rxpapi

Rx Papi découpe sa musique en chansons mais son oeuvre pourrait n’être qu’un seul et unique flux continu. En prenant au hasard n’importe lequel de ses titres, on se trouve face à l’humeur dans laquelle il était précisément au moment de son enregistrement, à l’entendre régurgiter ce qui lui passait alors par la tête. Le suivre est comme assister en direct à un plan séquence infini, avec tout ce que cela implique d’imprévisibilité, d’inconstance, de chaos, mais aussi de moments involontairement drôles ou touchants, que permettent une improvisation et un lâcher prise total.

Sa manière de rapper accentue cette impression de mouvement permanent, avec des fins et débuts de lignes qui s’enchainent en se superposant, faites d’images, d’attitudes, qui se suivent en se chassant les unes après les autres, parfois sans logique apparente. Ce rap automatique et engloutissant, qui comme toujours va de pair avec une productivité gargantuesque, est un héritage de Lil B, dont Rx Papi est, sous bien des aspects, un descendant direct. Dans sa manière de rugir ou de chanter en râlant sous l’auto-tune, on entend aussi Chief Keef et ses mélodies, une autre inspiration finalement peu surprenante pour un rappeur de sa génération. Ce qui, entre autres choses, le différencie de la masse, est ce qui le rapproche de rappeurs new yorkais comme les Diplomats ou, surtout, Max B : un supplément d’âme insaisissable qui brouille sans cesse le ressenti des chansons, qui souvent dégagent une ambiguité affective, pouvant faire coexister la joie et une sensation de tristesse, le sérieux et l’absurde.

Ce sont parfois les productions qui influent sur l’état d’esprit de Rx Papi, et donc qui font germer telle attitude, telle thème, plutôt que d’autres. Sa collaboration avec le producteur Yung Gud fait entrer Rx Papi dans une humeur qui n’est pas si surprenante quand on suit les moindres recoins de sa musique. Déjà, la rencontre en elle-même à quelque chose de logique. D’un côté, un héritier du Based God, de l’autre, l’architecte des Sad Boys. Ces derniers ont parodié le cloud rap de Lil B, Issue, Main Attrakionz, en le vidant de sa substance pour en faire une esthétique creuse, mais doivent à Yung Gud quelques titres imparables, grâce à ses productions inspirées par Friendzone et Squadda B.

Avec leurs samples d’ambient ou de pop, leurs VST émulant les machines moog et leurs souvenirs de bandes originales des jeux Zelda, les producteurs de cloud rap créent des atmosphères nostalgiques. Dans Ocarina Of Time, Link utilisait les mélodies de Koji Kondo pour retourner dans une enfance où tout était plus paisible, plus simple, et c’est certainement un effet cherché par de nombreux artistes du genre, de Main Attrakionz jusqu’à PNL. Cette langueur presque magique existe naturellement dans le son des synthétiseurs analogiques. Dans les années 1970, Mort Garson les utilisait pour faire pousser les plantes, et libérer leur pouvoir de guérison des peines. On raconte que c’est en écoutant ces compos au moog, que Koji Kondo a écrit quelques berceuses pour Zelda, celles qui, aussi, font grandir les arbres en brisant la ligne du temps. Comme ses ancêtres, qu’il essaie régulièrement d’imiter, le cloud rap continue d’aplanir le cercle du temps pour mieux s’y déplacer.

Mais entre les mains de Rx Papi, l’ocarina de Link devient un instrument qui transporte vers une époque douloureuse. Sur Foreign Exchange, les synthétiseurs pourtant frais et légers de Gud déclenchent un orage noir, et font entrer Rx Papi dans une peine acide et absolument bouleversante. Dès l’introduction, il hurle, en évoquant les souvenirs de sa mère maltraitante, d’une maison qui le répugnait, et de tout ce qui a fait que son enfance n’en a jamais été vraiment une. Avec son style habituel, fait d’accumulations incessantes, ses souvenirs finissent par nous écraser. La façon dont ses cris montent crescendo accentue à la fois la tension et l’impression qu’il puise de plus en plus loin pour évacuer les dernières miettes de traumatisme.

Après une telle entrée en matière, la suite ne peut être qu’éclaboussée par une douleur et par une peine si intense. Même les egotrips sont teintés de spleen, Rx Papi ayant beau énumérer ses mille et une façons plus flamboyantes les unes que les autres de “walk in this bitch”, il n’en reste pas moins celui qui vient d’oser cette déchirante mise à nu. L’association avec Yung Gud fonctionne parce qu’il y a dans ses synthés trempés de reverb, comme dans l’essentiel des productions de cloud rap, la même ambiguité que celle traversant l’oeuvre de Rx Papi. On y trouve une tension entre l’apaisant et le déprimé, entre le mélancolique et le réconfortant, qui explique l’envie de s’y confesser en espérant sans doute pouvoir réparer quelque chose.

illustration : Hector de la Vallée