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Pour arriver sur la surface de Pluton, en partant du cimetière d’où débute son histoire, Future a dû parcourir plus de 6 milliards de km.
Le voyage fut long, dura dix ans, mais lui permit de produire l’album dont il rêvait ; un album qui prend le temps de revenir sur chacune des facettes du personnage qu’il s’est sculpté durant cette décennie.
Parce que si pour beaucoup le rappeur Future n’a émergé que dans les derniers mois, tout au plus une paire d’années, c’est en réalité depuis le début des années 2000 qu’il opère secrètement en orbite autour d’Atlanta…

…et c’est presque un demi-siècle qu’il faut remonter en arrière pour retrouver trace des plus vieilles influences de Pluto.

Le père spirituel

Nous sommes à la fin des années 60, Lyndon Johnson, impopulaire à cause de la guerre du Viet Nam, renonce à se présenter à sa propre réélection. Pendant ce temps, les opposants ordinaires à cette guerre préfèrent célébrer des rockeurs et guitar heros comme Janis Joplin, Jefferson Airplane ou Carlos Santana.
Couvrant le concert de l’un d’entre eux, un photographe de Rolling Stone Magazine s’infiltre backstage pour une interview ; « Bonjour, je suis un journaliste de Rolling Stone » dit-il, ce à quoi le grand noir ébouriffé face à lui répondit :

« Je suis Jimi Hendrix, je viens de Mars. »

La récente conquête de l’espace et les premiers pas d’un homme sur la lune sont à cette époque une grande source d’inspiration pour le rock psychédélique, et vont même jusqu’à faire naître des sous genres musicaux comme le space-funk ou le space-jazz.
L’espace est alors un moyen de décrire les voyages d’un esprit imbibé de drogues : LSD, Marijuana, Héroïne, sont pour ces artistes des vaisseaux pour la Lune, Mars et Pluton.

Parmi le demi-millier d’astronautes qui a émergé à cette époque, Jimi Hendrix est celui qui va nous intéresser, le guitar hero étant un des pionniers des métaphores cosmiques ;

« I’m in orbit around the third planet from the star called the sun. Over. » – Third Stone from the Sun

« I have lived here before the days of ice. And of course this is why I’m so concerned. And I come back to find the stars misplaced. » – Up from the Skies

Que ce soit par ses textes, l’usage de la pédale wah-wah, les distorsions de la fuzzbox ou les effets d’échos, la musique d’Hendrix nous renvoyait souvent aux odyssées spatiales que seuls de grands accros aux modifications de l’esprit ont pu vivre.

Cet Hendrix cosmonaute est, presque 45 ans après, une des influences principales des thèmes de Pluto. Et comme nous allons le voir, l’obsession de Future pour le guitariste ne date pas d’avant-hier.

Famille étendue

Nayvadius Willburn est un petit dealer de crack à Atlanta. Il raconte que c’est sa mère qui lui a tout appris et l’a poussé dans cette voie, mais personne ne sait si c’est la vérité. Ce qui est sûr, c’est que s’il n’est pas au coin de la rue à vendre de la dope, Nayvadius essaie de faire de la musique dans le garage de ses grands-parents, chez qui il vit. Son ambition n’est pas de devenir le kingpin d’Atlanta ; son rêve, c’est d’être une rock star.
Seulement, à Atlanta, ce n’est plus du rock qu’il faut faire pour être une star, mais du rap.

Voyant que son petit-fils savait rapper et chanter, y voyant surtout un moyen de le faire sortir de la rue, le grand-père se fai impresario d’un jour.
Celui-ci sait vers qui se tourner, un autre de ses petits fils ayant réussi dans la musique. La famille Willburn-Wade est un peu éclatée dans Atlanta et sa banlieue, mais la vie est faite d’évènements qui amènent régulièrement les familles les plus atomisées à se retrouver : les naissances, les mariages ou … les enterrements.

Nayvadius n’a que 14 ans le jour de cet enterrement. Toute la famille est présente, y compris son cousin, Rico Wade. Membre d’Organized Noize, Rico est un des cerveaux de la Dungeon Family, équipe la plus secrète et prolifique d’Atlanta, maison mère d’Outkast et Goodie Mob.
Le grand-père présente Nayvadius à Rico ; « C’est ton cousin, pour l’instant il est dans la rue, mais il chante, vois ce que tu peux faire avec lui. »

A l’époque, Rico Wade travaille avec Bubba Sparxxx sur le titre Ugly, peaufine avec André le troisième album d’Outkast et n’a que peu de temps à accorder à son cousin, mais trouve quand même le moyen de lui faire enregistrer un titre.

Pendant les trois ans qui vont suivre, Nayvadius n’a pas ou peu de contact avec cette partie de sa famille. Il n’ose pas retourner vers Rico, se disant qu’étant maintenant célèbre, il doit avoir des cars entiers de cousins plus ou moins éloignés qui réapparaissent pour profiter de son succès.

Mais la providence offre à Nayvadius une nouvelle chance de travailler avec son cousin, un nouvel enterrement. Cette fois, il prend son courage à deux mains pour aborder Rico Wade de lui même. « Tu te rappelles de moi ? » ; « Bien sur, je joue souvent la track que tu avais enregistrée à l’époque, je la fais écouter à tout le monde, il faut que tu reviennes en studio avec nous. »
Le lendemain matin Nayv’ est dans le donjon pour enregistrer le titre « Trap Star », un titre déjà marqué par la double influence trap et rock puisqu’il y est question de la cuisson de la cocaïne sur des riffs de guitares saturées…

Après l’enregistrement de ce titre, Nayvadius devient « Meathead ». Désormais officiellement membre de la Dungeon Family, il ne quitta pas leur studio une seule minute pendant plusieurs mois.

Famille recomposée

En studio, en plus de l’équipe d’Organized Noize, c’est un véritable All Star Game ATLien que Meathead côtoie : Big Boi, Andre3000, Big Rube, Big Gip, Cee-Lo, Khujo, Killer Mike, et beaucoup d’autres.
Il lui faut maintenant être connu du public. N’ayant pas le temps de s’occuper de tout le monde individuellement, Rico entoure Meathead de quatre autres nouvelles recrues, avec qui il forme Da Connect. Dans la foulée, en 2003, le groupe sort Dungeon Family 2nd Generation. Entièrement produit par Organized Noize, cet album devient la première apparition sur disque de Nayvadius Willburn.

Cet album est surtout l’occasion pour Nayv’/Meathead d’établir quelques connexions, notamment avec le rappeur Ludacris. Ce dernier sort la même année son quatrième album, The Red Light District, pour lequel Nayvadius va écrire un refrain.

Entre ce refrain et celui de Racks qui le rendra riche, Meathead devient Future, renommé ainsi par ses frères de la Dungeon Family qui voient en lui « le futur du rap ». Mais l’écriture de refrains n’occupant pas la moitié de son temps, et surtout ne remplissant pas tout de suite ses poches de liasses, Future est obligé d’écrire et de retourner vendre de la drogue à Kirkwood, en même putain de temps.
C’est en naviguant dans le business de la drogue qu’il fait la connaissance de Rocko, personnage un tiers rappeur, un tiers entrepreneur, un tiers dealer, et fondateur du label A1 Recordings sur lequel il signera Future quelques années plus tard, et via qui ce dernier rencontrera toute la clique des trappeurs sauvages d’Atlanta, en particulier Gucci Mane.

Ayant bien pris soin de ne pas se jeter dans la fosse aux lions tout de suite, et de bien préparer son arrivée dans le jeu en se construisant son univers et son identité, Future ne réapparaitra sur le devant de la scène que dix ans après ses véritables débuts.

La suite tout le monde la connaît. Future entame un de ces marathons de mixtapes comme seuls les trappeurs d’Atlanta savent nous les faire : 1000, Kno Mercy, Dirty Sprite, True Story, Free Bricks, Streetz Calling puis Astronaut Status. Et avec des titres comme Magic, Ain’t No Way Around It, Same Damn Time ou Tony Montana, Future parvient à devenir un rappeur à succès, dans un style à part capable de plaire à un public diversifié tant il ratisse large du côté des artistes et styles qui l’ont marqués.

Le fils prodigue

Depuis un peu plus de 6 mois, il est difficile de passer à côté de Future sur les radios américaines, et aujourd’hui tout le monde est capable de reconnaître en quelques secondes sa voix tremblante, son utilisation unique de l’autotune ou ses prononciations et articulations si particulières qui peuvent parfois le faire passer pour un Jamaïcain de l’espace.
Sur ses sept mixtapes, Future a réussi à convaincre aussi bien dans la trap (Tony Montana, Birds Take a Bath), le RnB de club (Ain’t No Way Around It) que dans les balades rap spatiales et EMOTEAM (Space Cadet, Deeper Than The Ocean).
Après un tel marathon, il lui faut maintenant franchir l’étape difficile du premier album studio.

C’est dès 2010 que Future travaille sur ce premier disque, et depuis le début il souhaite faire un album contenant dans son ADN le spectre de toutes ses influences.
Les premiers brainstormings sur l’orientation du disque, c’est avec Mike Will qu’il les a. C’est à Gucci Mane que les deux doivent leur rencontre, et depuis ils ont déjà eu l’occasion de travailler ensemble à plusieurs reprises.
Future explique alors à Mike Will qu’il souhaite que son disque fasse de lui une rock star. Pour ça, s’il est prêt à y intégrer plus de chant que de rap, il n’est évidemment pas pour abandonner les délires spatiaux qu’il a développé de plus en plus au fil des mixtapes. Parce que comme le guitariste qu’il idolâtre, Future veut donner l’impression qu’il vient de l’espace. Avec ce parti pris comme base, le projet est lancé sous le nom de code « FUTURE HENDRIX ».

Le premier morceau enregistré est « Truth Gonna Hurt You », sur lequel le chant de Future est habillé de guitares saturées qui semblent provenir de la galaxie Jimi.
C’est autour de cette pierre angulaire que l’album va se développer, les titres suivants à être enregistrés étant « Turn On The Light » et « Neva End ». Ces trois balades produites par Mike Will, très proches dans leurs sonorités, formeront la colonne vertébrale de l’album. Et si les guitares, que l’on retrouve sur Permanent Scar de Jon Boi ou Deeper Than The Ocean de Will-A-Fool (absent de l’album final), sont absentes de T.O.T.L. et Neva End, Mike Will s’inspire néanmoins de sonorités rocks pour ces titres. En effet, à l’époque de l’enregistrement, Future écoute en boucle The Fool, dernier album du groupe de rock alternatif Warpaint, et invite ses producteurs à en faire de même avant de produire pour lui.

Avec son mélange de chant et de rap, sa cohérence sonore marquée par le rythme de balades, sa position extra-terrestre et évidemment en invitant Big Rube pour faire le narrateur de son histoire, Future inscrit aussi son album dans la continuité des disques de la Dungeon Family. Alors comment ne pas penser à ATLiens d’Outkast, tant ces albums ont des points communs, de leur façon de nous plonger dans un autre univers par leurs productions douces, « spatiales », qui utilisent violons, pianos et guitares, jusque dans leur volonté affichée d’être des OVNIS, ou au moins albums difficilement identifiables.

Désormais l’album s’appelle Pluto et d’avantage de rap que prévu y a été intégré. On y retrouve notamment les deux hymnes du guêpier, Tony Montana et Same Damn Time, qui ne dénotent pas tant du reste en donnant l’impression que Future trappe comme un extra-terrestre, grâce à des textes à la limite du surréaliste (dans l’un Future revit le film Scarface en accéléré, dans l’autre il est sur Pluton et Mars au même moment, pour y faire deux choses en même temps).
Le défaut du disque, c’est du côté de son entame qu’il faut aller le chercher ; et si le titre Parachute avec R. Kelly reste correct même sans tenir toutes ses promesses, les trois titres suivants gâchent légèrement l’unité de Pluto.

En tant qu’album, on ne peut avoir qu’un sentiment mitigé sur ce Pluto, tant on y sent le potentiel d’un disque qui aurait pu/dû être infiniment meilleur, un peu gâché par un surplus de chansons. Mais avec en son coeur une dizaine de titres qui vous enverront dans l’espace sans vous demander la permission, Pluto reste un très bon album de rap, grâce à ses productions qui émulent parfaitement l’immensité spatiale et au talent de Future pour le songwriting et les flows expérimentaux.
Maintenant, espérons que « Future Hendrix » voit quand même le jour, tant ce sont les titres issus de ce projet qui offrent à Pluto ses meilleurs moments.

Crédits :

Texte : PureBakingSoda
Illustrations : Immy Soraya