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Pour écrire il faut s’exposer à la peur d’être approximatif, au risque que le mot juste n’existe pas. D’après James Baldwin, affronter ces mots imprécis, les sélectionner et les tordre pour dire ou écrire, c’est être un poète. En ouvrant son album avec la voix de Baldwin, Earl donne probablement une des raisons de sa longue absence, passée dans ce sas où la réalité se délite quand on la couche sur papier.

Some Rap Songs existe parce que son auteur s’est résolu au flou. En épurant tout, Earl apprivoise l’imprécision des signes. L’air de rien, il taille dans le brouillard des images simples, des bribes qui ne s’interprètent pas, que l’on comprend sans décrypter, et qui touchent sans que l’on sache vraiment à quel endroit.

Pourquoi le croisement des voix de ses parents sur Playing Possum provoque-t-il autant d’émotions ? Est-on même capable de dire précisément de quelles émotions il s’agit ? Toute la force du découpage, comme de l’écriture, se trouve dans ce qu’ils ont d’à la fois évident et nébuleux, pour ne laisser qu’une impression.

Grâce à cette écriture, ou par le biais des samples quand il ne peut plus se cacher derrière la vapeur des mots, Earl préserve sa pudeur, et s’adapte aux aléas : si son père décède, alors, sans changer une seule note ni un seul mot, ce qui devait servir à faire la paix avec lui devient naturellement un hommage. Et un adieu. Parce que derrière les mots approximatifs, l’émotion reste précisément la même.

En jouant avec les formes et les structures, Earl élève le genre de l’intérieur, n’en modifient pas les contours mais poussent dans leurs retranchements ses matériaux de base : des mots et du découpage d’échantillons. Le strict minimum pour faire quelques chansons de rap.

illustration : Hector de la Vallée