devient une égérie à cette époque. Les ‘hipsters’ avides de blog mp3 découvrent Gucci Mane, l’écoutent souvent « au second degré » amusés par ses jeux de mots et son personnage tirant vers le cartoon, refoulant son côté criminel ou refusant peut être de croire que ce mec existe vraiment et qu’il est exactement comme dans ses chansons.
En tout cas, Gucci touche un public beaucoup plus large que les fans de rap sous terrain, et son rayonnement lui paraît être assez haut pour retenter l’aventure en major.

Débute alors une collaboration avec Warner Bros, au départ trois albums sont prévus mais seulement deux verront finalement le jour.
En terme de ventes, sans que ce soit une catastrophe, les deux albums ne font pas des scores exceptionnels et le premier des deux ‘The State VS Radric Davis’, qui est de loin le plus réussi, échoue aux portes du disque d’or. Qualitativement, on est loin d’atteindre le meilleur de ce que Gucci a pu offrir sur mixtape. Si ‘The Appeal’ est clairement un album produit à la va-vite, voir raté, car fait de l’addition de morceaux de mixtapes, de featuring mal choisis et de productions de Swizz Beatz, ‘The State VS Radric’ reste un bon album grâce à des morceaux qui marqueront la mythologie de Gucci (Classical, sur lequel il assène une nouvelle pique à Jay-Z, Heavy, Stupid Wild, Lemonade). Et une nouvelle fois Gucci Mane montre qu’il est entièrement conscient de ce qui est son seul obstacle au succès durable, lui même : sur Worst Enemy il revient sur sa personnalité, ce côté feu que lui même semble incapable de contrôler, ses allers-retours en prisons, ses beefs avec T.I. et Young Jeezy… Si cela aurait pu être un premier pas vers la stabilisation de sa carrière, les choses vont en réalité s’empirer, et juste après la mise en vente du premier disque, Gucci Mane retourne encore et encore en prison.

6 mois, puis 6 mois.

A cette époque, il faut croire que Gucci Mane veut démontrer que le puit dans lequel il s’engouffre est sans fond. Non seulement les quelques projets qui germent ne sont pas terribles (Jewelry Collection, The Burrrprint 2) mais une fois libéré, il renchérira une fois encore dans la folie. Le 2 novembre 2010, après à peine 6 mois de liberté, il est arrêté au volant d’un véhicule non assuré, sans permis, alcoolisé, roulant en sens inverse, après avoir, entre autres charges, grillé des feux et détruit du mobilier public : ALL IN.

A son arrestation, ce n’est cette fois pas à la prison qu’il est conduit, mais au service psychiatrique du Grady Memorial Hospital.

L’éternel retour, l’inévitable rechute 

Un peu comme le mari pris en flagrant délit d’adultère et qui n’arriverait pour autant pas à s’empêcher la récidive, Gucci Mane sort régulièrement un projet pour marquer son retour au foyer conjugal, c’est à dire au rap de rue pur et dur. Après sa sortie d’hôpital il y eut Return Of Mr.Zone 6, puis plus récemment Trap Back.
S’il a essayé de se fondre dans le système à plusieurs reprises, nous l’avons vu ce fut toujours sans véritable réussite ; alors pour ne plus avoir a céder à cette tentation, après sa dernière escapade, il a lui même construit les murs du piège qui fera de lui l’éternel prisonnier de la Zone 6 : ce fameux tatouage sur le visage, celui qui n’a pas fait couler de l’encre que sur la joue du rappeur bipolaire.

Si en regardant ce tatouage on voit d’abord l’acte d’un homme qui s’est laissé aller à la folie, on peut y voir aussi un geste symbolique, celui de l’abandon de toute ambition nationale. Plus que jamais Gucci Mane devenait ce rappeur qui répugne le grand public. Le street album ‘The Return Of Mr.Zone 6′ mis en vente juste après, vient confirmer un retour vers un rap plus dur, libéré des featuring et des producteurs imposés par une maison de disque qui espérait placer des singles en radio.

Mais l’inévitable arriva, après avoir jeté une femme de sa voiture en marche, Gucci est de nouveau arrêté et emprisonné pour quelques mois… Cette fois, à sa sortie, il promet que ce sera la dernière fois, qu’il est lassé de ses propres débordements et qu’il se concentrera pour ne faire parler de lui que par la musique. Wait and see.
En tout cas, il se pourrait que Radric Davis reprenne du plaisir à rapper. Si Trap Back n’est pas encore un retour au Gucci Mane qui a fait trembler la terre par le passé, il semble poursuivre une dynamique positive déjà entamée avec l’album Free Bricks : Zaytoven, Drumma Boy, Mike Will, Future, 2 Chainz, Rocko, voilà les noms qui devront entourer celui de Gucci dans l’avenir pour qu’il « revienne » vraiment. Et s’il se remet à rapper comme sur ce Show Me, venu de nul part ou presque, alors il y a de bonnes raisons d’être optimiste.

Quelque part, il y a quelque chose de rassurant dans le semi-échec mainstream de Gucci Mane, celui-ci survenant parce qu’il refuse de se débarrasser de ce qui fait sa personnalité et nourrit ses textes. Et qu’il refuse par véritable respect/amour pour son univers, parce qu’il est véritablement fou, ou les deux, cela lui permet en tout cas de poursuivre une carrière cohérente, que ce soit pour le meilleur (Freebricks, The Return Of Mr.Zone 6) ou les pires Guccimaneries (BAYTL en collaboration avec l’ignoble V-Nasty).
Et par delà ça, la musique aura fait de Gucci Mane un homme riche, ce qui est bien le principal. Il est aussi un des rares rappeurs dont la vie entière pourrait être intégrée à l’œuvre artistique, au même titre que les tout autant légendaires Pimp C, Cam’Ron ou Tupac Shakur.

Crédits :

Texte : PureBakingSoda
Illustrations : Hector De La Vallée from Lelacdefeu.fr