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Passant par le milieu de Magnolia Street pour la couper en deux, Valence Street est une rue qui traverse le 13ème District de la Nouvelle-Orléans. Elle est aussi le territoire du V.L. Posse, un gang qui braque les passants et deal de la poudre.

Tout porte à croire qu’un membre du Posse a assassiné le père de Christopher « Doogie » Dorsey. Sans domicile et orphelin, Christopher arpente Valence Street de long en large, vivotant de petites arnaques et de la vente de crack et de marijuana. Il se réserve l’héroïne pour que les nuits dehors paraissent moins longues.

La consommation d’opiacés affecte et modifie progressivement sa voix. Après cette seconde mue, ses cordes vocales sont constamment au bord de la rupture, grinçant comme si elles avaient trempé dans la vase. Son timbre est rocailleux, vicieux, sale, quand il parle, on entend la voix d’un gosse qui a bu tout le Mississippi.

Doogie met à profit cette voix en racontant sa vie, et le meurtre non élucidé de son père, dans les soirées rap de la ville. Lors de l’un de ses concerts, il fait la connaissance de Terrance « Gangsta » Williams, figure du proxénétisme et du trafic de drogue orléanais, qui à coup de centaines de milliers de dollars, vient d’aider ses demi-frères, Ronald et Bryan, à monter un label de rap : Cash Money Records.

Dès juin 1994, Christopher « Doogie » Dorsey est hébergé par la famille Williams. Bryan et Ronald Williams ne lui réclament aucun loyer parce que c’est sa voix qu’ils veulent. Ils aimeraient envoyer les graviers du fond de sa gorge sur les ondes radios, pour les faires revenir dans leurs poches, transformés en billets verts.

Cet été là, Cash Money traine dans ses pattes un second gamin d’à peine douze ans : Dwayne, dit « Baby D ». Ce gremlins imberbe et chétif a forcé les portes du label avec l’aide d’un autre artiste, Lil Slim, et a obtenu un contrat grâce à un freestyle ininterrompu de dix minutes, qui a hypnotisé les membres de Cash Money Records lors d’une séance de dédicaces.

Doogie et Baby D sont « B.G.z », les « Baby Gangstaz », un nom de duo choisi en hommage à Terrance « Gangsta » Williams, ce demi-frère crapuleux qui a financé l’affaire de Bryan et Ronald.

Les bébés gangsters enregistrent des titres comme From Tha 13th To Tha 17th, célébrant Valence Street et Holygroove, le quartier d’origine du petit Dwayne. Les productions assurées par Mannie Fresh, virtuose du Triggerman et de la TR-808, aident les textes naïfs à devenir dansants, et à séduire les rues orléanaises.

Sur True Story, premier et unique album des B.G.z, Baby Dwayne n’apparaît que sur deux des huit titres, amorçant la transformation du duo en groupe d’un seul homme. Grâce au succès de True Story, le nom des B.G.z reste coller aux basques de Christopher « Doogie », qui est lentement et naturellement devenu « B.G. ».

Apeurée par ce qu’il pourrait advenir de son fils s’il traine d’avantage avec les Williams et cet adolescent héroïnomane, Cita retire Dwayne Jr. de Cash Money Records pour le renvoyer sur les bancs de l’école.

Le 7 mars 1997, Reginald « Rabbit » McDonald décède à l’âge de 26 ans. Le beau-père de Dwayne était un enfant, qui laisse derrière lui un autre enfant, orphelin pour la énième fois de sa vie. Pour la première fois Dwayne a le sentiment d’avoir perdu un père, à qui il dédie son tout premier tatouage. Il endosse alors le rôle de chef de famille et envisage de faire des pots-pourris de fleurs séchées, en espérant pouvoir gâter sa mère.

En entrant dans la chambre de son fils, Cita le surprend en train de glisser le Taurus Ragging Bull de Rabbit dans son sac d’école. Elle réalise sur quelle pente Dwayne est en train de se laisser rouler, et que quoi qu’il fasse, où qu’il aille, s’il reste dans ces quartiers de la Nouvelle-Orléans, il ne pourra que se faire broyer par son implacable machine infernale. Deux, trois coups de téléphones plus tard, elle revient voir son fils pour lui annoncer sa décision :

« Tu n’ira plus à l’école. Tu retournes chez les frères Williams. »

illustration : Hector de la Vallée