Jayz

Au printemps 2005, en pleine session d’enregistrement du deuxième Carter, Lil Wayne reçoit un appel anonyme. « Je te vois. », dit son mystérieux interlocuteur avant de raccrocher. Wayne retourne en cabine en ayant du mal à dissimuler son excitation : il a reconnu la voix de Jay-Z.

Lil Wayne est tout proche du sommet. Mais seulement proche. Sur le pic de la montagne, il n’y a qu’une seule place, et pour beaucoup, dont Wayne, c’est le new yorkais Jay-Z qui l’occupe à cette époque. Façon d’afficher son envie de régicide, Wayne multiplie les références à Shawn « Jay-Z » Carter dans ses textes, et appelle ses albums Tha Carter, comme pour insinuer que s’il porte le même patronyme que le Roi, c’est signe qu’il en est son successeur.

Quand sort Tha Carter en 2004, Lil Wayne raconte que c’est une référence à la cité Carter du film New Jack City. Mais tout le monde comprend qu’implicitement, ce titre signifie qu’il ne peut en rester qu’un.

Une dernière fois produit par Mannie Fresh, Tha Carter est autant le quatrième album de Lil Wayne que son véritable premier. Après dix années de chrysalide, le papillon éclos enfin, il est Juvenile, B.G. et Turk à la fois, même un peu plus encore. Et grâce à son fils prodigue, c’est tout Cash Money qui entre dans l’âge adulte tout en gardant une rage adolescente.

Mannie Fresh mélange tous les types de guitares, les saveurs country à quelques démences synthétiques, et réussit le tour de force de rendre le son du label à la fois plus ostentatoire et glamour, classe et décrassé. Dans cette fête accessible à tous, Lil Wayne devient virtuose, aussi drôle qu’émouvant, et laisse transparaitre quelques bribes de ce monde sans limite qu’il cache dans sa tête : à peine l’introduction terminée, il a déjà épousé une reine vaudou et dépassé la chaleur du soleil en planant au dessus des pélicans louisianais.

Une chanson clôt la première partie de sa carrière, hommage poignant d’un enfant, qui après être arrivé au niveau de ses grands frères, s’apprête à les surpasser : I Miss My Dawgs. Chaque couplet est dédié à un ancien Hot Boy$ à qui Lil Wayne rend tout ce qu’il lui a apporté. L’époque où ils chantaient Bling Bling tous ensemble, où Dwayne était leur mascotte, paraît terriblement lointaine. Little Wayne est devenu grand.

Lil Wayne ne prendra jamais la place de Jay-Z, pour la simple raison que ces deux artistes n’ont rien à voir. Parallèle au rap orthodoxe relatant l’American Dream de Jay-Z, Lil Wayne développe un univers beaucoup plus imagé. Son écriture automatique mélange des éléments du réel à des fantasmes ésotériques, et fusionne le matérialisme au surréalisme. Dans son monde, la tristesse d’une enfance défavorisée côtoie la joie que procure un plongeon depuis les étoiles, et les billets de banques prennent vie en tombant du ciel.

Plutôt que rivaux, et si les deux Carter devenaient alliés ? Il y a vraisemblablement eu une tentative de rapprochement puisqu’un soir, en plein concert, Lil Wayne annonce qu’il quitte Cash Money pour rejoindre Roc-a-fella, le label de Jay-Z.

Birdman ne conçoit pas de perdre sa meilleure gagneuse, et fait à Lil Wayne une offre qu’il ne peut refuser. Jusqu’alors, il ne voulait pas entendre parler de Sqad Up et de Money Yungin’, mais pris à la gorge par les manigances de Jay-Z, Birdman propose à son « fils » d’être à la tête de son propre label, sur lequel il peut signer ses amis et les artistes de son choix… à condition de rester ad vitam æternam chez Cash Money Records.

Avant l’été 2005, les premières pierres de Young Money, un des labels les plus fructueux de l’histoire du rap, sont posées. Son rêve va se réaliser, Lil Wayne est aux anges.

Une joie de courte durée.

« Est-ce l’Apocalypse ou un exercice incendie ? J’ai vu un papillon mourir en enfer aujourd’hui. »

illustration : Hector de la Vallée

1 comment

mars 26th, 2020

[…] relisant ton article « This is Tha Carter (Chapter IX) » on s’aperçoit que Lil’Wayne était aussi un fan. Notamment de Jay-Z. Tu le décris comme […]

leave a comment

you have to be logged in to post a comment.