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« He is the realest »

Pendant que les commentateurs sportifs prophétisent l’avènement des « nouveaux » Zidane ou Michael Jordan, que la pop music attend le successeur de Michael Jackson, le rap lui, est à la recherche du fils spirituel de Tupac Shakur.
Ce que ces figures ont en commun, c’est d’abord d’avoir transcendé leur discipline, de l’avoir amenée dans des sphères où il ont pu toucher et marquer une audience élargie ; jusqu’à devenir des légendes célébrées aussi bien par un public de néophytes que d’initiés.

A vrai dire, voir Tupac associé à ces autres noms peut faire tiquer certains. Non pas que son statut légendaire puisse être remis en question, mais parce que ce qu’il véhicule ne touche pas l’Humanité aussi largement qu’une reprise de volée en finale de la Ligue des Champions.
Cela tient avant tout au public premier du rap, infiniment plus marqué sociologiquement que celui du football. Alors oui, et a fortiori dans un pays où l’on est renvoyé à son appartenance ethnique jusque sur sa carte d’identité, Tupac Shakur s’adressait avant tout – voir uniquement – aux noirs, aux « african-americans ».

Le statut atteint par ce rappeur dans la communauté noire américaine reste à ce jour sans commune mesure. Il n’est même pas question d’entrer dans une énumération de ce que Tupac a apporté au rap, simplement de souligner l’impact qu’il a eu sur une partie de cette population.
Que ce soit à travers ses textes ou par son comportement et ses déclarations, il a participé à raviver les flammes d’une forme gangster de la « Black Pride » américaine, chère aux Black Panthers dont ses parents étaient de fervents militants. Ajoutez à cela une insoumission totale à l’ordre établi et une allégeance sans faille à « la rue », synecdoque des ghettos noirs, et vous avez les éléments à la base de son rayonnement.

Puis, il y a ce qui lie ces ingrédients, le petit plus inexplicable qui fait basculer le commun des mortels dans la l’immortalité. « He is the realest », une expression qui perdrait de son sens avec une traduction. Celle-ci renvoie à sa manière de raconter son quotidien et celui de sa communauté, sans inhibition, sans jamais restreindre les sentiments exprimés dans ses chansons, que ce soit sa haine, sa peine ou sa fierté, si bien qu’il ne fasse aucun doute que ce qu’il dit soit vrai.

« The realest nigga since Tupac »

L’assassinat de Tupac en 1996 a laissé le rap sans véritable « Roi de la Rue », Jay-Z, Lil Wayne ou Eminem ayant joué sur un tout autre tableau. Pourtant, nombreux sont ceux qui ont essayé d’occuper le trône laissé vacant par « Makaveli ».
Il a fallu attendre une petite dizaine d’années avant que ne se dessine la silhouette d’un sérieux prétendant à cette Royale succession.

Sa mère l’a appelé Torrence, mais à Bâton Rouge, capitale de l’état de Louisiane, tout le monde le connaît sous le nom de Lil Boosie.
Quand en 2006 sort Bad Azz, son premier album en major, Boosie a déjà les dent bien aiguisées par des années de mixtapes dans le circuit indépendant.
Six ans plus tôt, après qu’un cancer ait emporté son père, Boosie souhaite se mettre à rapper pour exorciser sa peine. Il n’est âgé que de 15 ans quand, pour enregistrer ses premiers couplets, il rejoint l’écurie de C-Loc, star locale à la tête d’un label. Boosie n’a alors comme modèle que le fantôme de Tupac, dont il étudie les albums comme une profane liturgie.

Dès ses débuts les parallèles sont évidents, l’attitude et les thèmes rappellent Tupac. Mais là où des cars entiers de prétendants ont échoué, Lil Boosie apparaît vite armé pour obtenir cet unanime soutien des ghettos noirs. L’inexplicable ?
En tout cas, six ans après ses débuts, Boosie devient le premier rappeur à pouvoir oser se comparer à Tupac sans se faire lapider pour blasphème.

Très vite, il est adoubé par des vétérans, comme le regretté Pimp C qui l’aide à monter Trill Ent. en 2002. Sur ce label, avec Webbie et d’autres rappeurs de sa Trill Fam, il s’impose comme la plus grosse star de sa région à coups de mixtapes souvent distribuées gratuitement, mais surtout grâce à ses nombreux concerts. Boosie est sur scène presque cinq jours sur sept pendant plusieurs années.

C’est avant tout localement qu’il commence à se forger une réputation, avec un rap typiquement Louisianais teinté de Bounce Music. Ce style dansant, aux rythmes hypersexualisés, est originaire de la Nouvelle Orléans où il animait notamment les carnavals de Mardi Gras avant d’être adapté au rap par des DJ comme Mannie Fresh.
Sur les disques de Boosie, cette Bounce Music a été retravaillée par les descendants de Mannie Fresh. Mouse On The Track ou B.J. en on fait le décor de ses histoires marquées de matérialisme, de conscience sociale, de violences et d’émotions, qu’il conte avec sa voix rocailleuse, nasillarde, reconnaissable entre mille.
Son petit plus c’est d’arriver, à travers la violence et les sentiments exacerbés de  sa musique, à se faire le réceptacle cathartique de la haine, des frustrations, humiliations, et autres injustices subies par sa communauté pour les transformer en carburant à fierté. Non pas qu’il incite ses auditeurs à être fiers d’avoir le cul dans la fange, mais il leur démontre qu’il existe des raisons d’être fiers de qui et de où ils sont, et en un sens, même sans faciliter la vie de personne, au moins à redresser la tête pour sortir du schéma dominants/dominés. Comme Tupac ?
En tout cas, cela est suffisant pour qu’un slogan, en provenance des ghettos où Boosie se produit, lui soit sans cesse accolé : « He is the realest nigga since Tupac. »

Le Maire de Bâton Rouge

En 2007, après la sortie de Survival Of The Fittest, album réunissant toute la Trill Fam, Boosie est un véritable phénomène en Louisiane et est en passe de le devenir nationalement.
A Bâton Rouge, du petit qui à la crotte au nez jusqu’au voyou endurci par les années de prison, tout le monde est fan de celui que l’on surnomme Bad Azz. Quand sa mère traverse la ville en voiture, ce sont de véritables troupeaux d’enfants que l’on peut voir se former et se mettre à courir pour tenter de la rattraper, espérant apercevoir leur champion à travers les vitres.
De l’avis de tous ceux qui le côtoient dans la vie, quand Boosie redevient Torrence Hatch, l’homme est humble et n’a pour ambition que de faire profiter à sa communauté l’argent qu’il fait avec la musique. Quand il n’est pas sur scène ou en studio, Boosie est partout dans Bâton Rouge ; il joue au bingo à la maison de retraite, fait en sorte que chaque enfant de sa ville ait un vélo pour aller à l’école ou organise des repas de charité à Thanksgiving et Noël. Si bien que Connie Hatch en est certaine, si son fils se présentait aux élections, la mairie de Bâton Rouge serait à lui.
Torrence est aussi père de six enfants, qu’il élève avec leur grand-mère dans un gigantesque pavillon de la banlieue de Bâton Rouge ; le plus gros achat qu’il ait fait avec l’argent gagné de son marathon sans fin de concerts.

Une décennie pour possession de drogue

A 20 ans Boosie s’est vu diagnostiquer un diabète de type I, caractérisé par une soif et un appétit décuplé, un amaigrissement malgré une prise de nourriture abondante et un excès de glucose dans le sang. Forcé de contrôler systématiquement sa glycémie et de s’injecter plusieurs fois par jour de l’insuline, l’air que respire Boosie a constamment cette odeur oppressante d’hôpital et de pharmacie.
De son aveu, cette maladie a décuplé son aigreur et alimente la violence de ses textes ; « Maintenant c’est comme si même Dieu voulait ma mort ».

Evidemment Torrence Hatch n’est pas un saint. Si lui même n’a pas d’affiliation connue avec un gang, ni même la réputation d’être l’homme de ses chansons les plus violentes, être le rappeur préféré des hors la loi amène forcément à se retrouver avec un entourage aux casiers judiciaires chargés.
Comme énormément de rappeurs sur ce credo, il n’est donc jamais entièrement sorti des milieux crapuleux, même après sa relative réussite. Il utilise cela pour parfaire sa crédibilité de rue, mais en joue comme on joue avec le feu, surtout dans un milieu où l’on ne reste jamais longtemps sans ennemi, même en étant un artiste adulé.

La veille de la sortie de son deuxième album en major, Superbad : The Retour Of Boosie BadAzz, disque qui devait finir d’asseoir sa reconnaissance nationale, Boosie subit un contrôle de police. Un joint d’herbe roulé, un sac de marijuana et une arme à feu sont retrouvés. Torrence doit plaider coupable pour échapper aux peines très lourdes de l’état de Louisiane, et s’en « sort » avec deux ans de prison.
A l’annonce de son incarcération, fans, amis et familles sont dévastés. Mis de côté le fait que cette péripétie vient compliquer la promotion de son disque et sa volonté d’enfin exister durablement à l’échelle nationale, Bâton Rouge se sent déjà dépeuplé à l’idée de perdre Boosie pendant deux ans.
Des concerts sont organisés pour fêter les derniers mois de Boosie en liberté et aider à payer les frais du procès. Le studio de production vidéo Motion Family réalise un mini film sur les cinq derniers jours de liberté de Boosie, dans lequel on peut voir à quel point la population de Bâton Rouge, et évidemment surtout les membres de la famille Hatch, sont abattus par cette incarcération.
Mais dans les derniers instants la machine infernale commence à s’emballer. Le 10 novembre 2009, alors qu’il attend le début de sa peine de prison, Boosie est de nouveau contrôlé en possession de marijuana. La sanction est immédiate, sa peine de prison est doublée, et le voilà désormais équipé d’un bracelet électronique et placé en maison d’arrêt.

Pendant les années qui vont suivre, des évènements demandant la libération de Torrence Hatch seront organisés régulièrement, servant à mobiliser l’opinion mais aussi a continuer de réunir des fonds pour payer les frais d’avocat et faire vivre la famille nombreuse de Boosie qui se retrouve privée de son unique source de revenu.
Les affiches et les t-shirts marqués du slogan « Free Boosie » sont partout dans Bâton Rouge, et se répandent dans toutes les Etats-Unis via internet.
Il n’y a plus un article ou une vidéo à propos de Boosie qui ne soit pas, dans les minutes qui suivent leur mise en ligne, noyés sous des centaines de commentaires de fans.

« Free Boosie Bad Azz ! » ; « Free the realest ! ».

Deux ans plus tard, alors qu’il est incarcéré à Angola, le pénitencier de l’Etat de Louisiane, il est cette fois accusé d’avoir fait entrer du sirop à la codéine et de la marijuana en prison. Jugé pour ces faits, Boosie voit sa peine une nouvelle fois doubler ; 8 ans.

Derniers jours d’un condamné

En parallèle, une autre affaire va venir considérablement compliquer la situation de Boosie.
Le 21 octobre 2009, un dénommé Terry Boyd est assassiné à Bâton Rouge. L’auteur du crime, retrouvé avec l’arme, est immédiatement arrêté. Mais alors que les autorités proposent à l’assassin un allégement de sa peine en échange d’indications sur les affaires crapuleuses de la ville, ce dernier affirme qu’il a tué Terry Boyd parce que Lil Boosie le lui a demandé.

Mis à part ce « témoignage », il n’y a encore aujourd’hui aucune preuve que Boosie ait bel et bien commandité ce meurtre. Malgré cela le procureur Hillar Moore réclame que le jugement le plus sévère soit accordé au rappeur. Dans cette sombre affaire absolument vierge de preuve, le procureur affirme vouloir s’appuyer sur… les textes des chansons de Boosie pour prouver sa culpabilité. Quant au verdict, il sera proclamé par un jury entièrement anonyme, dont seul lui connait la constitution ; une première en Louisiane depuis presque 30 ans.

Le procès débutera le lundi 30 avril 2012. S’il est jugé coupable, Torrence « Lil Boosie » Hatch pourrait être condamné à mort.

Lil Boosie n’est pas Tupac, et pour retrouver chez le premier l’éclat du second, il ne faudra pas trop s’éloigner de Bâton Rouge. Néanmoins Boosie reste Boosie. Un excellent rappeur, maitre de l’auto célébration et de l’émotion voyou, qui a eu la chance de collaborer avec des très grands, que ce soit pour les productions (Pimp C, Mouse & B.J.) ou les featurings (Young Jeezy, B.G., Pimp C), pour offrir au rap sudiste des années 2000 quelques un de ses sommets avec Da Beginning, Bad Azz, Superbad ou Survival of the Fittest.

Lil Boosie est-il coupable ou non ? Au vu de la peine encourue ce n’est même pas important. Déjà enfermé pour presque dix ans pour possession de drogue douce et d’une arme à feu (rappelons si besoin est que nous sommes aux USA), le voilà une nouvelle fois, et comme des milliers d’autre américains, victime de l’absurdité de la justice Louisianaise.

Après l’annonce de la peine encourue, la famille a pu renforcer ses soutiens, venant d’habitants, d’internautes ou de rappeurs comme Young Jeezy à Atlanta ou Yo Gotti à Memphis, mais elle peine toujours à se faire entendre en dehors des réseaux et médias spécialisés dans le rap, n’ayant pour seule plateforme ce site internet : http://boosiejustice.com/

FREE BOOSIE

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De la volonté de faire connaître des artistes en les associant à une tête d’affiche, jusqu’à l’envie d’une star de jouer le chef d’entreprise, il existe tout un panel de raisons pouvant expliquer qu’un rappeur passe de la carrière solo au groupe.
Pour plusieurs de ces raisons, Gucci Mane n’a pas échappé à cette étape. En 2003 déjà, Never Again Records l’avait fait rapper aux côtés de quelques bras cassés pour essayer de capitaliser sur le succès de Black Tee à Atlanta.
Mais évidemment quand on pense à Gucci Mane, c’est d’abord le Brick Squad qui vient à l’esprit. Cette association de zigotos, aux ramifications qui s’étendent aujourd’hui sur toutes les USA, étant sans doute le groupe de rap le plus prolifique et constant de ces trois dernières années.

Véritable poupée russe, pleine de sous groupes et affiliés, la galaxie Brick Squad possède une vingtaine d’étoiles plus ou moins brillantes. L’explorer s’annonçait laborieux ; finalement, il s’avère que son histoire peut être résumée à travers le parcours de deux personnages clés. Et si Gucci Mane est important, puisqu’il est le noyau autour duquel le groupe s’est forgé, son rôle reste secondaire à côté de ceux joués par Debra Antney et son fils Juaquin Malphurs.

La Reine de Jamaica

New York, Queens, au sud du très pauvre quartier de Jamaica ; Debra n’a que neuf ans quand elle fait une overdose d’héroïne qui aurait pu lui couter la vie. La petite ne consomme pas cette drogue mais son père, accro, cachait de la poudre dans un pot de talc pour bébé. Pour jouer, elle a utilisé le pot, sans savoir.
Si la poudre n’avait pas été cachée, sans doute qu’elle aurait pu la reconnaître tellement l’héroïne fait partie de son quotidien. Ainée d’une fratrie de neuf enfants, c’est elle que son père utilise pour monter la garde quand, pour payer ses doses, il cambriole le magasin où travaille sa femme, c’est aussi elle qui traverse la 150ème rue, strappée avec des petits sachets d’héro cachés sous le tee-shirt.

De cet univers où, raconte-t-elle, les femmes cuisinent et font le ménage pour des hommes qui les frappent en retour, Debra essaiera de s’échapper. Alors, plutôt que de faire la bonne à la maison, elle a fait tout ce qu’elle a pu, aidée par les aides sociales, pour réussir via l’école.
Une dizaine d’années plus tard, la voilà diplômée en acupuncture et à la tête de plusieurs associations caritatives. Appréciée et respectée à Jamaica, considérée par tous comme une mère pour ce qu’elle fait pour sa communauté, le petit chef d’entreprise souhaitera vite fonder sa propre famille. Mais si elle possède un instinct maternel qui donnerait des cauchemars à Elisabeth Badinter, elle refuse de se marier, étant toujours hantée par l’image de son père.
Debra aura des enfants, plein, et avec plusieurs hommes, mais sans jamais en épouser un seul.

C’est le 31 mai 1986 que nait son fils le plus célèbre, Juaquin Bertholimule Malphurs.
Dès ses premières années, Juaquin est un garçon débordant d’énergie, un petit casse cou à l’affut de la moindre connerie à faire. En atteste cette semaine où sa mère aura dû l’emmener trois fois aux urgences pour qu’il se fasse recoudre successivement la jambe, la main puis une épaule, qu’il s’était entaillé méchamment en jouant au con. Cet épisode avait fait naitre des soupçons chez les services de protection de l’enfance, trouvant louche qu’un garçon puisse se blesser autant dans un laps de temps si court… Mais en réalité il n’y a sans doute pas meilleure mère que Debra Antney. Maman voyou, surnommé le « Pitbull en jupe », elle cumule quatre emplois, donne tout son temps et son énergie pour les enfants de son quartier. Une énergie qu’elle est fière de retrouver chez son fils ;

Juaquin ne peut pas rester quelque part sans rien faire. Il est comme moi, c’est fou. C’est un mini-moi, une version mâle de moi même.

Au même moment, en ce début des années 90, un homme appelé Mack Drama débarque dans le Queens. Originaire de Compton à Los Angeles, où il habitait précisément la rue Piru, lieu de naissance des Bloods, il arrive à New York pour y importer les couleurs de son gang.
En quelques temps, souvent après un passage par la prison de Rikers Island, les petits gangsters New Yorkais se retrouvent affiliés aux Bloods.

Un des cousins de Juaquin devient vite un de ces néo-bloods New Yorkais. Les deux cousins passent beaucoup de temps ensemble, notamment des après-midis devant la télé à regarder le Muppet Show. Inspiré par leur émission favorite, c’est ce cousin qui le surnommera « Waka », en référence aux onomatopées proférées par Fozzie Bear quand il est mal à l’aise. La raison ? « Waka » est simplement une façon de prononcer « Juaquin » en articulant comme un mongol.
L’autre cadeau que fera ce cousin à « Waka », c’est de l’intégrer, lui et un autre de leurs cousins, Anthony, à son gang.

Road to Riverdale

Juaquin et Anthony, commencent à dealer pour leur cousin aux quatre coins de Jamaica, des ptits sachets blancs, verts ou marrons, alors qu’ils viennent juste d’avoir neuf ans. Cette affaire arrivera vite aux oreilles de Debra Antney et il est hors de question pour cette dernière de laisser son fils s’empêtrer dans des histoires de gangs, surtout qu’en tant qu’aîné, il risque d’entrainer ses frères dans cette spirale infernale. Pour elle cette histoire est signe qu’il est temps de quitter New York.
Debra pense tout de suite à Atlanta pour cette retraite. Il ne lui faudra pas deux coups de téléphone pour arriver à trouver un job en Georgie. Mieux, Miss Antney est tellement réputée pour ce qu’elle a entrepris à Jamaica, que des associations créent des postes spécialement pour elle afin de l’accueillir.

En 1995, Debra arrive donc dans le quartier de Riverdale, avec cinq de ses fils, trois filles qu’elle a adoptées, ses sœurs et sa mère. Là bas, elle travaille dans divers services sociaux, devient gérante d’associations caritatives et retrouve donc très vite le rôle de maman de secours qu’elle avait dans le Queens.

De son côté, Juaquin jure que ses jeunes années à Atlanta se passent loin des gangs, même si ça ne l’empêche pas de dealer avec ses frères et son nouvel ami Mario. Parce que si Debra a du succès dans sa vie professionnelle, cela ne s’accompagne pas d’une aisance matérielle de roi pour la famille. Avec ses salaires, Debra doit nourrir ses enfants, ses sœurs et sa mère, qui peine à vivre de son magasin de fringues. Alors pour suivre le rythme, Waka rejoint les angles de rues, pour revendre de la drogue et de la marchandise volée. Et il résume sa situation assez simplement ;

J’étais entouré de basketteurs et de dealers de drogues, alors c’est ce que je suis devenu. Si j’étais entouré de médecins et d’avocats, c’est surement ce que je serais aujourd’hui.

A l’école, aussi improbable que cela pourra paraître pour certains, Juaquin est un bon élève. Il envisage longtemps de suivre les traces de sa mère et de réussir par cette voie, et pourquoi pas, un jour, aller à l’Université. Ce serait en tout cas la voix royale pour qu’il puisse faire de sa passion un métier en devenant basketteur professionnel. Small forward qui fera 1m98 adulte, il sera même pisté par des scouts de ligues mineures en entrant au collège. Mais pour l’instant, Mario et lui, deux grands maigres débordant d’énergie, sont surnommés Slim et Flaco par les petits à qui ils mettent des raclées sur les playgrounds d’Atlanta.

Le début des années 2000 sera un tournant important pour la famille Malphurs/Antney. Plusieurs évènements vont en effet venir marquer leur vie personnelle et professionnelle, dont quelques électrochocs aussi tristes qu’importants pour la fondation future du Brick Squad.

Fuck School

Faisons un saut dans le temps, jusqu’à il y a seulement une paire d’années. Juaquin vit toujours à Atlanta, toujours avec sa mère, qui est devenue son manager. Seulement, le voilà désormais connu dans toutes les Etats-Unis sous le nom de Waka Flocka Flame.
En pleine nuit, Debra est réveillée par Waka déboulant en larmes dans sa chambre. Son fils, tombé à genoux, a l’air tellement dévasté, raconte t’elle, qu’en le voyant elle s’est mise à pleurer aussi fort que lui. A cette époque Gucci Mane traverse une période très difficile sur le plan personnel et psychologique ; il vient d’enchainer les coups d’éclats, et son entourage commence à être inquiet qu’il ne fasse une vraie grosse, grosse connerie. Alors, automatiquement, Debra Antney fait un rapprochement avec Gucci et questionne son fils ; « Où est Gooch’ ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Qu’est-ce qu’il a fait ? ». A ces questions Waka ne fera que présenter des excuses « Excuse moi maman, je suis désolé, tellement désolé… », sa mère ne comprenant pas, elle finira par simplement l’envoyer chez Gucci Mane pour voir s’il allait bien.

Debra Antney avouera à un journaliste qu’elle n’a compris que quelques mois après ce qui s’était passé ce soir là. Et cela n’avait rien à voir avec Gucci Mane, pas cette fois. Si son fils était dans cet état, c’est parce qu’il est encore hanté par un événement qui a eu lieu dix ans plus tôt, et dont il se sent entièrement responsable.

An 2000, Juaquin a 14 ans quand il accompagne son petit frère, RahRah, dans un quartier voisin. Le plus petit des deux frères Malphurs est, comme son ainé, un bon élève, et il a promis à un camarade de l’aider à faire ses devoirs. Si Waka l’accompagne, c’est pour les couvrir ; le père de l’élève en difficulté est violent, et s’il apprenait que son fils se fait aider à l’école par les frères Malphurs, il pourrait s’en servir comme prétexte pour lui coller une très sale raclée.
Une fois les devoirs terminés, Juaquin et son frère s’en retournent chez eux, le grand à pied, le petit à vélo.
Sur le chemin les deux frères se séparent, Waka partant trainer de son côté.

Quelques heures après, l’ainé Malphurs est accueilli chez lui par des sirènes, et une fois n’est pas coutume, ce ne sont pas celles de la police qui crient dans le quartier.
Deux rues après l’avoir quitté plus tôt dans l’après midi, son jeune frère se faisait percuter par un camion.

Mizay Entertainment

Debra se rappelle qu’après la mort de son petit frère, Waka est devenu « une version démoniaque de lui même ». Incapable d’accepter la moindre forme d’autorité, il quitte l’école et est forcé d’arrêter le basket-ball. Le voilà devenu un corner boy à plein temps, adepte des petits gains d’argent journaliers ; vente de drogue, racket, recèle, tout y passe, jusqu’aux vols dans le magasin de sa propre grand-mère.

Dans le même temps, la réputation de Miss Antney lui permet d’obtenir un poste dans une grosse association qui vient de se créer ; The Ludacris Foundation, créée par le rappeur ATLien qui vient de gouter au succès international avec Back To The First Time et Word of Mouf.
Si sa carrière dans le social prend alors un nouvel élan, la poursuivre à travers l’association d’un rappeur lui permet aussi d’accorder un peu plus de temps à sa passion. Plus jeune Debra était danseuse, et si elle a dû arrêter pour pouvoir offrir son temps aux autres, elle en a gardé une passion immense pour la musique. Dans le Queens déjà, elle aimait jouer un rôle en coulisse dans la carrière de petits artistes locaux, à Atlanta elle va développer d’avantage cette corde de son arc… Jusqu’à envisager de créer sa propre entreprise de conseils et de management d’artistes.

C’est ainsi que naît Mizay Entertainment. Ce nom provient du surnom que Ludacris a donné à Debra, « Miss A », prononcé avec un accent du sud dont la New Yorkaise aime se moquer.
La formule proposée par Mizay est toute particulière. C’est un mélange de gestion de carrière artistique et d’assistance sociale. Un artiste qui entre là bas, entre dans la famille, il devient comme un fils ou une fille pour la patronne qui se retrouve à gérer absolument tous les aspects de sa vie. Parce qu’à travers Mizay, l’ambition de Debra est d’abord d’arriver à sortir des jeunes de la rue en leur offrant une carrière dans la musique.

En 2003, elle est contactée par un jeune artiste dont la carrière ne démarre pas chez Neva Again Record. Otis Williams Jr. vient du quartier de Bouldercrest à Atlanta, et espère avec l’aide de la structure de Debra Antney, pouvoir monter son propre label ; 32 Entertainment.
Otis Williams, a.k.a. OJ Da Juiceman débute alors une collaboration avec Mizay qui n’a jamais pris fin depuis.

Le Prologue

32 Ent. est lancé avec succès, OJ Da Juiceman commence à sortir des mixtapes localement via sa structure, à se faire un nom dans la Zone 6 d’Atlanta et à signer quelques amis.
Déjà, les terrains déblayés par le Jui-Man sont des voies ouvertes à ses futurs coéquipiers du Brick Squad.
Pour plusieurs raisons OJ ne joue plus un rôle de premier plan dans la Brick Squad, pourtant, dire qu’il a toujours « déblayé le terrain » pour les autres reste un euphémisme. De la façon dont chaque membre du BS utilise les ad-libs dans ses chansons, jusqu’à l’exploration des productions de Lex Luger, il a toujours eu un tour d’avance sur les autres.

Récemment, lors d’une interview à propos de son entreprise, un journaliste demanda à Debra Antney ce que représentait pour elle d’avoir travaillé avec des artistes qui ont tous fini par apparaître au premier plan, citant Gucci Mane, Waka Flocka, Nicki Minaj et French Montana. Après avoir répondu à la question, elle ajouta ;

Je ne comprends pas pourquoi, dans aucune interview personne ne me parle jamais de Juiceman ? Pourquoi personne ne pense jamais à Juiceman ? Il était là, avant. Et c’est moi qui lui ai présenté Gucci…

C’est aux alentours de la fin 2005 que Debra reçoit un autre coup de téléphone important. C’est une collègue, Vicky Davis, ancienne institutrice reconvertie dans le social. Cette dernière souhaite que son fils, un rappeur qui vient d’amasser un peu d’argent avec la vente d’albums, mais qui a tendance à le dilapider un peu n’importe comment, puisse donner un peu de son temps et de son argent à la communauté. Miss A appelle le garçon pour lui demander ce qu’il souhaite faire. Ce garçon, Radric Davis, lui explique qu’il veut participer à ses œuvres de charité… mais aussi et surtout, qu’il aimerait passer une étape supérieure dans sa carrière.
Le reste de l’histoire tout le monde la connaît. Impressionnée par le garçon, Debra Antney démissionne de tous ses autres emplois dans le social et devient le manager de Radric « Gucci Mane » Davis, l’aide à créer So Icey Ent. au sein de Warner, et s’il semblerait qu’Otis et Radric se connaissaient déjà (il n’existe en vérité aucune preuve), c’est elle qui fait se rencontrer et travailler ensemble OJ Da Juiceman et Gucci Mane.

So Icey Boys

Cinq ans après la mort de son petit frère, l’ainé Malphurs continue d’explorer le côté obscur de sa Force. Plus que jamais impliqué dans le trafic à Riverdale, même voir quelques un de ses amis tomber sous les balles ne semble pas lui donner envie de raccrocher.
Il faudra que sa mère vienne le tirer de ce bourbier pour qu’il n’aille pas rejoindre son petit frère trop tôt.
La patience de Debra arrivera à bout quand en 2006, son fils est arrêté armé après une grande fusillade dans Riverdale. Waka échappe à la prison en plaidant coupable, mais il n’échappe pas au courroux de sa mère, plus sauvage que la pire des prisons du tiers monde.
Elle ne pourra pas le sortir complètement de la rue, ni l’enfermer dans sa chambre toute la journée, alors sa solution trouvée est de le coller 24/24 dans les pattes de Gucci Mane et OJ Da Juiceman avec deux de ses frères.
Deux ans durant, les trois frères vont devenir les roadies des deux artistes Mizay Ent. et cette petite troupe commencera à passer des journées, des semaines et des mois sans se dissoudre un seul instant. Rapidement, ils sont rejoints par Mario, le meilleur ami de Waka et, de façon intermittente, par Anthony, le cousin Blood du Queens devenu le rappeur Frenchie.
Et si à cette époque Waka ne songe pas un seul instant à devenir rappeur, au contact de Gucci Mane, un de ses frères se mettra à rapper pour devenir celui que l’on appelle Wooh Da Kid.

Gucci Mane, OJ Da Juiceman, Wooh Da Kid et Frenchie se mettent à rapper ensemble. Accompagnés par leurs hypemen Juaquin et Mario, ils formeront ensemble les So Icey Boyz.
C’est à cette époque que Gucci Mane termine de baptiser les membres de son entourage, Mario aka Slim, devient Slim Duncan. Quant à Juaquin, il lui rajoute la flamme à ses Waka et Flaco ; le voilà devenu Waka Flocka Flame.

Entre 2008 et 2009, Gucci Mane entame un de ses marathons d’allers et retours en prison, et en son absence les So Icey Boyz ont du mal à exister.
Cependant OJ en profite pour développer sa carrière solo, en sortant une mixtape tous les deux mois. Parmi elles, la désormais classique Alaska In Atlanta, première apparition connue de productions de la future superstar Lex Luger (Early Morning Trappin ; Midget ; Vegetarian).
Profitant que les stars d’Atlanta soient quasi toutes enfermées à cette époque, OJ parvient à un degré supérieur d’exposition ; son avalanche de mixtapes lui vaut d’être partout sur internet, quelques un de ses singles tournent en radio ; a tel point qu’il finira par atterrir sur la couverture du magazine XXL, au milieu de 9 autres artistes désignés comment étant les révélations de l’année passée.

Le style développé par Jui-Man à cette époque influencera celui du Brick Squad, mais marquera aussi plus largement le rap. Souvent raillé pour son style vestimentaire, ses rimes surréalistes pour aborder des sujets qui ne sont pas valorisés par les Ayatollah du Hip-Hop, la seule chose que l’on peut en réalité reprocher à Juiceman, c’est d’être arrivé le premier.
En racontant comment il gare sa voiture, sa ressemblance avec des choses farfelues (une bière, un ours polaire, un igloo, une lesbienne), son crazy stupid swag ou en abusant d’ad libs à l’infini, il a ouvert des voies aussi bien pour Lil B ou RiFF RAFF que pour certains de ses futurs coéquipiers.

Juaquin Flaco Flame

« Et si je me mettais à rapper ? » Cette idée est arrivée à Waka comme une envie de pisser. Il n’y a sans doute même pas pensé sérieusement. Et quand il évoque l’idée autour de lui, à part Gucci qui le soutient et le pousse dans cette voie, personne ne le prend au sérieux. Le rap ce ne serait pas pour lui.
Seulement, depuis qu’il a arrêté l’école et le basket, il ne sait pas quoi faire d’autre, si ce n’est retourner vendre de la drogue.
Pour le rap, il sait éventuellement vers qui se tourner ; sa mère, bien sûr.

Quand Waka est venu voir sa mère pour lui parler de son envie de s’essayer au rap, la première réaction de celle-ci fut d’en rire et de lui ordonner d’aller faire de l’argent intelligemment. Elle non plus n’y a pas cru, et elle l’avoue encore aujourd’hui.
Alors Waka commencera seul ; Ou presque, puisqu’il s’enfermera dans son garage avec son ami Tay. En deux, trois nuits, les deux potes vont enregistrer une dizaine de morceaux avec un micro et un ordinateur.
Waka n’a pas le flow et l’écriture de Gucci ou OJ, il en a bien conscience, alors il combattra avec d’autres armes, sa rage et son énergie illimitées.
Avec ses 10 pistes en poche, il commence à participer activement aux shows des membres de So Icey Boyz, et petit à petit, l’énergie qu’il déploie sur scène lui permet de s’attirer la sympathie du public.

Sans vraiment qu’il ne s’en rende compte, Waka Flocka devient un petit phénomène à Atlanta. Et c’est presque par hasard qu’il découvre que sa musique est appréciée par de plus en plus de monde ;

J’étais dans ce club à Atlanta, le Figure 8 à côté du Greenbriar Mall. La salle était blindée, personne ne me connaissait. J’étais assis, quand tout d’un coup, le DJ lance « O Let’s Do it »… Et là, la foule est devenue complètement dingue. J’avais enregistré ce truc en 10 ou 15 minutes, et tout le monde le connaissait !

Debra est épatée, et devra bien avouer qu’il est bien possible que son fils puisse avoir une carrière. Son premier conseil, ce sera de le pousser dans la voie qu’il a commencé à emprunter ; la voie d’un rap basé exclusivement sur l’énergie. Elle souhaite que le rap devienne le défouloir de son fils, que ce soit là qu’il libère son stress plutôt qu’à un coin de rue avec les armes aux poings.
En réalité, Waka expliquera que l’énergie qu’il insuffle à ses morceaux, il ne la puise pas uniquement dans le stress de la vie urbaine ou dans sa folie naturelle, mais surtout dans sa souffrance, celle d’avoir perdu son frère et de s’en sentir coupable.
La formule sonne un peu cliché, mais le rap devient une forme de thérapie pour Waka Flocka, le réceptacle de toute la haine qu’il avait accumulée contre lui, et qui par le passé l’avait amené à frôler la prison et la mort.

« I was told to calm down and spit my pain on da mic » – For My Dawgs

« so much pain in me I use the mic to pour it out » – Lil Debbie

Marqué par vingt ans de gangsta rap avec lequel il a grandi, Waka synthétisera tout ce que ce genre a pu offrir dans un hybride de trap et de crunk music. Pas besoin de lyrics, ne visant pas un public de chambre mais celui des clubs d’Atlanta, celui qui l’a soutenu en premier. Et il est bien conscient que ce n’est pas la « qualité », toute subjective d’ailleurs, des lyrics qui font qu’un titre sera passé en club ou non.

I said I don’t need lyrics. That’s where everybody got it misconstrued, it’s the energy, the delivery, and the realness of the person that’s making it

1017 Brick Squad

So Icey Ent. fermé après le changement de label de Gucci, les So Icey Boyz n’ont plus de raison d’exister. Cependant ils ne disparaitront pas pour autant, puisque rejoint par Waka Flocka Flame, ils renaitront immédiatement sous l’A.O.C. 1017 Brick Squad.

Gucci Mane et OJ Da Juiceman sortant tous les deux des périodes les plus engageantes de leurs carrières, Waka Flocka Flame emboitant leurs pas avec Salute Me Or Shoot 2 puis LeBron Flocka James, jusqu’à devenir le nouveau prince des mixtapes à Atlanta, le Brick Squad originel devenait dès sa création une drogue extrêmement recherchée.

Parce qu’en plus de proposer le haut du panier en matière de trap music, épaulé par une armée de producteurs managés dès le berceau par Debra Antney (Lex Luger, South Side, Prince N’ Purp, Tay Beatz, etc.), la force de ce Brick Squad est de pouvoir proposer autant de personnages intéressants et différents qu’il compte de membres. Chacun d’entre eux est identifiable grâce à ses gimmicks, son timbre de voix, sa façon bien à lui de parler du trafic ou de la cuisson de la drogue. Et si la mayonnaise prend, c’est parce que par dessus leurs différences, ils partagent tous ce côté outrancier, à la limite du cartoon ou des bad guys de comics ; comme si Kermitt, Fozzie Bear, Scooter, Gonzo et Animal s’étaient mis au deal après la fin du Muppet Show.

Malheureusement, cette version originale du Brick Squad ne sortira jamais de disque. Entre les allers et retours de Gucci Mane en prison, les quelques problèmes d’égo entre ce dernier et OJ Da Juiceman et la primauté des carrières solos de chacun, on ne devra se contenter que d’apparitions des uns et des autres sur des projets solos.

Flockaveli & Monopoly

Waka Flocka continuera sur sa lancée de mixtapes, et sa popularité grandira progressivement au gré de titres comme Luv Them Gun Sound ou Hard In The Paint. La complémentarité de son style explosif avec les productions abrasives de Lex Luger poussera les deux amis à prévoir une mixtape en commun. Mais une fois terminée, l’alchimie fut telle que l’entourage de Waka Flocka, notamment sa mère, lui conseilla de garder ce projet au chaud pour en faire son premier album.

La mixtape fut donc entièrement mixée par un ingénieur son de KY Engineering. Ce dernier expliquera que pour mixer cet album, il n’eut à disposition qu’un studio équipé… d’enceintes de club.
Le résultat, ce fut le petit miracle Flockaveli, dernier « game changer » de l’histoire du rap.

Au delà des immenses qualités de cet album, et de l’impact qu’il aura sur le rap, ce dont il a été question maintes et maintes fois déjà, ce qui a pu marquer les auditeurs, c’est l’absence des OGs du Brick Squad, remplacés par une petite dizaine d’inconnus.
Ces gangsters sont en réalité les artistes signés sur ‘Brick Squad Monopoly’. Avoir ce label, afin de signer ses artistes, fut une vraie volonté de Waka Flocka une fois installé comme artiste solo.

Les premières signatures sur BSM, comme Slim Dunkin ou D-Bo, sont en réalité les amis d’enfance de Waka. Bien conscient que le rap lui avait offert la possibilité d’échapper à ce que la rue a de pire, il entend bien en profiter pour sortir aussi ses amis de ce bourbier. « J’ai donné une carrière à mes gars » explique t’il en interview, « c’est toujours mieux qu’un autre rappeur qui en réalité ne fait que t’envier, et qui est là juste pour récupérer un peu de ta lumière. Moi je vais utiliser ma lumière pour éclairer mes potes. »

« Can I Take Sum Partna’s out da hood ? They say my downfall is I wanna take all my homies out da hood » – Rap Game Stressfull

Prenant en quelque sortes la succession de sa mère, elle qui avait aidé la première « génération » du Brick Squad à avoir une carrière, Waka se mue en mécène pour ses meilleurs amis.

Mais toutes les signatures ne viendront pas des quartiers d’Atlanta où Waka a passé son adolescence, puisqu’il fera une tournée des guêpiers les plus célèbres des USA pour se former une équipe All-Stars de jeunes gangsters.

Suwoooooo

Même s’il s’est servi du rap comme d’un tremplin pour sortir de la délinquance, Waka s’évertuera à rapper pour son quartier et les rues qui l’ont vu grandir. Alors, pour garder une crédibilité rue, il se tournera vers ce qu’il a connu, et ses jeunes années en tant que membre des Bloods.

Déjà depuis les tout débuts de carrière il multiplie les cris de guerre Bloods et les références au rouge. Par la suite, c’est absolument chaque artiste signé sur BSM qui sera plus ou moins affilié au gang couleur sang. Cherchant à tout prix à légitimer davantage son appartenance à ce que la rue a de plus de gangster, Waka se tournera naturellement vers un de ses seuls souvenirs de gang ; en l’occurrence l’homme qui était venu importer la couleur rouge dans le Queens de sa petite enfance, Mack Drama.

C’est lors d’un voyage à Los Angeles, via YG Hootie, rappeur de Compton qui ne cesse de plaider allégeance aux Bloods, que Waka Flocka retrouvera OG Mack Drama. Durant l’année 2011, ils s’afficheront ensemble en concert et sur youtube à de nombreuses reprises ;

La supercherie se défait d’elle même en voyant cette vidéo. Mack Drama – l’hurluberlu avec un keffieh rouge sur la tête – n’est plus ce qu’on peut appeler un gangster actif, mais guère plus qu’un Sitting Bull des temps modernes, utilisant son passé gangster pour faire peur aux enfants et amuser les touristes.
Mais la fascination de Waka pour l’univers des gangs ne semble pas différente de celle d’un enfant face à une vitrine de jouets. Lors de sa première visite à Piru, qu’il a pris soin d’immortaliser sur caméra, on le voit émerveillé comme un gosse qui arriverait dans un parc d’attractions.
Alors, souhaitant ramener au gangsta rap sa puissance d’antan, celle de l’époque de N.W.A. qu’il prend souvent en exemple, il s’amusera à signer des artistes venant des quartiers et villes les plus emblématiques de l’univers des gangs ; Ice Burgandy vient d’Inglewood, P. Smurf de South Central, YG Hootie de Compton, Bo-Deal de Chicago, le mexicain MGM devient la caution Cartel, etc.

Malheureusement, ce petit jeu de proximité avec les gangs ne sera pas sans conséquences. Passons le fait que le désormais ridicule Mack Drama se retrouve à utiliser son affiliation au Brick Squad pour exister, plutôt que l’inverse. Il est par exemple derrière la création d’un improbable Brick Squad SW, structure sur laquelle il signe des rappeurs et chanteurs mort-nés.
Le véritable danger, ce sont les vrais voyous qui vont être attirés par la sanguinaire affiliation.

Rap Game Stressful

A force d’arriver en concert escorté par des Bloods ou de parler de sa dextérité avec les armes à feu, Waka Flocka va finir par provoquer les petits voyous et les gangs adverses. Il se fera tirer dessus, braquer, et se retrouvera lié indirectement à des affaires d’homicide et de possession d’arme. Après avoir échappé de justesse à la prison, il avoue être fatigué par le rap jeu. D’un côté oppressé par le rythme de vie de troubadour pour grand voyou, de l’autre déçu par le comportement de certains de ses amis. Alors, en 2011 Waka Flocka annonce qu’il va arrêter le rap. C’est sa mère qui se fera son porte parole pendant cette période où il prendra un peu de recul avec la musique ;

« Waka était déçu du changement de comportement de certains de ses amis. Et de la mentalité dans l’industrie. Tout le monde pense que tu lui dois quelque chose, parce qu’ils s’imaginent que tu as une tonne d’argent. Être dans le rap, ou être dans la rue, cela ne veut pas dire que tu ne ressens rien, ou que tu n’as pas de coeur. Waka a été très touché par ça. »

Mais le pire arrivera en Décembre 2011. Alors que Waka et son meilleur ami Slim sont en studio pour enregistrer un clip pour leur série de mixtapes The Twin Towers, une embrouille survient entre Mario « Slim Dunkin » Hamilton, et l’un des petits gangsters présent pendant la session. Le motif est inconnu, probablement dérisoire au vu des conséquences ; après s’être fait coucher par Slim Dunkin, le garçon vexé est revenu au studio pour abattre « Dunk » d’une balle dans la poitrine.

Après ces évènements Waka, dévasté, se fera un peu plus discret. Aussi parce qu’il peaufine son second album, le très attendu Triple F, pour Friends, Fans & Familly.
Les amis et la famille, le Brick Squad n’est fait que de ça. Et quand les liens de sang n’existe pas, Debra Antney fait toujours en sorte de créer des liens forts avec ses ouailles. Gucci Mane parle d’elle comme si elle était sa tante, Slim Dunkin parlait d’elle comme si elle était sa mère. Et si Miss A a révélé publiquement avoir adopté cinq enfants, elle confesse qu’en réalité il y en a plus que ça… mais qu’elle préfère taire leurs noms pour ne pas faire jaser.
Après avoir lancé la carrière de Nicki Minaj, et remis de l’essence dans le moteur de French Montana, Miss A a prouvé qu’elle était actuellement une des personnalités les plus influentes du rap. Sa façon de gérer la carrière des artistes, entre management classique et seconde maman, a fait de Mizay Ent/1017 Brick Squad une sorte d’anti-Cash Money, dont l’empreinte n’est pas encore aussi profonde que celle du label Orléanais, mais qui est bel et bien en train d’écrire une des plus belles pages de l’histoire du rap.

Aujourd’hui le groupe des OGs du Brick Squad n’existe plus vraiment. Gucci Mane continue de forger sa légende en solo, OJ et Frenchie ne cessent de disparaitre, a priori occupés par des « activités » extra-musicales, Wooh et Waka travaillent, eux, sur leurs albums solo respectifs et au développement de BSM.
Ce sont donc les membres de BSM qui en profitent pour prendre du galon, notamment les Angelenos Ice Burgandy et YG Hootie, qui depuis la mort de Slim Dunkin, sont les mieux placés pour obtenir le titre de 6ème homme du Brick Squad.

Quant à « Miss A », elle garde certainement un oeil, et le bon, sur le développement de BSM. Elle reste aussi plus que jamais impliquée dans la vie de sa communauté, notamment via son association RahRah’s village of hope, qui s’assure qu’aucun enfant d’Atlanta ne soit oublié par le père Noël.

Crédits :

Texte : PureBakingSoda
Illustrations : Hector De La Vallée from Lelacdefeu.fr

 

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