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La capitale de l’Etat de Tennessee n’a pas usurpé son surnom de Cashville. Seconde ville la plus importante pour l’industrie musicale américaine, les plus gros labels y ont tous installé bureaux et studios, si bien que chaque année ils y génèrent presque 7 milliards de dollars.
Appelée aussi Music City, on dit qu’elle est le berceau de la Country. Elvis Presley, Bob Dylan ou Johnny Cash y ont en effet accouché quelques disques et on y trouve encore aujourd’hui des hauts lieux du genre, tels que le Ryman Auditorium et le Country Hall of Fame.
La petite blanche préférée des rappeurs qui codent leurs communications, Miley Cyrus, est aussi originaire du coin. D’ailleurs, qu’en est il de la scène rap locale ? La ville étant un vrai temple et moteur de la musique américaine, on se dit qu’il y a toutes les chances pour que la seule musique encore excitante de notre air y soit bouillonnante. C’est presque le cas. Mais alors pourquoi Young Buck, ex membre du G-Unit de 50 Cent, est-il le seul à avoir connu un semblant de gloire internationale ?
D’autres ont bien rencontré un petit succès, parfois au delà du Tennessee, mais ils sont trop peu comparés à la masse de disques de rap produits par Nashville. Et c’est un succès tout relatif, les noms de Pistol, Kool Daddy Fresh, Haystak, Quannie Quash, Boogie, Papa J, Greenwade ou Big Lou étant aujourd’hui totalement inconnus du grand public.

A Nashville, on explique cette difficulté à percer nationalement par le manque de lien entre les rappeurs locaux. A Atlanta, Memphis, New York ou New Orleans, on a compris que l’union fait la force et qu’il est bon de tenir les portes qu’on s’est ouverte pour que les copains puissent en profiter, pendant qu’à Nashville ce serait surtout « tout pour sa gueule ».
Dans le même ordre d’idées, l’absence d’un label rap de poids ne joue pas en leur faveur. Résultat, les clubs et les radios de la ville jouent en priorité les artistes d’Atlanta ou Memphis qui, eux, bénéficient de l’appui de grosses structures de diffusion.
Enfin, le rap de Nashville souffre aussi d’un manque d’identité forte, oscillant bien trop souvent entre les sonorités que l’on accole à d’autres villes, comme NYC, Memphis, Los Angeles, New Orleans ou Houston…

Alors c’est d’abord via des « figures », des personnalités fortes aux vies mouvementées, que le rap existe à Nashville. Certains ont réussi à vendre plusieurs centaines de milliers d’albums, d’autres sont devenus de vraies légendes de l’underground. En cherchant bien, on y trouve même un des rappeurs les plus passionnants encore en activité.

Si vous êtes assez curieux pour aller explorer les bois qui longent Hilsboro Road, vous finirez sans doute par tomber sur « Le Château ». Loin du centre et cachée par la forêt, l’intrigante bâtisse est au centre d’une longue liste d’histoires. Il faut dire qu’en plus de son apparence et de sa situation, elle a le pédigrée pour être le décor de toutes les légendes et fantasmes possibles.
Ce « Château » est érigé à la demande d’un certains John P. Welch en 1929. Trois ans plus tard, les constructions sont terminées et « Le Château » commence à accueillir un club de gentlemen offrant des cours d’équitation. Enfin ça, c’est la version officielle, parce qu’en réalité le lieu accueille des activités bien moins distinguées, et John P. Welch n’a du gentleman que les costumes taillés par un grand couturier… L’homme est en fait un bookmaker aux ordres du balafré, Al Capone, qui avant de se faire arrêter cherchait à étendre son activité dans le business des jeux. Son Boss en prison, Welch aurait tout de même ouvert un casino clandestin dans les sous-sols du « Château ».
A la mort du proprio en 1945, les activités du « Château » cessent, et il sera transmis de propriétaire louche en propriétaire crapuleux, sans jamais n’être ouvert au public. On dit qu’il est resté l’endroit idéal pour se cacher quand on est un gangster en danger de mort, l’endroit regorgeant de tunnels et passages secrets débouchant sur des tombes factices, pratiques pour la fuite.

Mais un demi siècle après sa fondation, « le Château » ne peut plus échapper à l’industrie qui fait tourner Nashville : Dans les années 80, la famille Nuyens le transforme entièrement en studio d’enregistrement. Le voici devenu la place forte idéale pour venir se couper du monde pendant plusieurs semaines afin d’y travailler un disque.

C’est au « Château », en 1987, que les premiers rap de Nashville sont enregistrés.

Blow Pop Crew devient le premier groupe de rap de Nashville a être pris au sérieux, et fera le tour du Tennessee à base de premières parties de N.W.A., Ice T, Eric B & Rakim, Public Enemy, Mantronix ou 2 Live Crew.

Ce type de groupe, construit sur le modèle de Blow Pop, germe au kilo pour devenir la norme à Nashville. Top Secret et New Style sont les deux autres posses à connaître un peu de succès et, comme leur modèle, à faire des tournées grâce aux premières parties. C’est au sein de New Style Posse, suite aux envies de Tim Moss a.k.a. M.C. Fresh, que va naitre le premier rappeur de Nashville à avoir une carrière solo : A la naissance de sa fille, Tim change de nom de scène pour devenir Kool Daddy Fresh, quitte son groupe de rigolos et devient une des premières vraies figures du rap local.

Si le ralentissement des rythmes reniflés sur les disques de Blow Pop, Top Secret et New Style, les ancrent d’un pied dans le Sud, leur rap ressemble quand même beaucoup à ce qu’on entend à New York (cf cet article sur Blow Pop). C’est avec Kool Daddy Fresh et sa manie d’étirer nonchalamment les syllabes que Nashville va pouvoir commencer à faire siffler les oreilles des new-yorkais. Des groupes comme UGK ou 8ball & MJG ont commencé à marquer la musique de leurs grosses empreintes, et sur son premier album « It’s All True » en 1994, Daddy Fresh s’inspire franchement de ce genre de gangsta rap. Aux côtés des rythmes lents et synthétiques qu’affectionnent ces gangsters du sud, on trouve des morceaux sous influences g-funk, ainsi que quelques ambiances plus sombres, habillées de rires rauques, rappelant que le funk sinistre de Memphis est en train de naitre non loin de là.

Son plus gros succès, aussi bien critique que financier, vient avec «Plottin’ / Licensed To Chill ». Toujours a mi-chemin entre les sonorités west coast (voire Bay Area quand les synthés s’y mettent) et le rap des campagnes sudistes façon Pimp C, ce deuxième album s’écoule à près de 200 000 exemplaires et lui permet de devenir le premier rappeur noir à se produire au Ryman Auditorium. Sa cote devient telle que même le très blanc gouverneur du Tennessee se démène pour être aperçu aux côtés du Kool Daddy, probablement dans l’espoir de gagner d’avantage de sympathie dans la communauté noire…

Entre quelques noms obscurs, ce disque accueil un couplet du légendaire pimp de Memphis, Playa G, et les traces d’un énergumène lui aussi originaire de Nashville, Pistol. Ce gros rappeur un peu bourru s’apprête à définitivement placer la ville sur les cartes du rap.

C’est en 1994 que Nashville devient une vraie ville de rap. Cette année là, en plus de la sortie du premier disque de Kool Daddy Fresh, un rappeur réussit à obtenir un contrat très important symboliquement.

Leroy Gordon dit Pistol est originaire du quartier Preston-Taylor. Le garçon commence la musique très jeune en participant aux concours de talents de la ville, mais avant son fameux deal, n’y voit rien d’autre qu’un passe temps entre deux transactions crapuleuses. Son rap est cru, naturellement violent, car inspiré du quotidien de Preston-Taylor, zone réputée la plus dure de Nashville. Le côté parfois très réaliste de ses textes fait de lui un quasi journaliste du ghetto, même si l’essentiel de son rap est animé par la flambe et l’autocélébration. On le connaît aussi pour la sensibilité voyou qu’il insuffle parfois à ses chansons, à la manière de ce qu’ont fait Tupac ou Scarface, avec qui il partage ce besoin d’allers-retours entre les moments de gloire et les ambiances très noires. Cette noirceur il la travaille aussi par le choix de ses productions, s’inspirant majoritairement du plus sombre de la country dont sont friands UGK ou les Geto Boys, mais aussi des rythmes les plus lancinant possible de la g-funk californienne.

En 1989, avec les profits de sa débrouille, Pistol se paie l’enregistrement de sa première cassette audio «Young Gangstas», sur laquelle Kool Daddy Fresh fait déjà une apparition. Nashville étant à cette époque complètement déconnectée du rap game, Pistol enregistre ce projet uniquement pour son quartier et ne produit qu’un nombre limité de cassettes qu’il dépose au New Life Records Shop d’un dénommé Lee. Il est alors loin de s’imaginer que seulement quelques jours après, Lee le rappellera pour avoir d’autres exemplaires de la K7… Puis le rappellera, encore, et encore, à chaque rupture de stock… Jusqu’à ce que tout Preston-Taylor ait son exemplaire.

Commençant à faire parler de lui au delà de son quartier d’origine, Pistol est approché par K-Rob, un homme rodé au business qui lui propose de prendre en main sa carrière. Ce dernier devient le VRP de Pistol et se traine de concert en concert pour faire la promo de son poulain. Lors de la venu d’8Ball à Nashville, K-Rob rencontre en loge le patron du label Street Flavor, Kevin Grisham, qu’il convainc de presser le premier album de Pistol.
Impressionné par les démos, et n’ayant à l’époque aucun autre artiste dans leur roster, Street Flavor est prêt à mettre le paquet. Toujours à mille lieux d’envisager une carrière de rappeur, Pistol est lui abasourdi en apprenant que pour le premier pressage, le label prévoit plus de 10 000 exemplaires.

« Mais qu’est-ce que vous allez faire avec ça ? Genre… Qui vend autant de CDs ? »

Pistol boucle pour eux son premier véritable album «Hittin’ Like a Bullet», et retourne aussitôt faire ses affaires dans la rue. S’il ne se soucie pas tellement des ventes de ce projet, Pistol en constate inévitablement le succès : à chaque passage par les locaux de Street Flavor, il voit les piles de disques s’amenuiser. Et les 10 000 CDs s’envolent sans que Pistol n’ait le temps de comprendre ce qui lui arrive. C’est un coup de téléphone qui lui fera prendre conscience de son succès, et qui surtout l’aidera à envisager le rap comme un métier.
Harcelé par cinq labels qui souhaitent enrôler Pistol, Street Flavor demande à son artiste de faire un choix. Dans le lot RCA et EPIC sont prêts à lui dérouler un tapis d’or et de billets, mais au moment de prendre la décision finale, le téléphone sonne une dernière fois. Eazy-E est en ligne, avec une petite place pour Pistol dans le roster de son label.

« MEC ! T’as même pas à me demander. Je vais avec Eazy ! On rappe les même choses ; et c’est le genre de trucs que les labels n’aiment pas! »

Le choix est vite fait, et il ne reste plus à Pistol qu’à parapher son contrat qui le liera à Ruthless Records. En ressortant «Hittin’ Like a Bullet» sur Ruthless, Pistol fait exploser les remparts qui entouraient Nashville. Et voyant l’un des leurs passer sur MTV et trainer avec des légendes vivantes, les jeunes de la ville commencent à massivement embrasser des carrières de rappeurs.

Cette signature sur un label de la côte ouest apparaît évidente quand on écoute l’album de Pistol. Ses sirènes stridentes, samples et saxos funk le font encore énormément ressembler à un disque de dope dealer californien. Même dans les textes, les références à la côte ouest et à son mode de vie (il cruise en 64′ comme Eazy-E) peuvent faire penser que Pistol est originaire de L.A. (et lorsqu’il évoque le « Ouest Side » il s’agit sans doute de l’ouest de Nashville, mais cela ne fait que s’ajouter à la confusion). Seules quelques émanations country resituent le disque dans le sud.

Pistol ne sortira qu’un seul album chez Ruthless, les suivants étant défendus par Street Flavor à nouveau, puis Topadaline et Platinum Plus Music. Avec pratiquement un disque tous les deux ans jusqu’en 2010, une carrière toute en progression et forte de succès (au moins 100 000 ventes pour chacun de ses albums), Pistol devient une vraie légende underground. Avec le temps il s’éloigne de ses premiers amours west coast, avec des albums qui ressembleront de plus en plus à des produits à mi chemin entre les prêches de rue d’un Scarface et l’exubérance d’un Master P. Ces deux têtes d’affiche du Sud sont très certainement ses deux plus grandes inspirations dans la deuxième moitié des années 90. Une période qui est incontestablement son apogée artistique, grâce à des disques comme « They Shoulda Kill’d Me », « Money and the Power » et « Ballhollic »… et cela même si on se demande parfois s’il n’est pas en train d’imiter Tupac… ou d’imiter Master P imitant Tupac.

Après Pistol, une poignée de rappeurs de Nashville vont réussir à gagner une reconnaissance régionale. Parmi eux, Quanie Cash, Haystak et Big Lou sont parmi les plus remarquables. Et en multipliant les collaborations les uns avec les autres, en invitant sur leurs disques les vieilles gloires de Nashville et les rookies, ils aident à construire l’embryon d’une vraie scène locale.

Avant d’être un rappeur, Quanie Cash est le patron de Bottom Boyz Recordz, label qu’il monte en 1995 sans doute motivé par le succès de Street Flavor et Pistol. Mais avec le temps ses modèles deviennent plutôt Cash Money et No Limit Records, dont les Empires commencent à générer des millions de dollars. C’est quatre ans plus tard que Quanie Cash passe de l’autre côté du micro, encore une fois très inspiré par les gangsters de No Limit puisqu’il a tout pour se faire passer pour le quatrième frère Miller : l’attitude irrévérencieuse, le flow rageur, les prods clinquantes chargées en or et les pochettes Pen & Pixel.
Son plus bel effort est probablement « The Real Testimony », une heure et demi de rap de garçon gouttière et de TR-808 qui n’a rien a envier à certains disques de Silkk The Shocker. Suivront des compilations et des albums servant de B.O. aux films qu’il produit et réalise lui même.

Haystak est un peu à part dans cette petite constellation de rappeurs. D’abord, il est blanc. Ensuite, sa musique à d’avantage de points communs avec la traditionnelle country de Nashville qu’avec ce que font ses collègues rappeurs. Certes il rappe, mais jamais sans guitare ou piano plus campagnes qu’un mollard bien marron. Combinaison un poil déprimante entre un cow-boy solitaire et les moments les plus émo d’Eminem, difficile de dire si Haystak peut plaire à qui n’est pas un vrai campagnard du Tennessee. Il s’est en tout cas construit une belle fanbase de cous rouges, et enfantera quelques autres rappeurs blancs émotifs à Nashville. Aujourd’hui, le collègue de Lil Wyte, Jelly Roll, en plus d’être son quasi-sosie physique, lui ressemble beaucoup en tant que rappeur.

Big Lou est un rappeur plus anecdotique, mais mérite d’être cité pour avoir à son actif un album qui tente de synthétiser dix ans de rap à Nashville. On retrouve sur « Perfect Timing » les légendes du coin (Pistol, Boogie, Papa J) et toutes les sonorités que la ville apprécie : Beaucoup d’orgues bien country et quelques morceaux sinista-funk comme « Diggin the grave ». Mais encore une fois l’album est majoritairement marqué par la domination de l’écurie de Master P à l’époque, avec des prods où, sur les rythmes lents et secs d’une TR 808, s’entrecroisent des mélodies de quelques notes de synthés et des boucles de pianos.
Le disque accueille surtout le couplet d’un jeune sauvageon alors inconnu, qui fait ici une de ses premières apparitions avant de devenir la plus grosse star que Nashville ait connu : Young Buck.

Est-il nécessaire de revenir en détail sur Young Buck et sa carrière ? Son charisme et sa paranoïa feront de lui un membre temporaire du G-Unit de 50 Cent, et un artiste international avec à son actif un premier album studio certifié Platine. Buck, ce sont des disques produits par la crème de la crème (Dr.Dre, Lil Jon, DJ Toomp, Three 6 Mafia, Drumma Boy), une voix rauque et puissante reconnaissable entre mille et une capacité à lacher complètement prise lui permettant d’insuffler une energie quasiment infinie même à la plus anecdotique des prods d’Eminem.

Après avoir été promené de label en label (Cash Money, UTP, G-Unit), après avoir échoué à faire du sien, Ca$hville Records, un vrai succès, après avoir laissé sa paranoïa lui bouffer la vie au point de s’embrouiller avec pratiquement tous les gens avec qui il a collaboré, après avoir été affaibli par des problèmes financiers, puis honteusement achevé par le fisc, le voilà finalement en prison pour des broutilles… Bref, la carrière internationale de Young Buck est probablement terminée, même s’il continue à polire quelques pépites inspirées par sa galère. Il lui reste le circuit de la mixtape gratuite pour l’aider à remplir quelques petites salles de concert du Tennessee.

Plus que d’avoir offert à Nashville ses premiers blockbusters et quelques excellents projets un peu moins connus (ses mixtapes avec Drumma Boy…), le plus beau cadeau que Young Buck ait fait au public rap, c’est de lui avoir présenté l’un des rappeurs les plus passionnants du XXIème siècle. Même si encore aujourd’hui il n’y a pas un auditeur sur dix qui en a déjà entendu parler.

Au sommet de sa gloire, Young Buck est invité par BET à dévoiler son TOP 50 Dirty South devant des millions d’américains. Entre les inévitables grands classiques, la star du G-Unit place un nom dont pratiquement personne n’a encore entendu parler, en dehors de quelques acharnés dans le Tennessee.

« C’est le prochain gros artiste qui va sortir de Nashville. Rappelez-vous bien de son nom. All Star, the Cashville Prince. »

Le phénix est un oiseau connu pour toujours renaître après s’être consumé sous l’effet de sa propre chaleur. La carrière de Starlito (anciennement All Star) s’apparente un peu à ces cycles que vit le phénix. Elle est faite d’ascensions, de chutes et de renaissances. Une alternance de hauts et de bas qui, tout en ayant émoussé le rappeur au point de l’avoir complètement et irrémédiablement dégouté de l’industrie du rap, l’a aidé à se forger, à se transformer, à progresser, jusqu’à devenir l’un des tous meilleurs en activité.

C’est presque par hasard que Jermaine Eric Shute est devenu rappeur. Au début des années 2000, alors qu’il est encore à l’Université d’East Memphis et envisage plutôt une carrière de sportif, il s’achète un clavier, histoire de faire des beats pour passer le temps. De son propre aveu il n’a vraiment aucun talent pour la production, et n’arrivant pas à refourguer ses bouses, commence à rapper dessus. De ses freestyles naîtront quelques mixtapes qu’il grave et fait tourner autour de lui. Et pendant que ses proches lui font remarquer ses facilités pour écrire et rapper, Jermaine se met tout doucement à se passioner pour ce nouveau hobby.
Dans son sac de cours on finit par ne plus trouver que des mixtapes gravées, qu’il vend lui même sur le campus. Ainsi débute la carrière d’All Star.

Bien qu’élevé dans l’Est de Nashville, c’est d’avantage le rap d’Atlanta et de Memphis qui a bercé Jermaine Shute et qui logiquement guide ses débuts en tant que rappeur. A cette époque on retrouve dans le rap d’All Star l’attitude et les ambiances développés par la toute toute jeune Trap Music. T.I., Jeezy et Gucci commencent à faire parler d’eux et à imposer ce style qui va influencer une bonne partie des rappeurs des années 2000, à commencé par All Star donc.
Que ce soit sur des faces B ou entouré de cuivres agressifs, guidés par les charlestons et caisses claires des découpeurs de drogues, celui qui s’auto-proclame « Prince de Cashville » est alors avant tout un rappeur à punchlines. A cette époque, il rappe souvent les même histoires de rues, de flambe et de violence, sur le même ton menaçant que beaucoup de trappeurs, mais avec un sens de la formule qui tape efficacement là où on ne l’attendait pas. Et dans la masse de ses freestyles, des fulgurances laissent aussi entrevoir le début d’une écriture bien à lui, lui donnant un côté plus réfléchi que ses collègues.

De cette séries de mixtapes à freestyles commencée en novembre 2003, il vend 800 exemplaires du premier volume, puis  3 500 du deuxième. Il gagne en audience à chaque nouveau projet, étend sa juridiction de la fac jusqu’aux clubs et chaque terrain de sport de Memphis et Nashville, et finira par écouler plus de 20 000 CDs d’un volume 5 entièrement produit par son premier collaborateur régulier : Fate Eastwood.
Entre la sortie des volumes 3 et 4 de ces K7, portée par un public local, la musique d’All Star va venir passer les portes d’un barbershop de Memphis où Yo Gotti, le Roi de la ville, a ses habitudes. Intéressé par ce qu’il entend, Gotti entre en contact avec All Star et lui propose de s’associer autour d’un contrat qu’il doit signer avec Cash Money Records. Avec seulement ses quelques mixtapes au compteur, voilà le jeune All Star en position de signer en major… moins d’un an après avoir officiellement débuté sa carrière.

« On est allé ensemble chez Cash Money pour signer ce contrat. Au départ je pensais que c’était une bonne idée… »

Forcement motivé par l’idée de devenir une superstar qui fait pleuvoir l’argent, All Star signe un contrat avec le label de Birdman. Derrière son coup de crayon, se cache aussi l’espoir de transformer l’affaire en un album qui enflammera le Sud… et pourquoi pas les USA.

Au départ loin de penser que parapher ce bout de papier pour Cash Money était la pire décision de sa vie, All Star sera vite forcé de le constater. Dans les faits, malgré son supposé nouveau statut, le garçon est obligé de continuer à forger son public comme s’il était un indépendant, à coup de projets gratuits et de concerts dans les clubs de Nashville. Cette situation dure des années, mais le travail paie. Il progresse, en même temps que sa région apprend à l’aimer, et c’est à cette époque que Young Buck le découvre et lui fait un coup de promo inespéré sur BET. Les deux rappeurs et toutes la clique Ca$hville collaborent d’ailleurs à plusieurs reprises ces années là, et Buck s’ajoute à la liste des grands noms qu’All Star côtoie, sur laquelle on retrouve aussi Yo Gotti et Young Jeezy. En 2005, il est à peine exagérer que de dire de « Street Ball », son premier album, qu’il est un des disques les plus attendus dans le sale Sud. Mais il sera toujours attendu en 2006. Puis l’année suivante, et encore celle d’après…

La carrière solo d’All Star n’est de toute évidence pas une priorité pour Cash Money, qui pourtant tient un rappeur qui ne cesse de démontrer ses qualités. Parce que depuis ses freestyles de trappeurs, le Prince de Cashville a commencé à changer. Les deux volumes de Starlito’s Way sont certainement les projets qui témoignent le mieux de cette évolution.
S’il est toujours le violent rappeur à punchline de ses débuts, All Star se trouve une nouvelle épaisseur. En faisant appel à d’autres producteurs (Drumma Drama, Coop, Celsizzle), il tente des productions plus lentes, moins agressives, moins minimalistes. Sur ces ambiances il ose amener son rap dans de nouvelles directions, le détendre, et le côté pensif qui surgissait par moment entre deux menaces de morts mute en un vrai talent pour s’observer lui même.

Ce goût pour l’introspection se développe en même temps que ses rapports se dégradent avec Cash Money. Sa situation l’amène à se poser énormément de questions, notamment à remettre en cause la poursuite de sa carrière. Il faut dire que son contrat l’enchaine au non-sens : Le label refuse de sortir son album, et lui n’a plus la liberté de le faire seul, ni même de produire autre chose à son nom pouvant générer de l’argent. Birdman et Lil’Wayne lui laissent bien quelques os à ronger, comme une apparition sur leur LP de 2006 « Like Father Like Son », mais guère plus d’efforts ne sont faits pour que la carrière d’All Star passe à la vitesse supérieure.

Une rumeur persistante, mais qui ne reste qu’une rumeur, laisse entendre que durant cette période All Star est ghostwriter pour Lil’ Wayne et Birdman. On ne sera probablement jamais sûr de rien, mais certaines expressions de Wayne, métaphores et manis d’évoquer des choses en tournant autour, sans ne jamais les citer (ce qu’adore faire All Star), servent d’arguments à ceux qui soutiennent cette idée.
Quoi qu’il en soit, la situation termine d’user la patience du rappeur de Nashville, et il n’en fait plus un secret sur le deuxième volume de Starlito’s Way fin 2007. Sur le premier disque de la mixtape, All Star parle de lui, raconte sa vie et son parcours : Sa mère qui gagne des piécettes en tressant les voisins, son père qui fume le crack, et son adolescence faite de rap, de basket et de trafic de drogues. Sur le deuxième disque, il entame un cycle qui va durer presque deux ans, au propos on ne peut plus explicite. A la manière d’un jeune espoir du foot cantoné à cirer le banc ou à jouer avec l’équipe reserve, All Star demande à partir. Mais cette envie de retrouver sa liberté ne va pas de pair avec une volonté de poursuivre en indépendant… En ayant, pendant plusieurs années, vécu le rap comme un calvaire et à travers ses côtés obscurs (business déshumanisé, rythme de vie qui a mis sa santé en danger, etc.), voilà le Prince de Cashville décidé à tout abandonner.

Rap Music Ruined My Life // Beggin My Freedom, Be My Friend, Belittle My Future

« Like Father Like Son, I’m The Stepson, Interfering With My Dream. Inception. »

C’est comme si les difficultés rencontrées avec Cash Money avait brisées la carapace de trappeur que s’était construit All Star. Son changement d’attitude, la nouvelle orientation artistique de ses projets et surtout son envie de quitter à tout jamais le rap, il l’entérine avec un changement de nom : Starlito. La référence au film Carlito’s Way était déjà présente dans la musique d’All Star, mais en se renommant d’après le nom du personnage joué par Al Pacino, il pousse le parallèle jusqu’au bout. Carlito est un ancien gangster cherchant à se ranger après cinq ans de prison, Starlito est un ancien espoir du rap qui souhaite raccrocher après cinq ans de major.

« Je suis comme le personnage d’Al Pacino dans Carlito’s Way… Juste à la recherche d’une porte de sortie… »

Heureusement pour nous, toujours soutenu par son public, Starlito ne mettra jamais ses menaces à exécution : Ce qu’il annonçait comme une fin se révèle vite être un nouveau départ. C’est DJ Burn One qui va jouer un rôle important dans la suite de la carrière de Starlito, notamment en matérialisant ce nouveau départ avec un projet, comme il l’avait fait pour Gucci Mane avec « Chicken Talk ». Et son implication est encore plus forte avec Starlito, puisqu’il va entièrement produire pour lui « Renaissance Gangster ».

A la fois court et dense, « Renaissance Gangster » installe une ambiance inédite pour Starlito. Orgues, sacro-saintes émanations de « Triggaman » et de cowbells, conduits par des samples vocaux ou country et les rythmiques de TR 909 et 808. En travaillant ses samples avec un leger effet de reverb, Burn One donne l’impression de tous les faire surgir d’une brume épaisse et crée ainsi une parfaite unité à tout l’album.
Sur ces rythmes plus lents qu’à l’accoutumé, le flow de Starlito continue de ralentir, laissant le grain de sa voix gagner en rugosité pour ressembler au timbre enroué des lendemains de fête. Cette nouvelle cadence offre aussi une nouvelle place aux textes. Plus que l’attitude, c’est maintenant chaque mot, chaque image dessinée par Starlito qui gagne de l’importance. Ses références sportives hyper pointues, sa façon de parler de l’ébriété, son espèce de désarrois perpétuelle, tout s’accumule logiquement, en parfaite harmonie avec l’ambiance de bar enfumé.
En fusionant avec Burn One, c’est comme si Lito changeait de famille, passant de demi frère de Dwayne Carter à presque neveu des UGK perdu dans un brouillard de THC.

La suite n’est que réjouissements pour l’auditeur. Terminader Gold 60, Starlito’s Way 3, Ultimate Warrior, @ War W/ Myself, etc, etc. Avec Drumma Drama, Lil Lody, Lil Keis, Coop, Fate Eastwood et DJ Burn One, Lito tient une équipe de collaborateurs qui lui permet de développer chaque facette de son rap : la trap à punchlines avec les uns, la weed music country ou les textes introspectifs avec les autres. Sans revenir dans le détail de chacune de ces sorties, retenons que Starlito y démontre que sa musique s’étend sur des styles très différents. Entre arrogance, humour, peine et aigreur, il est aujourd’hui le chainon manquant entre Playa Fly, Z-Ro, Young Buck et Young Jeezy. Mais parce que ses difficultés lui on fait perdre l’envie de courber l’échine, sa musique arrive jusqu’à nous sans n’être parasitée par quoi que ce soit, faisant de lui un rappeur forcément unique, puisque n’écoutant que ses trips pour rapper.

Depuis décembre 2010 Starlito est libéré de toutes obligations vis à vis de Cash Money et travaille tranquillou, indépendamment du circuit, via Grind Hard sa propre petite structure. S’il n’arrête pas sa carrière, il se considère néanmoins retraité du « rap game », puisqu’il ne se soucie plus de savoir s’il est meilleur qu’untel ou bien dans l’air du temps. Starlito n’est plus là que pour continuer ses petites conversations avec lui même, motiver ses voyous et faire danser en concert pour payer les factures.

Si Lito n’a pas tout abandonné, c’est aussi grâce à sa rencontre avec Don Trip lors d’une tournée en 2011. D’après ses dires, le MC de Memphis lui a redonner le goût de rapper, simplement en lui rappelant que l’exercice pouvait, aussi, être fun. Quelques parties de NBA2K plus tard, les deux bougres sont comme des frères et bien décidés à retranscrire leur complicité en musique. Résultat, ensemble ils donneront naissance à l’un des meilleurs albums de 2012 : « Step Brothers ». A une époque où les duos entre rappeurs se font par couplets échangés par mail ou rappellent les collaborations entre marques de tissus, l’alchimie entre Don Trip et Starlito est un bonheur infini. Sur « Step Brother » on jurerait plusieurs fois que les deux rappent comme ils jouaient à NBA2K, en s’amusant à prendre le dessus sur l’autre. En les écoutant, on se surprend à imaginer les coups de coudes qu’ils se filent en studio après une punchline, comme quand ils se collaient le trois points de la victoire sur console.
Quand il s’agit de faire autre chose que de la punchline pour de la punchline, le goût pour le storytelling de Don Trip complète parfaitement le rap de voyou aigre-doux de Starlito. Et pour ne rien gâcher, l’ensemble est mis en musique par des prodos top notch (Mike Will, Boi 1-da, T-Minus, Lil Lody) qui ont su fournir du velour, tout en s’effaçant juste assez pour que la prestation du duo reste au centre du projet.

Après ce disque, il est certain que Starlito a trouvé le rythme et la manière de bosser parfaite pour lui. Deux ou trois projets par ans depuis qu’il est entièrement indépendant, avec ses producteurs favoris et quelques collaborateurs récurrents (Trip, Young Dolph, Killa Kyleon , Young Buck et Yo Gotti).
Avant d’enregistrer un de ses projets les plus ambitieux l’an dernier, Lito est tombé sur un article parlant de lui et des pionniers du Blow Pop Crew. En le parcourant, il apprend l’existence du fameux « Château » de John P. Welch. Forcément séduit par l’histoire du lieu, Starlito décide de faire un clin d’oeil aux balbutiements du rap de Nashville en s’enfermant plusieurs semaines au château, afin d’y enregistrer « Mental WarFare ».
Les producteurs fétiches sont encore une fois tous présents, mais cette fois Burn One est accompagné de tout le Five Points Music Group pour jouer et enregistrer en live les productions (Walt Live au clavier, Ricky Fontaine à la guitare, The Professor à la basse.).

Encore une fois le disque est l’occasion de faire une plongée dans l’esprit tourmenté de Starlito, peut être plus que jamais. Lean, alcool, amour, carrière, les 25 ans de prison de son ami Red Dot, tout apparait comme un problème dont Lito n’arrive pas à se débarrasser et qui alimente… sa dépression.

En s’engouffrant toujours plus loins dans l’honnêteté, à contre courant du traditionnel égotrip, jusqu’à même répéter qu’il se « hait » parfois, Starlito rappelle de plus en plus le texan mélancolique Z-Ro. C’est peut-être aussi une nouvelle façon de faire de la « Trap Music ». Ce n’est plus qu’au business de la drogue que le rappeur est enchainé, il est aussi « piégé » dans ses tourments, dans ses soucis qu’il n’arrive pas à s’empêcher de ressasser. En témoigne « Produced by Coop » énième morceau résumant douloureusement son parcours et sa situation, mais, et comme toujours, sans s’apitoyer ni même se résigner.
Mais si Mental WarFare est son album le plus abouti, c’est aussi parce qu’il synthétise parfaitement tout le spectre des raps qu’il est arrivé à maitriser. Les titres de trap classiques comme Live From The Kitchen auraient pu servir de tubes à « Street Ball », WTF sonne comme la suite mieux maitrisée des singles Grey Goose et I Go Ham, et les chansons produites par Burn One et Cardo réinstallent le meilleur des ambiances country de « Renaissance Gangster ».
Et Starlito n’oublie pas de célébrer Nashville en invitant le vétéran Quanie Cash sur des prods de son vieux compère Fate Eastwood.

Après avoir collaboré avec de plus en plus d’artistes de la Bay Area, Kool Daddy Fresh a fini par signer sur le label de l’ex-basketteur originaire d’Oakland Gary Payton. Pistol n’a pas sorti de disque depuis presque cinq ans mais reste un personnage éminemment respecté à Nashville. Quanie Cash continue de brasser des milliers de dollars en produisant des compilations et des films direct-to-DVD. Young Buck est en prison jusqu’à la fin de l’année pour port d’arme illégal mais continue a sortir des projets gratuits régulièrement. Starlito s’apprête à sortir un nouvel album intitulé « Cold Turkey » ainsi qu’une suite à Step Brother avec son compère Don Trip.

Illustrations : Léo Leccia / @

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Le premier volume de la collection Cooking by the Book est consacré au début du groupe Outkast.
Vous pouvez vous le procurer sur le site des éditions FP&CF, en version français ou anglais.

The zine is available in English

Pour accompagner ce premier numéro, Ryan Hemsworth a passé dans ses machines un titre d’Outkast pour en ressortir toute la mélancolie.

Return Of The « G » (Ryan Hemsworth Edit)

 

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Deuxième round, deuxième point, deuxième bilan, cette fois de la période s’écoulant de mi février à début avril environ. Comme la première fois, un petit retour sur une dizaine de sorties plus ou moins essentielles.

Young Thug – 1017 Thug

Young Thug est un espèce de diamant brut, un talent qui n’a encore été canalisé par rien n’y personne. Ce qui est intéressant avec lui, c’est que même sans aucun formatage, il se tourne naturellement vers un rap pop. Et si pour ça il est souvent comparé à Future, Young Thug en est en fait l’opposé parfait. Ou l’autre face d’une même pièce pour être plus exact, une sorte de version sauvage de l’Astronaute. Parce que quand l’un est allé travailler et canaliser son rap en studio, jusqu’à devenir une vraie pop star, l’autre le laisse libre d’aller dans tous les sens et garde un côté brut et naïf.

Future a fini d’entériner la destruction des frontières entre « rap » et « chant », et permet à des gamins comme Young Thug d’exister sans qu’ils soient qualifiés d’ « hybrides » ou de « rappeurs qui chantent ». Aujourd’hui et pour toujours, c’est aussi ça « le rap ».
Alors évidemment, Future est loin d’être le premier à avoir joué sur ce terrain, et pas si longtemps avant lui, Lil’ Wayne était l’un de ceux qui faisaient le plus trembler cette limite. Il y a aussi beaucoup de Lil’ Wayne dans Young Thug. D’une certaine manière, on se demande s’il n’est pas ce qu’aurait donné Weezy si ses expérimentions pré-Carter III avaient abouti à plus qu’une poignée de titres éparpillés, si Prostitute Flange et Lollipop avaient été des modèles pour des albums entiers de Lil’ Wayne.

Les additions de bonnes influences, même bien digérées, n’ont jamais suffi à faire un bon artiste. Si Young Thug est remarquable, c’est parce qu’il a réussi à se construire malgré tout son propre univers, ses qualités et sa personne transpirent par dessus ses inspirations. Son espèce de folie douce, l’impression constante qu’il perd lui même le fil de ce qu’il raconte et son hyper spontanéité en font un vrai personnage, mi bizarre mi sauvage.

Des refrains emboités en poupées russes jusqu’aux couplets qui sonnent comme des refrains, tout est prétexte à ce que Young Thug étire sa voix dans toutes les directions pour créer des mélodies, à la manière d’un ado qui aurait appris à contrôler sa mue. En guise de production on retrouve sur 1017 Thug une majorité de squelettes des beats que l’on commence à entendre un peu trop à Atlanta, avec les caisses claires roulées ou les filtres passe-bas. Mais Young Thug arrive malgré cela à produire quelque chose d’autre qu’une tape d’Atlanta standard, grâce à sa manière de faire évoluer l’air de ses titres avec son rap/chant et son grain de folie. Et l’immense majorité de ses lignes pouvant être transformées en gimmick, il y a fort à parier que même a capella Young Thug reste divertissant. Alors quand il est accompagné par une petite ritournelle de comptine, des synthés de fête foraine (eurodance Lex Luger!!), ou en duo avec Gucci et PeeWee avec qui il a une belle complémentarité, la cassette touche le ciel.
1017 Thug n’est pas parfaite, certains titres étant difficile à écouter jusqu’au bout une fois le refrain passé, mais il est encore plus dur de ne pas être enchanté par ce gamin.

Mentions spéciales pour l’explosif 2 Cups Stuffed qui est un peu son Same Damn Time, Nigeria avec PeeWee et Gucci Mane, qui nous rappelle que toute cette forme de rap trouve une part de ses racines en Jamaïque, et à Picacho, pour ses gimmicks retardés, beuglés sur ce qui pourrait presque être un générique de Pokemon.

Lil’ Wayne – I’m Not A Human Being 2

Dans IANAHB2, Lil’ Wayne n’a toujours pas compris qu’il n’y a plus besoin de faire du rock pour être une rockstar. Les riffs de guitares très gênants et les moments où il essaie péniblement de nous persuader qu’il est un chanteur de pop punk sont donc toujours là.
Dans IANAHB2, Lil’ Wayne n’a pas non plus retrouvé toute la créativité qu’il a perdu depuis plusieurs années. Pire, alors qu’il a été un des rappeurs les plus influents des années 2000, on le retrouve aujourd’hui à singer la musique des stars du top tiers, les Future, Drake et autre 2 Chainz (qui eux même font une musique que Weezy a inventé, vlà le serpent qui se mord la queue).
Pourtant, c’est son meilleur disque depuis 5 ans, et pas seulement parce que les précédents sont mauvais.

Le disque s’ouvre avec une longue intro au piano, sur laquelle Lil’ Wayne parle de sa bite avec (presque) autant d’intensité que quand il pleurait les dégâts causés par l’ouragan Katrina. Une intro qui résume assez bien l’état d’esprit dans lequel est Weezy aujourd’hui : il n’a pas forcément perdu tout son talent, il n’en a juste plus rien à foutre et se contente d’opérer depuis sa petite zone de confort. Sans doute plus de quoi faire de grands disques, mais bien assez pour produire de l’Entertainment de qualité, juste en continuant d’être ce drôle de martiens weirdos obsédé par sa quéquette.
On retrouve à la pelle des métaphores aussi drôles qu’attardées, des messages de haine envers l’Amérique (et son système judiciaire en particulier), le haut du panier des tubes radios grâce au duo Future/Mike Will, et des apparitions du toujours amusant 2 Chainz. Bref, juste ce qu’il faut pour qu’un album de Lil’ Wayne nous divertisse.
Mais le vrai plus qui aide ce disque à s’hisser au dessus des précédents, ce sont d’abord les trois titres produits par l’immortel Juicy J. Ce dernier a simplement réutilisé – sans en modifier la formule d’un iota malgré un passage par la case « major » – le son qu’il a concocté il y’a quelques années avec Lex Luger : un mélange des ambiances horrorcores de Memphis et des boites à rythme de club d’Atlanta. Ajoutez à ça le premier titre surréaliste, les tubes radiophoniques, le mi touchant mi gênant et quasi Pluto-esque Romance, et vous tenez un album qui pourrait vous réconcilier un peu avec Lil’ Wayne, si vous aussi vous pensiez qu’il était mort en 2008. L’ex meilleur rappeur vivant n’a plus la hargne d’antan, mais avec cet INAHB2, démontre qu’il est au moins capable de tirer le meilleur jus de ses invités, qu’ils soient rappeurs ou producteurs.

Inclus également : Gunplay qui continue de marcher sur l’eau, et le premier bon couplet de la carrière de Gudda Gudda.

Foxx – Cold Blooded / Eddie Starks – Power Move

Le tour de force de la Trill Fam, c’est d’arriver à rendre belles les choses les plus tristes et horribles qu’il soit. Plus leurs amis meurent, plus leurs problèmes avec la justice augmentent, plus leur ville sombre dans la misère, et plus leur musique est belle et tristement joyeuse. Aujourd’hui les bluesmen ne font plus de blues, mais de la Bounce Music et de la Country Rap Tunes, et en attendant que Boosie soit libéré, Foxx reste le meilleur représentant de cette famille de rappeurs maitres de l’émotion voyou. Musique pour pleurer de vraies larmes bien viriles sur des cloches, des pianos et des guitares country.

One Way avec Lil’ Cali (qui a donc probablement réalisé la prod) concoure déjà pour une place au podium des chansons de l’année. Ce serait bien que ce genre de titre emo-parano soit plus nombreux sur ses projets. Et si son Mayweather de l’an dernier reste supérieur à cette mixtape, elle reste indispensable, au moins pour entendre Foxx mettre un peu d’âme à des prods piquées à des rappeurs fruités.

On retrouve Foxx sur Power Move d’Eddie Starks. ENCORE une bonne sortie en provenance de Baton Rouge. Je profite de cette tribune offerte par mon sponsor pour remercier la légende Frankie Tha Lucky Dog, qui upload et partage ces sorties sur le net, et sans qui elles ne quitteraient pas Baton Rouge, ainsi qu’ANU l’homme-lien pour sa veille active.
En plus de Foxx, on y retrouve Kevin Gates, C-Loc, Max Minelli, DJ B-Real, Mouse On Tha Track, soit une sorte de All Star Game local. La moitié de la tape est produite par un gamin du Minnesota appelé Zachary « Zone » Glaros, qui dans son approche de la prod Country rappelle parfois les Block Beattaz d’il y’a quelques années.

Boldy James – Grand Quarter EP

Originaire de Detroit, Boldy James est le cousin de Chuck Inglish, dont on reconnait sans peine la pate sur cet EP puisqu’il y produit la moitié des titres. Le timbre blasé de Boldy s’accorde parfaitement aux productions minimalistes de Chuck. Exactement ce qu’il faut pour laisser vivre son flow un poil monocorde, que l’on voit mal se déployer sur des prods plus complexes. C’est supérieur à tout ce qu’ont pu faire les Cool Kids ces dernières années, et il y a une prod des Block Beattaz cachée quelque part dedans, sur laquelle Boldy James se laisse aller à pousser la chansonnette.

Bon apéritif avant son album entièrement produit par Alchemist prévu pour plus tard dans l’année.

Bird Money – The Book Of Bird Money The Name Speaks For Itself

Un peu comme Kansas City, Akron dans l’Ohio semble avoir une connexion un peu mystique avec la Bay Area. Cet album de Bird Money est là pour encore le prouver, avec les présences de Joe Blow, Lil Rue ou Jacka et des productions qui sonnent comme si les producteurs venaient d’Oakland ou San Francisco. Samples de voix pitchées, de pop ou jazz smooth des années 80, pour une ambiance mafioso, avec ses histoires d’écailles de poissons et d’argent d’oiseau. Comme son nom l’indique. Dans la lignée de l’excellent Cop Heavy Gang 2 de Young Bossi et Ampichino l’an dernier, une très bonne surprise.

Young Wappo – Not Guilty

Très éclectique dans le choix des prods, Wappo saccade son flow juste ce qu’il faut pour découper des briques sur des synthés bouclés sur des snares roulées, part en double-time sur des snaps ratchets, transforme son rap en chant sur les refrains et les synthés façon Beat Bully ou cruise sur des routes g-funk. Vu la récurrence du thème, le garçon semble avoir eu quelques démêlés avec la justice de San José (sans doute pas pour rien que la mixtape s’appelle Not Guilty), mais à part ça je ne sais pas grand chose sur ce garçon, dont la cassette m’a été conseillé par le Boss Tuego.

HD of Bearfaced – No Days Off

Ca parle souvent d’HD ici, un de mes rappeurs préférés de ces dernières années. Il continue à faire ce qu’il sait faire de mieux, parler de guap et de poulet sur des mélodies légères, tout en devenant toujours un peu meilleur et en élargissant le spectre de sa musique. Cette fois, il ajoute à sa panoplie de rappeur une utilisation très subtile de l’autotune. Si ses albums avaient les finitions qu’ils méritent, en se débarrassant par exemple des problèmes liés au mastering amateur, la vie serait parfaite.

Tyler, The Creator – Wolf

Le précédent disque de Tyler avait une photo de Buffalo Bill en guise de pochette. Buffalo Bill, en plus d’être ce vieux fils de pute qui a exterminé les bisons puis vendu son boule à l’industrie du spectacle, c’est aussi le nom du tueur dans le Silence des Agneaux. Le modus operandi de ce psychopathe consiste à kidnapper une femme, puis à lui retirer délicatement la peau pour pouvoir se l’enfiler comme un manteau. Sa manière à lui de se travestir sans doute. Tyler, c’est un peu Buffalo Bill aussi, sauf que ses victimes s’appellent Pharrell Williams, Chad Hugo, Eminem parfois… Quand Buffalo Bill enfile la peau de ses victimes, forcément il n’arrive pas à ressembler à une femme. Tout au plus il devient une espèce de version difforme de ses victimes, parce que les formes de son corps d’homme apparaissent beaucoup trop sous les lambeaux de peaux. Tyler a le même problème. Sa personnalité l’empêche de devenir complètement Pharrell ou Eminem, en déchirant son costume de Neptunes par excès de caractère, d’individualité. Mais si c’est, j’imagine, dommage pour Buffalo Bill, c’est tout ce qui rend Tyler intéressant.

Casino – Ex Drug Dealer

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Xtra – New King of the South

Une sortie Big Gates Records c’est la certitude de se faire violenter pendant une heure par des infrabass à 45 bpm, avec plein de bruits de petites bulles électroniques qui viennent chatouiller l’oreille interne. En surface ça a l’air brut et brouillon, mais une fois dedans on est happé par l’orfèvrerie, les prods au millimètre, la putain d’horlogerie suisse. Walter White Music.

A écouter aussi : King Louie – March Madness ; Harry Fraud – Adrift ; Cassie – RockaByBaby ; Vos mamans.

Je relance avec cinq titres à côté desquels il est interdit de passer :

Young L – Atari

Young L lève un peu le pied sur les synthés slappés et les grosses bass. Il revient à ce qu’il faisait déjà sur son premier album, les chansons sucrées autotunées (Centerfold, Baseball Bat) qu’il maitrise plutôt bien. A entendre ces synthés analogiques on se demande s’il n’a pas été récemment traumatisé par Kavinsky. Rap Game Paul McCartney ?

Future – No Love

J’ai allumé NRJ en 2016 et ils jouaient cette chanson à l’harmonie qui ferait pleurer le Diable. Rap Game Frank Sinatra ?

Tree – Trynawin Feat. Roc Marciano

Combinaison haut de gamme, d’une part entre le flow ectoplasme de Tree et celui plus sec de Marciano, puis entre la trap soul du chicagoan et les images gangsters et décalées du new-yorkais. Sunday School II va être immense comme Tim Duncan.

Chief Keef – Where He Get It

Plus les jours passent, plus Chief Keef se transforme en la fumée noire de Lost. Un jour il se mettra à rapper sans ouvrir la bouche, juste en geignant sur de la noise music avec des bass de club et la mélodie du générique de Batman. Ah, bah il le fait déjà presque sur ce titre en fait, et c’est magnifique.

Suga Free & Pimpin’ Young – 15 Minutes to 5 Feat. Nate Dogg

La légende Suga Free qui ressuscite Nate Dogg. Si ça ne vous suffit pas, je vous prie de bien vouloir partir s’il vous plait. Extrait d’un EP prévu pour le 17 mai prochain.

On se prépare psychologiquement pour le troisième round de 2013 qui s’annonce déjà comme le plus intense de l’année avec les albums de Mitchy Slick, Young L, Young Scooter, Gucci Mane, les mixtapes de Tree, Fat Trel, Meek Mill, Young Thug (x2) et probablement des trucs insoupçonnés.
Toujours pas de trace de L’Album. Mais on ne désespère pas, un cierge est allumé chaque matin, et nous continuerons à tourner les corps de nos morts vers Medellin en attendant un signe du guide Adolf Sniffler.

Illustrations : Bobby Dollar