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YG, My Krazy Life

YG et DJ Mustard, c’est comme Jesse Pinkman et Walter White, ils connaissent la formule du gangsta rap partouzard pur à 99.1 %. Il faudrait expliquer aux journalistes qu’il est inutile de questionner un rappeur sur ses influences. C’est comme demander à un magicien d’expliquer ses trucs, évidemment qu’il va tourner autour du pot. Preuve en est, dans les dizaines d’interviews infligées à YG, le gamin répète souvent que ses modèles sont Biggie, Jay-Z, 50 Cent et Drake. Vraiment ? Venant de quelqu’un qui appelle une mixtape 4Hunnid, le doute est palpable. N’importe qui avec une paire d’oreilles fonctionnelles sait qu’en réalité la recette vient d’abord de Louisiane. Le rap de Juvenile, Mannie Fresh, Young Bleed ou Lil Boosie, Mustard et YG l’ont disséqué pour en garder l’essence festive. Le rappeur mise avant tout sur l’attitude, le producteur sur l’efficacité d’une mélodie minimaliste et d’une rythmique qui libère toutes nos pulsions. Cette formule, ils l’ont réduite au niveau moléculaire pour y reconstruire quelque chose avec LEUR culture : celle de Los Angeles, des Piru, des kilomètres de bitume chauffés par la canicule et des fêtes en bord de plage. Pour la génération de YG le rap est une part intégrante de cet univers, alors à l’argot, aux suspensions hydrauliques et aux amitiés viriles en bandanas s’ajoutent les discographies de N.W.A., Snoop Dogg, Suga Free, DJ Quik, Kurupt, E-40… mais aussi des Hot Boy$, qui trustaient les charts à l’époque où se forgeaient leurs goûts musicaux. My Krazy Life nait de ce grand panier à salade, un apparat West-Coast pour les touristes, un esprit Cash Money pour lui donner vie. C’est une version moderne et californienne du 400 Degreez de Juvenile et Mannie Fresh, où le carnaval de Mardi Gras et les cuivres sont remplacés par la culture des gangs et les sirènes.

Le tempérament louisianais à l’oeuvre dans un contexte californien, c’est le fond de commerce du duo depuis des années, et il reste le coeur de My Krazy Life. Néanmoins, YG affirme d’avantage ses origines avec les titres produits par des tiers. Ainsi, Meet The Flockers ou 1AM fonctionnent comme de vraies interludes 100% west-coast entre les collabs avec Mustard, et parachèvent le tour de magie : malgré son fond de sauce, l’album transpire Compton, et rien d’autre.

En trois quarts d’heure on a passé une journée complète en compagnie d’un sale môme vicelard. Les chansons s’emboitent, s’enchainent sans qu’on ait le temps de retoucher terre, font références les unes aux autres, tout en fonctionnant parfaitement indépendamment de l’ensemble. Presque chaque titre contient un emprunt de gimmick ou de refrain à un vieux classique rap. Des références claires à Why U Bullshitin’ de Suga Free, à Down for My Niggas de C-Murder, à Let’s Play House de Dogg Pound, Face Down Ass Up de 2 Live Crew, Playaz Club de Rappin’ 4 Tay, Who Do You Love de Lil’Boosie, Next Episode de Dr. Dre ou des renvois plus subtils à Back That Ass Up de Juvenile. Si on n’a jamais l’impression d’assister à un cours d’histoire barbant, c’est grâce au feeling très naturel de YG. Ces rappeurs sont une part de lui et ressurgissent comme des fantômes qui l’ont hanté toute son enfance. L’ambiance générale de fête finit par donner la sensation d’être perdu dans la foule à hurler ces chansons célèbres qu’on adore, dans des soirées animées par DJ Mustard et hostées par YG, Ty$ et les autres.

Les derniers à avoir réussi à synthétiser à deux 20 ans d’influences pour en résumer le son du moment, c’étaient Lex Luger et Waka Flocka Flame il y a quatre ans. My Krazy Life pourrait bien être l’un des meilleurs albums studio de gangsta rap depuis Flockaveli. A suivre la journée d’un californien aussi charismatique et collaborant étroitement avec un producteur, on pense aussi très fortement à Snoop et Dre. Doggystyle pour la forme, 400 Degreez pour le fond, Flockaveli pour l’impact dans l’histoire récente, voilà dans quel genre de filiation s’inscrit cet album. Mais il ne faudra pas pousser plus loin les comparaisons. Contrairement aux trois duos liés aux trois disques sus-cités, YG et Mustard n’ont pour l’instant rien inventé. Encore une fois, ils ne font qu’exécuter une recette à la quasi perfection… et c’est déjà beaucoup. Si on aime profondément le rap (et la fête), il est simplement difficile de ne pas aimer My Krazy Life.

Freddie Gibbs & Madlib, Piñata

Piñata traine un côté « générateur auto de grown man rap » qui l’empêche d’être un album vraiment excellent. Même quand il parle de son cœur brisé ou allume en règle un autre rappeur, Gibbs a du mal à faire passer des émotions personnelles. Il laisse cette impression que n’importe quel gangsta rapper mal léché pourrait se cacher derrière ses images, enchainées comme de vieux polaroïds clichés et inanimés. Le métier est accompli à la perfection, et c’est presque le problème. Trop mécanique, la maitrise technique se fait au détriment d’un brin de vie et d’originalité. Tant qu’il n’arrivera pas à donner le supplément d’âme nécessaire à son très bon rap, Gibbs ne passera pas le palier qu’on le croit capable de franchir depuis des années. Résultat, le Rap Game Ryan Gosling est complètement plombé par Madlib. Le producteur récite ses samples slow jam et recrée pour la énième fois une ambiance blaxploitation vidée de son âme. C’est décevant, puisqu’en même temps on sort avec le sentiment que c’est le genre de prods qui irait parfaitement au rappeur. Le seul moment où l’album décolle vraiment, c’est finalement avec le plus uptempo Shitsville, qui nous fait rêver que Freddie sorte enfin un disque entièrement usiné par Alan Maman. Au choix hors du temps ou déjà vu et un poil suranné, Piñata reste pourtant une jolie nature morte. Mad&Gibbs maitrisent chacun leur formule, pour peu qu’on aime le gangsta rap adulte et le vintage artificiel il y a de quoi s’en sortir avec un bon EP fabriqué à partir du disque. En espérant que la prochaine fois Gibbs travaille avec un beatmaker qui le fasse sortir de sa zone de confort.

Le vrai truc cool de cet album c’était sa promo, avec le petit zèbre piñata plein de farine au vinaigre, caché dans un parc de Los Angeles. (via)

100s, IVRY

D’abord on peut regretter qu’il manque à 100s la folie douce des Suga Free, Too $hort et Rick James, dont les ombres planent sur l’EP. Puis on s’habitue à sa froideur, et on accepte qu’il ne soit rien d’autre que la version moderne du pimp, impassible et faussement blasé. S’il donne l’impression de dérouler ses fables misogynes sans décrocher un sourire, le jeune permanenté n’est en fait pas dénué d’humour. « … with so many white girls, they think it’s self hatred ». C’est un pince-sans-rire, qui tient son business avec sérieux, comme une entreprise cotée en bourse(s). Le producteur Joe Wax, toujours autant dans les synthés aussi tendres que les tétons d’une femme, a de toutes façons l’arsenal pour réchauffer l’affaire et replacer les exploits de notre infréquentable à l’intérieur d’un énorme vagin moite et rose fluo. De l’attitude aux rythmiques ratchet, IVRY a tout pour redonner vie à l’œil salace des macs et réactualiser ses sonorités 70’s/80’s en y apportant une touche house plus moderne. Les refrains font presque basculer l’EP dans la Pimp-Funk, et nous rappellent que ce genre de rap, où le pimp est un mode de vie complet qui transpire sur toute la musique, a tristement disparu. Ah si ces producteurs pouvaient connecter avec l’oncle $hort Dawg pour le sauver de l’EDM, le monde irait mieux. En bref, un bon EP pour occuper vos trajets en limo entre les niches de vos multiples chiennes de côté.

Il fallait écouter aussi : Vince Staples, Shyne Coldchain 2 ; Mic Terror, Fresh Prince of Darkness ; Kevin Gates, By Any Means ; D-Lo, Keep It On D-Lo ; A-Wax, Nightmare Gang

+ Oublié le mois dernier : Young Lox, The Illest

Dans la famille des ados traumatisés par les Mob Figaz, et particulièrement par le Jack Artist de RobLo et Jacka voici le Jeune Lox. Samples de R’n’B 80’s et de Smooth Jazz, voix pitchées et plein d’effluves de Sade époque Love Deluxe. Dans l’idée tout cela pourrait donner une ambiance grandiloquente à la Rick Ross et ses Yachts de cinéma, mais là où le floridien tire un jus un peu beauf et vulgaire pour réaliser des blockbusters, Young Lox raconte le quotidien très simple d’un voyou pour faire une musique douce et mélancolique. Du « Dope Boy Blues » comme on dit là bas. Les membres les plus inspirés de cette scène sont presque tous présents : Joe Blow, Pakkslap, Dame Dash On Da Slap … Il ne manque que les cousins du Midwest pour que ce soit parfait.

illustrations : Lomé Iench