THIS WIND YOU HEAR IS THE BIRTH OF MEMORY

Une poésie extériorise des affections, pour les transmettre, pour les calmer peut-être. Mais le poète cherche à exprimer bien d’autres choses que des sentiments personnels. Lui a choisi la didactique et l’engagement. Son ambition, venue du plus profond de ses tripes, lui confère un pouvoir interdit aux humains. Ses mots cherchent la puissance performative, libératrice, celle des sorts et des sortilèges.

Celui-là est le héros d’une force littéraire noire qui n’a pas peur de militer, sa poésie, tout autant de l’art qu’un appel au soulèvement, rêve d’un monde où l’on se passerait d’elle.

« On ne parlera plus d’art. Le seul poème
que vous entendrez,
sera la pointe d’une lance biseautée
dans la moelle perforée de l’infâme. 
»

C’est en référence à ce texte, qui prophétise le crépuscule du temps des mots et l’aube de celui des actions concrètes, qu’un groupe précurseur du rap choisit de s’appeler The Last Poets. Après nous, la Révolution, en sommes.

Finalement, elle n’a pas eu lieu et il continue d’y avoir des poètes. Qu’en dites-vous, Bra Willie ? Vous qui appeliez à ce que les auteurs posent la plume pour agir physiquement. Que pensez-vous de ceux qui invoquent ce pouvoir magique, non pour la prospérité commune mais pour leur propre bénéfice ? Vous qui dans vos heures les plus extrêmes reprochiez même à Senghor et Césaire de forniquer avec l’œil blanc. Ce sont des questions qui tourmentent peut-être votre descendance. Enfin, saura-t-elle tout ça quand elle décidera de devenir rappeur ?

« Méfie-toi, mon fils, les mots,
portent les
résonances,
du désir aveugle… 
»

C’est un garçon. Avec un tel père, la mère s’attendait à mettre au monde un bébé maudit. Elle s’attendait au pire même. Elle ne s’était juste pas figuré le pire sous cette forme.

CHAPTER I : THE MEANING OF BLACK HOLES
CHAPTER II : HAVE YOU SEEN ME ?
CHAPTER III : I JUST WANT MY FATHER’S EMAIL
CHAPTER IV : THE STREETS OF JOHANNESBURG CANNOT CLAIM ME
CHAPTER V : MAKE YOUR OWN KIND OF MUSIC
CHAPTER VIII : THE POET IN YOUR VEINS ASCENDS A MOUNTAIN
CHAPTER IX : SOMETHING SINISTER TO IT
CHAPTER X : I BEEN LIVING WHAT I WROTE
CHAPTER XI : SHE USED TO SEE MY FATHER IN ME
CHAPITRE XII : BEND WE DON’T BREAK, WE NOT THE BANK

illustration : Hector de la Vallée

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Si l’on dessinait la carte mentale du rap, une arborescence achronique reliant ses individus, ses sons et ses évolutions comme des atomes, au milieu se trouverait Lil Wayne. Il a absorbé tout ce qui s’est fait avant lui en voulant ressembler à ses idoles, puis en le recrachant a donné naissance à tout ce qui s’est fait après. Lil Wayne est le centre de gravité de l’histoire du rap. Même absent, il est omniprésent, en s’incarnant dans à peu prêt tout.

A force de crises d’épilepsie, le monde qui pousse dans la tête de Dwayne Michael Carter Jr. a cessé de grandir, mais il est devenu matériel, palpable. Il est celui dans lequel nous vivons aujourd’hui. Lil Wayne est devenu le rap.

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Cooking by The Book Vol.3 : Lil Wayne & The Hot Boy$ raconte en vingt chapitres et interludes l’histoire du plus grand rappeur de tous les temps, sa musique, sa ville, son ascension vers Mars, les frères, les pères et les ouragans croisés en chemin.

Disponible sur le site des éditions FP&CF dans une édition simple accompagnée d’une carte A5, dans des packs avec un poster A1 ou dans un des trente packs avec le poster et douze risographies A3 des illustrations.

Commander Lil Wayne & The Hot Boy$

feet of clay

Dans la révélation de Daniel, épisode biblique qui inspire le titre, la pochette et le thème de Feet Of Clay, Earl n’aimerait pas être pris pour the goat. Contrairement à ceux qui lisent ici les initiales de greatest of all time, il a choisi d’être the aries, le bélier à cornes biscornues qui observe l’effondrement du monde.

Il commence à rapper alors que la première seconde de son album n’est pas entièrement terminée. Une ouverture abrupte, et Feet Of Clay nous tombe sur la gueule comme un bout de Some Rap Songs resté collé au plafond. Ses phrases courtes coulent dans un entremêlement de textures organiques et de cliquetis métalliques. D’une goutte de ce mélange, il anéanti les artistes factices, les auditeurs débiles, les faux prophètes, exterminés par ses petites sentences dont le côté codé et nébuleux ne rend que plus fortes.

Il est toujours autant misanthrope, mais Earl n’a jamais été aussi sûr, voir imbu de lui-même. Certainement marqué par le l’afro-pessimisme crépusculaire de billy woods et Elucid, ou par l’extrême répugnance pour l’autre de Mach-Hommy et son souhait de 93 millions d’hectars d’espace personel, Earl réévalue les états d’âme qu’il partage depuis plusieurs années : dans un monde malade, ceux pour qui tout va bien sont soit fous soit à abattre, ce sont les mal intégrés et les parias qui ont raison.

Une lueur perdure chez Earl Sweatshirt, quelque chose qui se dégage de la manière dont il bricole le son comme une matière, comme de la glaise à sculpter. Il produit lui-même la majorité de FOC, et profite d’avoir les mains sur les machines pour leur faire dire autant de choses que ses textes. Dans l’emboitement des échantillons, dans les découpages qui rembobinent ou zappent d’un fragment à l’autre, percent des rayons qui rendent les raideurs flexibles, et les ténèbres supportables – des flashbacks flous qui laissent une impression évidente, bizarrement agréable, l’impression que l’on pli mais ne se brise pas.

illustration : Hector de la Vallée