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Prenons rendez-vous sur PBS, tous les mois et demi, pour un point sur l’actualité de la seule chose qui compte un peu dans la vie : le rap. Comme toute bonne résolution, il y a de fortes chances que je ne m’y tienne pas plus de six mois, mais contrairement à Homer face à Drederick Tatum, essayons quand même de tenir plus d’un round. Pour cette fois, une dizaine de projets indispensables de ce début d’année et une liste de rookies aux dents longues.

Problem & Iamsu ! – Million Dollar Afro / YG – Just Re’d UP 2

Problem et IamSu! avaient l’an dernier sorti les deux meilleures mixtapes du halo « ratchet », triolisme jerk/hyphy/bounce ralenti à outrance pour en essorer tout ce qu’il y a de plus salace. Le premier est originaire de L.A. où le mouvement a germé, le deuxième de la Bay Area, comme les synthés clubs utilisés par les producteurs ratchet.
Les deux copains ne cachent pas leurs influences et sont en plus entièrement approuvés par leurs illustres prédécesseurs, en atteste leurs featurings avec E-40, Master P ou, sur Million Dollar Afro, avec Juvenile et Too $hort.
Ce projet en duo est encore réussi, même si dans l’équation on a perdu un peu de ce qui faisait aussi le charme d’IamSu!, les titres un peu plus relax et matures qu’on trouvait au milieu de Kilt!, son dernier album.

Sur Just Re’d UP 2, on retrouve les Romus et Romulus du ratchet, le rappeur YG et son producteur DJ Mustard. Rap de (strip-)club où le minimalisme des prods est inversement proportionnel à l’arrogance et à la concupiscence du rappeur. Les ambiances autotunées de Ty Dolla $ign semblent s’être complètement dilluées dans l’univers d’YG. Au départ juste pourvoyeur de refrains, il a maintenant transformé toute une partie du rap de son ami en quelque chose de plus smoothie, tirant vers le R’n’B (cf. Love Jones ; On The Set).

Master P – Al Capone / Louie V Mob – New World Order

Master P de retour à faire ce qu’il fait de mieux : analyser le rap à la mode pour nous le resservir à sa sauce. Dans la veine de ses imitations de Tupac et Scarface serties de diamants, le voici maintenant plein de MMG, BS et YMCMB ingérés par intraveineuse. Mais parce qu’il a le taux de midi-chloriens le plus élevé de la galaxie, ça fonctionne. Certes pas à tous les coups, sur Al Capone l’imitation Rick Ross est parfois trop grossière, mais sur les deux tiers des titres il arrive quand même à nous convaincre que le Tank est éternel.
Quasi systématiquement entouré de deux des meilleurs rappeurs dans leur catégorie, Fat Trel et Alley Boy, on est en plus parfaitement servi en rapping gangster, technique et charismatique. Dommage cependant que l’alchimie entre les trois ne soit pas optimale. On reste souvent coincé au niveau des « featurings » sans jamais vraiment atteindre celui du « super-group ». Et puis, même s’il n’est pas dans la même forme que sur ses projets solo, à chaque fois que Fat Trel entre sur un morceau on a qu’une envie : n’entendre plus que lui.

Après tant d’années, dont une longue période de quasi-retraite, il est impressionnant de voir que Master P a encore le don pour comprendre ce qui marche, et arriver à se placer parfaitement sur l’échiquier rap. A la manière d’un champ magnétique il attire vers lui ce qu’il peut s’approprier sans contredire son personnage (la trap sans remord du Brick Squad, le mafioso rap grandiloquent de Rick Ross), et repousse tout ce qui pourrait nuire à sa crédibilité à coup de pics méprisantes bien senties (la mode des rappeurs émotifs et/ou obnubilés par les grands couturiers).
The Last Don continue de rapper avec la rage de ses 22 ans, alors qu’il en a plus du double, et rien que pour ça ces deux mixtapes sont des indispensables du début d’année.

Kevin Gates – The Luca Brasi Story

Avec son timbre rauque et son articulation parfaite, Kevin Gates arrive à nous faire tenir d’un bout à l’autre de Luca Brasi Story sans sauter une piste. Il y a vraiment peu, voir pas, de déchets et plusieurs titres très différents mériteraient le traitement « single » (cf. Paper Chasers ; Narco Traficante ; Arms of Stranger). Vraie petite star à Baton Rouge, cette mixtape marque son ouverture vers un public (géographiquement) plus large, notamment grâce aux évidentes influences du rap moderne (Future/Drake/Mike Will) qui s’ajoutent à des racines Louisianaise toujours bien marquées. Son featuring sur la plutôt soporifique tape de Pusha T semble l’avoir aidé à se retrouver dans le radar des médias qui l’ignoraient depuis des années, espérons que cela incite Cash Money à le mettre davantage en avant.

Gucci Mane – Trap God 2 / Young Scooter – Street Lottery

Chroniquer une mixtape de Gucci Mane, c’est un peu comme juger une scène d’un épisode d’une série qui a plusieurs saisons. Etant donné sa personnalité et son œuvre gargantuesque, on se sent toujours obligé de tout replacer dans un ensemble, de comparer avec ce qu’il a fait avant, d’en tirer des conclusions sur ce qu’il sortira ensuite, etc.
On manque encore un peu de recul pour dérusher complètement Trap God 2. Ce qui est sûr c’est qu’elle est supérieure au premier volume et qu’on y trouve quelques un des meilleurs titres de Gucci des dernières années. Moins de featurings et de prods farfelues, ce qui laisse plus de place à Gucci Mane pour mettre en valeur son écriture et son phrasé. Et une nouvelle fois, Lex Luger y apparaît comme un producteur injustement sous-estimé, en dépit de sa surexploitation depuis 2010. Il serait temps qu’en dehors de Gucci et Waka, les rappeurs et le public comprennent qu’il ne sait pas faire que des imitations d’Hard In The Paint (cf. Scholar).

Si sur Trap God 2 Gucci fait plus appel à Zaytoven que lors de ses 3 derniers projets, c’est peut être lié au retour en grâce que lui a offert Young Scooter. Sur Street Lottery, Scooter est aller puiser dans le fin fond des trips du producteur originaire de la Bay Area, pour construire un projet autour des sonorités qu’il développe depuis So Icy. Le retour à une trap music autant conduite par une belle mélodie que par ses bass de club et ses snares de TR-808. Et un grand merci pour  avoir sorti du formole ce Mase encore affamé.

« They shot my homie for nan, killed my homie for nann. I smoke blunts everyday to try to wish it didn’t happen, but I can’t bring him back because I’m only mortal. People think I’m a god, but to me, I’m only normal. »

Si un jour Gucci, Wooh et Waka se décident à faire un album ensemble en hommage à Slim Dunkin, je pense pouvoir régler tous les problèmes liés au manque d’eau sur Terre, avec mes larmes.

Mouse On Tha Track – Millionaire Dreamzzz / Drama Boyz – We About Dat Drama / DJ B-Real – Pay Da Producer Vol.1

Avec son rythme de deux mixtapes par an, Mouse On Tha Track est aujourd’hui le membre de la Trill Fam le plus productif. Etant donné que Lil Boosie est toujours en prison, que Lil Phat a été assassiné l’an dernier, que Webbie est paresseux, c’est vrai que c’est pas ce qu’il y a de plus difficile, mais heureusement que Mouse et Foxx sont là. Par contre, continuer a entretenir la légende Trill Fam avec autant de projets de qualité, dans un contexte compliqué à plus d’un égard, c’est un vrai tour de force.
L’exosquelette de Millionaire Dreamzzz est toujours fait de la traditionnelle Bounce music Louisianaise, ses beats pleins de claps, de cowbells et de bass bondissantes, qui arriveraient à faire danser le cadavre paraplégique de Christopher Reeve tellement le niveau de fun est élevé.
En tant que rappeur Mouse ne cesse de progresser. Sa personnalité s’affirme et son flow chantonné s’accorde de plus en plus à ses beats pour faire de lui un véritable rappeur et plus seulement un producteur qui rap. Enfin, toutes mixtapes possédant un couplet de Mystikal devenant automatiquement « indispensable », c’est faire une grosse erreur que de passer à côté de Millionaire Dreamzzz.

B-Real est un nom que les fans de Lil Boosie connaissent bien. Pour les autres, ne le confondez pas avec le MC au nez bouché de Cypress Hill, DJ B-Real est avec Mouse On Tha Track un des producteurs les plus utilisés par Boosie et la Trill Fam. Et comme Mouse, il est aussi parfois rappeur sur ses propre prods.
Sur des bases bounce, B-Real rajoute toujours à ses beats une idée ou un élément fun supplémentaire : une flute, un air de steel-drum, un sample hyper-grillé, le son d’un lit qui grince, des bruits d’animaux, etc. Tout pour qu’au bout de ses projets vous ayez la pêche et la banane (Cinq fruits et légumes par jour).
Quand il est accompagné des rappeurs Infa Red et Nephew, B-Real devient membre des Drama Boyz. Leur album We About Drama est à priori disponible à Baton Rouge depuis un an, mais il a fallut attendre début février 2013 pour le trouver sur internet, grâce à l’upload du célèbre bloggeur local Frankie Tha Lucky Dog (15$ la review de votre mixtape si vous n’êtes pas de Baton Rouge).

Sleepy Brown – ATL = A Town Legend

Après une intro en spoken-words du poète Big Rube, à moins d’avoir découvert la musique d’Atlanta avec des merdes comme « All Gold Everything », vous savez tout de suite où vous êtes. Pas une once de nostalgie ou de respect mal placé dans mes propos : cet EP est vraiment très bon. Sur sept titres à peine, Sleepy Brown puise dans tous ses vieux amours: soul, funk, country, rap, avec toujours ce savoir faire qui lui permet de faire dans des « vieux pots » quelque chose qui sonne encore actuel. Un peu de Curtis Mayfield, de Barry White via un featuring de son fils, de vieille campagne d’Atlanta, pour une ambiance rappelant autant la Blaxploitation comme quand elle remise à neuf par Tarantino que tout le vieux Sud des USA.
Aucune idée si l’album « Sex, Drugs & Soul », annoncé depuis plusieurs années, est toujours d’actualité, mais on a qu’une envie après cet EP, c’est d’en entendre plus. Si Big Boi souhaite arrêter ses conneries pour hipsters avec Chris Carmouche, qu’il soit bien avisé que Pat Brown est toujours chaud, chaud, chaud.
Un peu triste qu’un si bon EP, usiné par l’un de ceux qui a aidé à placer Atlanta sur la carte du rap, soit totalement ignoré…

J’ai aimé aussi : F.B.G. The Movie ; Cops & Robbers ; Gift Of Gab 2 ; Goldenheart

PBS’ FRESHMEN 2013

Comme vous le savez peut-être, ou pas, tous les ans le magazine XXL nous sort une couverture un brin frelatée mettant en avant ce qu’ils considèrent être les 10 nouveaux rappeurs qui vont marquer les années à venir. Ils se sont très souvent trompés, être sur cette couverture n’apporte absolument rien aux rappeurs en question, bref, c’est en général un vrai non-évènement, mais il faut avouer que l’exercice est amusant. Donc vous l’aurez compris, pour faire comme l’ami Nemo, voici ma liste.
Il est difficile de comprendre comment XXL choisit ses rookies, certains ont parfois des années de carrière derrière eux quand d’autres semblent avoir été sortis d’un chapeau magique. Moi, je vais essayer de ne pas mettre des rappeurs qui, même s’ils n’ont pas encore totalement explosé et qu’on entendra beaucoup parler d’eux en 2013, sont quand même là depuis assez longtemps pour avoir plusieurs projets et un vrai succès d’estime. Donc, j’élimine à contre coeur King Louie, Fat Trel, Gunplay, Schoolboy Q, Ab-Soul et Earl Sweatshirt, qui même s’ils franchiront de toutes évidences un cap cette année, sont connus de trop gens, depuis trop longtemps, pour être considérés comme des rookies.

Shy Glizzy (D.C.)
Ressemble à : Lil Wayne
Taux XXL : 18%
A écouter : Fxck Rap / Law

Signé sur MMG à l’été 2014 si quelqu’un l’aide à progresser d’ici là. (Vas y Gunplay apprend lui ces choses). Je vous vois déjà froncer le naseau mais prenez le temps de vous habituer à sa voix. Comme beaucoup de jeunes rappeurs sur ce créneau, il a de toutes évidences été élevé en écoutant aussi bien Lil Wayne que le Brick Squad, mais il est un des rares à ne pas en avoir capter que des sonorités et des gimmicks, mais aussi leur humour plus subtil qu’il n’y parait.

Ice Burgandy (Los Angeles)
Ressemble à : Inglewood Brick Squad.
Taux XXL : 0%
A écouter : Progress Involves Risks Unfortunately

Cf. ce que j’en disais dans ma récap de l’année 2012.

Young Scooter (Atlanta)
Ressemble à : Rocko/Future.
Taux XXL : 45%
A écouter : Street Lottery

Ma chronique de sa dernière mixtape sur DumDum.

Young Thug (Atlanta)
Ressemble à : Lil Tunechi encore affamé.
Taux XXL :  50%
A écouter : I Came From Nothing 2

Imaginez qu’au lieu de devenir une version trisomique de lui même, Lil Wayne soit mort juste avant le Carter III, que des scientifiques l’aient cloné et fait grandir l’embryon dans la maman de Nayvadius Wilburn. Imaginez maintenant que cet enfant ne sache pas quoi faire de son talent, mais que le Trap God décide de l’aider à trouver ce qu’il pourrait bien en faire. Et bien cette histoire est réelle, c’est celle de Young Thug.

Kevin Gates (Baton Rouge)
Ressemble à : Young Bleed/Drake avec une paire de couilles.
Taux XXL : 10%
A écouter : The Luca Brasi Story

J’avais dressé son portrait y’a 3/4 mois sur ma chaine Def Jam.

Jose Guapo (Atlanta)
Ressemble à : Ghetto Travis Porter.
Taux XXL : 45%
A écouter : Cash Talk 3

Ancien membre du trio Rich Kidz, il traine aujourd’hui dans les pattes de Shy Glizzy, Young Scooter et Young Thug, avec qui il partage des couplets et des producteurs (Will A Fool, Zaytoven, Nard N B, 808 Mafia…).

Alpoko Don (Greenville)
Ressemble à : A capella Scarface
Taux XXL : 0%
A écouter : The Ol’ Soul EP

Je vous renvoie à ce que j’écrivais récemment à propos de lui sur  le site de Def Jam.

IamSu! (Richmond)
Ressemble à : Fils caché d’E-40
Taux XXL : 60%
A écouter : Kilt!

Depuis que des enfants de Los Angeles se sont appropriés des trucs de la Bay pour en faire des hits internationaux, on dirait bien qu’il va être possible pour des rappeurs de là bas d’avoir l’exposition qu’ils méritent. IamSu! devrait être le premier.

Ty Dolla $ign (Los Angeles)
Ressemble à : DJ Quik ratchet
Taux XXL : 50%
A écouter : Beach House

Est-ce que c’est un chanteur qui rap ou un rappeur qui chante, j’en sais rien et je m’en fiche complètement. Non seulement ses refrains sont imparables (et déjà pompés par les stars du R’n’B) mais en tant que producteur il est avec Cardo l’un des meilleurs à entretenir une flamme Cali-funk, en la transformant en quelque chose de plus moderne et sensuel.

Problem (Los Angeles)
Ressemble à : Tyga en mieux, avec 20 kilos de plus.
Taux XXL : 40%
A écouter : Welcome To Mollywood 2

Bonus onzième homme :

PeeWee Longway (Atlanta)
Ressemble à : Gucci Mane
Taux XXL : 0%
A écouter : M.P.A.

C’est mon pari. Je n’ai entendu que quatre couplets du gros PeeWee mais je suis déjà fan. Il rap vraiment comme un mini Gucci Mane, qui d’ailleurs l’a pris sous son aile. Ils ont un projet en duo dans les cartons qui s’annonce plein de jeux de mots et de métaphores cartoons pour parler de drogues et d’armes à feu. Le Brick Squad c’est comme No Limit, ça ne meurt JAMAIS.

Mais bon, tout ça n’est qu’une liste de noms, de jeunots qui ont encore beaucoup de choses à prouver. N’importe quel couplet de Gucci, Gunplay, King Louie, Fat Trel, Mystikal ou Starlito aura infiniment plus d’intérêt que des albums entier de ces petits gars. Enfin, comme chaque année depuis que ma mère a perdu les eaux, la seule chose que j’attend c’est de pouvoir mettre mon exemplaire de Medellin dans le mange disque de ma Bugatti Veyron Super Sport. S’il m’arrivait de prendre une balle perdue avant le jour j, merci de m’enterer nu avec un exemplaire du futur meilleur disque de l’Histoire.

Free Boosie, Free B.G., Free Max B, Free C-Murder, Free Armstrong, R.I.P Tim Dog.

Illustrations : Hector de la Vallée

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En évoquant la ville d’Orlando en Floride, ce sont souvent les mêmes images qui reviennent. Certains se figurent ses gratte-ciels en centre-ville, bordés de bars branchés et de salons de tatouages, quand d’autres pensent d’abord à son équipe de basket qui évolue depuis une vingtaine d’années en NBA.
Ce qu’on retient avant tout d’Orlando, ce sont bien sûr ses parcs d’attractions : Sea World, Universal Resort, Lego Land, Tampa Bay et évidemment l’immense parc Disney qui s’étend sur plus de 30 000 hectares.
Entre le soleil, les stars NBA et les personnages de dessin animés, Orlando s’est donc forgée une image de ville féérique afin d’accueillir les touristes du monde entier. Une féérie en réalité bien fragile, autant que les chevilles de Penny Hardaway, et les décors en carton-pâte du château de Mickey ne font que cacher les stigmates de la crise économique. Autour des parcs, les employés vivent dans des motels qu’ils paient au jour le jour, quand ce n’est pas simplement dans leur voiture qu’ils dorment après avoir rangé leurs uniformes et leurs grandes oreilles.
Un peu plus loin, ceux qui n’ont même pas accès aux emplois Disney habitent des quartiers qui n’ont rien à envier à certaines villes du tiers-monde. Bref, Orlando est la reine du paraître et du faux-semblant, alors forcément, comme ce sont les spécialités de bon nombre de rappeurs, on se dit qu’elle a tout pour être une grande ville de rap.

Dans leurs histoires racontées à la première personne, la question de savoir si les rappeurs fabulent ou nous disent la vérité revient souvent. En général on ne sait pas ou on ne préfère pas savoir, et dans le meilleur des cas l’interprète est assez bon pour sonner comme quelqu’un qui a tout vécu, éludant complètement la question.
Dans les cas où il y un décalage, faire la séparation entre un rappeur, son discours, et la personne qui se cache derrière, pourrait revenir à la séparation faite naturellement entre un acteur et son rôle. La vie menée par Al Pacino n’enlève rien à celles de Michael Corleone ou Tony Montana, et celle de Williams Robert n’empêche pas la musique de Rick Ross d’être ce qu’elle est. Pourtant, le second se voit sans cesse reprocher de ne pas vivre ce qu’il rappe.
Le « pacte » implicite passé entre un rappeur et le public est donc différent de celui passé par un comédien, et il est problèmatique de procéder à cette séparation entre rôle et acteur. Comme si nous devions constamment être dans le film.
Les artistes doivent jouer avec ça, rester cohérent avec leur personnage, jusqu’en interview et dans toutes leurs apparitions publiques. – Quand ils jouent un rôle en tout cas, parce qu’il se peut que ce ne soit pas le cas. –
Toujours paraître « vrais » tout en étant dans la suspicion perpétuelle, voilà dans quoi sont empêtrés beaucoup de MCs. Et si ce constat peut être étendu à une majorité de rappeurs, une difficulté supplémentaire s’ajoute pour ceux qui, en plus, célèbrent des modes de vie illégaux. Beaucoup légitiment leurs propos en évoquant une vie passée, et peuvent ainsi rester « vrais » tout en évitant la prison. Mais il y a aussi ceux qui nous assurent que cette vie de criminel, ils la vivent encore. Pour ceux là, French Montana a résumé leur situation sous forme de conseil :

« Don’t call yourself a coke boy and still sell coke. »

Orlando la factice ne nous a pas déçu : En 2012, ses rappeurs ont plus que n’importe quels autres joué avec les faux-semblants, jusqu’à faire complètement exploser les fines frontières entre fiction et réalité. Et en plus, parce que ça reste quand même le principal, en ayant produit quelques une des meilleures mixtapes de l’année.

HOUSE ON HAUNTED HILL

Avec la figure omniprésente de Rick Ross, la Floride est habituée aux disques inspirés par le septième art. C’est dans les films de Martin Scorsese, Brian De Palma ou Michael Mann que Ross puise l’inspiration pour sa musique ; rien d’anormal pour quelqu’un voulant se forger un personnage de mafieux que d’aller chercher de la contenance dans l’ambiance et les personnages de ces films. Il est d’ailleurs loin d’être le seul à le faire.
Sur le même principe, le rappeur Armstrong a marqué le début de l’année 2012 avec une mixtape modelée sur le cinéma. Mais pour ce dealer de poudre, pas de références à Tony Montana ou Don Corleone, ses modèles ce sont Michael Myers, Hannibal Lecter et Jason Voorhees.

Comme tous les psychopathes et vilains de slashers, Armstrong possède son histoire expliquant les origines du mal.
Jabarus Nathan est né il y a trente ans sous un soleil rouge, sur les collines de Richmond à l’ouest d’Orlando. Très tôt, il entre dans les trafics en tout genre, et à 12 ans il est arrêté par la police, les poches pleines de cocaïne pure. A défaut de finir derrière les barreaux, il s’en tire avec un tabassage en règle et une haine décuplée pour l’ordre et l’uniforme.
Sa survie dépendant entièrement de ce commerce, il n’a pas d’autre choix que de continuer à vendre des cookies et des briques à l’angle des McDonalds. S’ajoute à ça les cambriolages, les vols de véhicules, et à 13 ans Jabarus est un membre des bloods à plein temps. Chaque année il gravit la hiérarchie du gang, au grès des allers-retours en prison et à l’hôpital, jusqu’à devenir un des gangsters les plus connectés de l’état de Floride.

A Orlando, Jabarus est craint pour son extrême violence et son absence totale de pitié. C’est aussi la balle logée dans son bras qui l’a rendu célèbre. Retrouvée là à la suite d’une fusillade, cette balle n’a qu’à moitié paralysé son bras gauche, d’où son surnom de « Strong Arm », celui qui stoppe les tirs avec son biceps.

Le rap, Armstrong s’y est aussi mis jeune, juste après avoir été viré de son collège pour y avoir introduit plus de drogue que vous n’en consommerez dans toute votre vie. Il sort quelques projets en 2005, mais rien qui ne résonne au delà des sous terrains d’Orlando. Puis en 2007, Jabarus Nathan prend dix ans de prison pour un braquage à mains armées.
L’histoire aurait pu se terminer là. La trajectoire, classique, d’un jeune gangster qui termine sa vie en enchainant les longues peines. Mais durant son enfermement, Jabarus aura droit à la visite de quelques un de ses anciens camarades de rue et de rap, notamment le dénommé Mook Boy.
Ce dernier rapporte à Strong que depuis qu’il est en prison, ses mixtapes sont devenus des petits classiques à Orlando, et qu’il tient, avec le rap, un bon moyen de faire beaucoup d’argent légalement.
Alors quand à la moitié de sa peine, en 2011, il est libéré, Armstrong décide de laisser sa vie de criminel derrière lui, afin de s’occuper comme il faut de ses quatre enfants et de sa carrière de rappeur déjà pleine de promesses.

SILENCE OF THE LAMBS

C’est en début d’année 2012 que sort Silence Of The Lambz, mixtape inspirée par le film de Jonathan Demme. Armstrong y performe la musique de gangster qu’il met au point en secret depuis maintenant quelques années, pleine de récits de têtes explosées, de conseils pour faire de l’argent facile, de cuisson de drogues et de tous les détails croustillants qui animent la vie d’Orlando. Mais la vraie vie d’Orlando, celle qui est cachée derrière les oreilles du Mickey.

« I’m sick of people talking about us like we’re all some happy ass kids going to Disney and Universal. Fuck That. »

Armstrong s’inspire de sa vie passée pour rétablir la vérité. Et comme pour contrebalancer avec la niaiserie de Disney, c’est avec plus d’agressivité, d’énergie et de folie que quiconque qu’il raconte les coulisses d’Orlando. Avec sa voix rauque, son flow gorille, parfois crié, et ses adlibs, rappelant son voisin Plies ou l’Orléanais Juvenile, il arrive à nous convaincre qu’il n’y a absolument rien de magique dans sa ville.
Au bout du disque, grâce à une interprétation sans retenue, le personnage créé par Armstrong fait passer Hannibal Lecter pour le chien Pluto. Il n’y a plus que ses enfants, sa mère et Dieu qui semblent capables de contenir son désir de destruction.

Des films d’horreurs des années 80 et 90, la mixtape emprunte aussi quelques samples issus des soundtracks. Et même quand la mélodie est originale, elle reste très inspirée par la musique de film d’horreur, avec des boucles de piano entêtantes de trois notes ou des sifflets venus d’outre-tombe. Le tout habillé avec les snares du découpeur de drogue, de variations à la flute, au violon, de synthés joués par le diable et vous obtenez un slasher mp3 dans l’univers des maisons pièges, où la vente de drogue accompagne le découpage des corps.
Le choix de beats est pour beaucoup dans la réussite du projet. Les samples et les mélodies synthétiques très lentes couplés à des bass soit très lourdes, soit plus rapides, aident à faire naitre l’ambiance oppressante et sont terrains de choix pour le rap tank, lent mais puissant, d’Armstrong.

Avec ce genre de street rap plein d’adlibs, on est tenté de comparer Strong à un Waka ou un Keef, avec des WAMP WAMP en lieu et place des POW POW et des BANG BANG. En réalité le rap d’Armstrong n’a pas grand chose à voir avec celui des deux gamins. Plus mature, plus écrit et finalement moins dans l’energie brut, Armstrong impose son charisme d’avantage grâce aux images qu’il additionne au fil du morceau. Pendant les couplets, ces images paraissent parfois complètement aléatoires et déconnectées, puis les refrains viennent les lier les unes aux autres pour qu’apparaisse une peinture plus claire… nous mettant un peu dans la position d’une Clarice Starling essayant de décrypter la psyché d’un Hannibal Lecter.

Tout juste après Silence Of The Lambz, Armstrong lance la promotion de Kold World Kold Blood, projet contenant une mixtape et un reportage sur sa vie. 645, premier single construit autour d’un sample hypnotique de Van Halen, devient rapidement un tube dans les rues d’Orlando. Dans les rues, mais nul part ailleurs pour l’instant, les DJ refusant de jouer la musique d’Armstrong, la jugeant beaucoup trop violente…

PHANTASM

Bien qu’il paraisse plus violent et cru que les autres, Armstrong laisse entendre que le quotidien qu’il décrit dans ses chansons est derrière lui. Il s’en défend ouvertement en interview, l’évoque parfois brièvement au court d’un couplet, aujourd’hui sa vie n’est dédié qu’au rap et à ses enfants, même s’il ne renie rien de son passé et continue de glorifier ceux qui poursuivent cette voie.

Ce comportement, ainsi qu’un certain nombre de rumeurs à son sujet, ont jeté le trouble dans le public de Strong. Pour beaucoup, il ne fait aucun doute qu’il n’a pas vécu ce qu’il raconte. Au mieux, ce qu’il connaît de l’univers des trafiquants de drogue serait lié à son passé d’indic pour la police. Sa libération après seulement cinq ans sur les dix prévus par sa peine, n’aura fait que jeter d’avantage d’huile sur le feu, et ses beefs avec d’anciens partenaires comme Mook Boy continueront d’alimenter ces rumeurs. Même l’histoire de son bras paralysé par une balle parait louche quand on le voit l’agiter sans problème dans ses clips… Alors, il n’existe pas une vidéo youtube sans commentaire à ce sujet ou de topic de forum sur lui qui ne tourne pas autour de cette question : Armstrong est il un menteur ?

Comme pour sceller à jamais le mythe de sa vie de gangster, Armstrong décide d’accompagner la sortie de sa mixtape suivante d’un DVD racontant sa vie. Ultime tentative d’imposer sa vérité, et dernier rempart anti-démystification.

En parallèle, la musique de Strong commence à faire le tour des Etats-Unis, et convainc non seulement le public, mais aussi quelques maisons de disques. Quatre labels seraient prêts à enrôler l’Hannibal Lecter du rap jeu. On parle de DTE, SODMG, mais aussi de MMG avec qui il multiplie les rencontres à Orlando. Et pour convaincre de tels mastodontes de l’industrie, Armstrong a quelques armes secrètes, comme un album qui serait déjà prêt, avec notamment un featuring de Future et un single en duo avec le légendaire Cam’Ron produit par Bangladesh.

MEET THE FEEBLES

L’ambition d’Armstrong, ce n’est ni plus ni moins que de devenir le nouveau Master P, d’arriver au sommet avec sa structure, ses partenaires et ses millions. Il crée alors Fly Boy Entertainment avec Killa Creepa, renommé F.B.M.L.E. suite à la fusion avec Moses Law Entertainment de son associé Flav Rock.

Killa Creepa et Flav Rock font partie d’une cohorte de rappeurs originaires d’Orlando aussi énervés qu’intéressants à suivre. Ajoutez-y Mook Boy, Giulio 4 ou Haitian Fresh du BSM et vous obtenez une des villes qui a été la plus productive ces deux dernières années dans l’underground, derrière la chouchou de la presse Chicago.

Killa Creepa, bras droit de Strong avec qui il forme les Titus Boys, est sur le même crédo que son collègue : Violence et récits crus, mais contés sur des rythmes plus traînants, et d’avantage marqués par les sonorités de leur Haïti natale.
Flav Rock, aka The Black Jimmy Coonan, a du se faire les dents en or sur les disques de Trick Daddy. Ne vous laissez pas berner par son humour un peu particulier, il n’est pas moins dangereux que les autres.
Giulio 4 est quant à lui le secret le mieux gardé d’Orlando. Sur « Offshore Exchange » il a su capter comme personne les atmosphères de la Yacht Music. Rappant sur la musique smooth qui sert à ambiancer les bars chics d’Orlando et d’Ibiza, il préfère parler du côté faste de la vie de gangster, en citant les marques d’alcool et de tissus les plus chers de la planète, avec une attitude qui rappelle parfois le jeune Shawn Carter.

IN THE MOUTH OF MADNESS

Kold World Kold Blood, comme toutes les suites de film d’horreur, n’est pas forcément meilleure, juste plus spectaculaire et violente. Les « pussy ass niggas » y sont déchiquetés à la pelle, et Armstrong arrive à y surpasser le niveau de brutalité de Silence Of The Lambz. Avec ce nouveau succès d’estime, une équipe plus installée que jamais, des labels qui lui tournent autour et un DVD dont les quelques extraits lachés font trembler la Floride, tout semble parfaitement aligné pour qu’Armstrong passe au niveau supérieur.
C’était sans compter sur la présence du F.B.I. dans l’équation.

Le 24 octobre 2012, la Floride entière a pu découvrir qui était Armstrong, puisque ce matin là, c’est sur son visage que le journal ouvrait.

« One of the most violent, sophisticated gangs in Central Florida — responsible for hundreds of crimes including homicides, drug trafficking and identity theft — was dismantled Wednesday with the arrests of nearly two dozen members.

Local, state and federal authorities built a racketeering case against 33 members of the Bloods and local sets of the street gang, including the Mohawk Boys, the Bullet Boys, the Fly Goons Lumberjacks and the Marlin Boys. »

Depuis plusieurs mois, le F.B.I. travaillait sur l’opération baptisée « Strong Arm », visant à mettre derrière les barreaux quelques un des gangs les plus violents de l’Est Américain, et en particulier l’homme a leur tête : Jabarus Nathan a.k.a Armstrong.

Le coup de filet est rude pour le rap d’Orlando étant donné que 90% de son contingent apparaît sur la photo ci-dessus. Puis, on se dit que si Armstrong passait son temps à dire en interview qu’il n’avait absolument rien à voir avec le trafic, quand d’autres se débattent comme ils peuvent pour prouver qu’ils sont hors la loi jusqu’au cou, c’est simplement parce qu’il était vraiment le gangster le plus menaçant de Floride. « Don’t sell coke and call yourself a coke boys » hein ?

Crédits :

Texte : NP aka PureBakingSoda
Illustrations :  VM aka bobbydollar

BONUS :

Puisqu’on est en Floride, profitons en pour complèter nos pokedex avec d’autres énergumènes du coin ;

Parce qu’il n’y a pas que FBMLE à Orlando, mais aussi des émissaires de la maison MMG. Cash Chris a été la tentative de Rick Ross d’avoir dans son équipe quelqu’un d’Orlando. A vrai dire, même s’il se fait très rare depuis trois ans, il semblerait qu’il soit toujours signé sur MMG. Il a simplement grandement souffert du mercato 2011, avec le passage de Pill, l’arrivée de Meek Mill, puis de la montée en puissance de Gunplay. Tout ça le relégant à jamais au rang de simple porteur d’eau, le voilà juste utile à retweeter les mixtapes des copains.
Sans avoir le talent des rappeurs sus-cités, on se dit qu’il est quand même dommage que ce Cash Chris soit porté disparu, puisqu’avec le départ de Pill il n’y a pas de trappeur dans la plus pure tradition du genre chez MMG. Il est par ailleurs intéressant de remarquer que, contrairement à l’appellation qui ne cesse d’être utilisée à tors et à travers, le genre trap reste relativement absent des gros labels rap (excepté un ou deux rappeurs d’Atlanta, et encore, puisque ce sont sur d’autres types de titres qu’ils comptent pour vendre des disques).

Je ne sais plus où, mais je me souviens avoir lu ou entendu un jour que l’on pouvait faire un lien entre la caricature du rap d’une certaine zone et la façon dont les habitants de cette zone aimaient l’arpenter. Ainsi, le rythme du boom-bap new yorkais se calerait sur celui des métros, quand les lentes sirènes g-funk rappelleraient les longs trajets en voiture obligatoires quand on vit à L.A.
En suivant cette idée, on s’imagine qu’en Floride les gens se déplacent peu, qu’ils garent leurs voitures en rond sur des parkings, les coffres ouvert en grand pour faire exploser des kilos de bass.
Evidemment je suis en train de raconter n’importe quoi, si ce n’est que, ce qui est bien typique du rap de Floride, ce sont ces bass qui viennent faire résonner vos cages thoraciques par l’intérieur. C’est pour ça qu’aujourd’hui le vrai rap Floridien ce n’est pas MMG mais Big Gates Records, les cris de Plies et XTra, et leurs prods qualité diamand qui vous arrachent les plombages si vous les jouez aux dessus des normes de décibels autorisées.

Crédits :

Texte : NP aka PureBakingSoda
Illustrations :  VM aka bobbydollar

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Je n’ai pas vu le dos de mes paupières durant ces 72 dernières heures, occupé à réaliser cette liste des trente meilleures performances rap de l’année. Exhaustivité, objectivité et intransigeance ont été les maîtres mots de mon exercice. Sur la base des 16458 mp3 mis à disposition par l’internet rap cette année, j’ai donc éliminé les titres un à un, jusqu’à arriver à cette liste finale de trente. La voici en exclusivité mondiale.

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