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rap

milo a une attitude réflexive vis à vis de son art et voudrait que son cheminement l’aide à être le plus indépendant, honnête et juste possible. « I write a rap how Piccolo grow his arm back » dit-il sur stet. Piccolo, personnage extra-terrestre de Dragon Ball, se fait arracher le bras plusieurs fois en combat, puis le fait repousser dans un cri de douleur. Pour être fidèle à sa conception de l’art, milo voudrait écrire dans le même entre-deux douloureux et régénératif, faire naitre ses textes de la souffrance réelle pour aider à la guérir.

Sa discographie a toujours mis en évidence les contextes. Le flux de pensées et de références échappées sans classement ni contrôle, fait jaillir de l’inconscient les plaies à soigner : la mort d’un ami, le racisme, les violences policières, la pauvreté d’un genre musical devenu une commodité, la lutte pour l’indépendance et l’intégrité. Mais il ne fait pas disparaître l’angoisse. Aussi bons que puissent être ses albums, milo n’a jamais complètement réalisé ce vœu pieu : alléger, soulager, soigner.

Peu importe l’acuité avec laquelle il voit le monde, la justesse des mots utilisés pour le mettre en texte, il manquait à priori quelque chose. Pour combler ce vide, il s’est moins intéressé à ce qu’ont dit ou pensé les philosophes et les auteurs avant lui, pour laisser entrevoir ce qu’il se passe dans sa vie et dans sa tête.

Pour marquer ce recentrage en lui-même, milo enregistre Purple Moonlight Pages sous un nouveau nom de plume. D’ailleurs, ce n’est même plus un pseudonyme, R.A.P. (Rory Allen Philip) Feirreira étant son véritable patronyme.

En cherchant en lui-même comme dans un exercice de maïeutique, puis dans les choses minuscules de l’intime tout en restant connectés à l’Univers, ses textes deviennent rassurants dans leur manière de concilier l’infiniment petit et l’infiniment grand. Le rituel terre à terre de la lessive y est aussi important et significatif qu’une odyssée spatiale, la traversée d’un trou noir deviendrait presque anodine alors que le sens de la vie se trouve écrit sur le mur des toilettes.

Au fil du disque, deux certitudes se dessinent dans l’empilement des anecdotes du quotidien, entre les apparitions de peintres abstraits et de poètes surréalistes, parmi les souvenirs de vies antérieures et les voyages stellaires à bord de l’USS Enterprise : On ne perd pas nécessairement son temps à rester immobile pendant que la Terre tourne, et créer librement rend plus libre, comme une sorte de cercle vertueux.

Jusque dans sa façon de rapper, Rory paraît libéré. Il converse dans le style d’Aceyalone, fredonne entre les accords et suit les improvisations d’un saxophone à la manière de Myka 9, ou hache son flow sur les batteries en simulant son mentor Busdriver. L’acidité de son humour froid et cynique disparaît au profit d’une joie apaisante, et communicative pour peu que l’on ait cette capacité à lâcher prise pour rêver avec lui.

Entre les références à Lorca et Mondrian, à OutKast et Zev Luv X, apparaît le fantôme de Pharaoh Sanders, ce saxophoniste cosmique qui, comme R.A.P. Ferreira, joue en s’imaginant peintre abstrait. Signe que pour accompagner un tel esprit de liberté et de transcendance, le jazz est un allié naturel.

Purple Moonlight Pages est l’album d’un quartet, complété par The Jefferson Park Boys, un trio composé de Mike Parvizi, Aaron Carmack et Kenny Segal. Leur jazz enregistré live renforce la proximité et le côté organique, parfaitement entretenu par le mastering de Daddy Kev. Sur des productions plus atmosphériques comme celles de Dust Up et Cycles, opère le même miracle que dans les textes, une impression d’harmonie des sphères, de recevoir une musique céleste en ayant pourtant les pieds enfoncés dans la terre et la réalité.

Purple Moonlight Pages réussit le tour de force d’anesthésier le corps, à l’exception du cœur et du cerveau, pour panser et alléger les esprits. Et R.A.P. Ferreira réalise le rêve de milo. De chaque élément émane un air réconfortant, celui soufflé par un artiste qui s’est trouvé, qui a reconstitué son puzzle de mots et de pensées pour cerner sa propre philosophie et ses sujets : la quête de sens, le bonheur simple de la paternité, la liberté totale, l’insubordination, et surtout, le pouvoir libérateur de la musique et de la poésie.

illustration : Hector de la Vallée

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Si l’on dessinait la carte mentale du rap, une arborescence achronique reliant ses individus, ses sons et ses évolutions comme des atomes, au milieu se trouverait Lil Wayne. Il a absorbé tout ce qui s’est fait avant lui en voulant ressembler à ses idoles, puis en le recrachant a donné naissance à tout ce qui s’est fait après. Lil Wayne est le centre de gravité de l’histoire du rap. Même absent, il est omniprésent, en s’incarnant dans à peu prêt tout.

A force de crises d’épilepsie, le monde qui pousse dans la tête de Dwayne Michael Carter Jr. a cessé de grandir, mais il est devenu matériel, palpable. Il est celui dans lequel nous vivons aujourd’hui. Lil Wayne est devenu le rap.

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Cooking by The Book Vol.3 : Lil Wayne & The Hot Boy$ raconte en vingt chapitres et interludes l’histoire du plus grand rappeur de tous les temps, sa musique, sa ville, son ascension vers Mars, les frères, les pères et les ouragans croisés en chemin.

Disponible sur le site des éditions FP&CF dans une édition simple accompagnée d’une carte A5, dans des packs avec un poster A1 ou dans un des trente packs avec le poster et douze risographies A3 des illustrations.

Commander Lil Wayne & The Hot Boy$