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Sur la pochette de Pullin’ Strings A-Wax pose avec une D’Angelico noire, appartenant probablement à Lito, producteur exécutif du disque et récent acquéreur de la marque de guitares. L’instrument renvoie évidemment au titre mais aussi à l’un des fils rouges de l’album : les cordes. Celles-ci reviennent sans cesse, majoritairement sous forme de guitares électriques, parfois d’un piano ou d’un violon. Cette récurrence, qui participe à la cohésion sonore du disque, n’est pas fruit du hasard puisque le rappeur avait expressément demander à ses producteurs d’utiliser subtilement la guitare. A-Wax ne l’a jamais clairement dit, mais la présence de ces cordes est une des quelques raisons qui ont amené des auditeurs à voir en Pullin’ Strings une suite directe à Thug Deluxe. Les disques partagent en effet une même ambiance musicale, principalement faite de mélodies douces, calmes et mélancoliques. Mais entre ces deux albums dix ans se sont écoulés, et le rap a changé. Lex Luger et la 808 Mafia sont passés par là, et leur patte, qu’on ne présente plus, résonne encore sur Pullin’ Strings. Ce qui n’a pas changé, c’est la manière dont A-Wax s’approprie le son d’une époque, pour le remodeler à son image. Pendant des années, il a été une figure marginale de la Mob Music, une sorte d’outsider de l’intérieur. « One foot in, one foot out ». Aujourd’hui, il occupe de nouveau cette position, en proposant une Trap Music mélancolique et mélodique, quasi opposé sonore de ce qu’était le premier album de son partenaire Waka Flocka.

Cette place occupée par A-Wax renvoie directement à son parcours de vie, celui qu’il raconte dans ses textes et qui lie le fond à la forme de Pullin’ Strings. Il avance seul, parce qu’il reste fidèle à une éthique qui n’est qu’un gimmick pour ses collègues, eux qui ne sont que des lâches et des traitres en puissance. En se présentant comme seul détenteur de vertu, A-Wax s’est créé un personnage d’incompris, presque de prophète sans apôtre. « Even Jesus didn’t have loyal friends » fait il remarquer sur Let It Go. Mais c’est dès l’intro qu’il prend cette stature quasi biblique, quand se mélangent résurrection après trahison, témoignages du mal humain ordinaire (« I seen a man snitched on a man who stole an orange« ) et où les 30 pièces d’argent de Judas sont devenues les humiliants 40$ de l’administration pénitencière. La mélancolie, la trahison, la perte, sont ses muses depuis toujours, mais sur Pullin’ Strings, A-Wax pousse les compteurs jusqu’à se faire personnification de la misanthropie. Et ce n’est sûrement pas un hasard non plus si l’album est absolument vierge de featurings.

En jouant ce rôle de révélateur des tares et contradictions de l’autre, A-Wax s’est souvent imaginé en Freddy Krueger, hantant les cauchemars des rappeurs qui ont des choses à se reprocher. S’il a choisi Krueger plutôt que le Boogie Monster pour dévorer les songes, c’est en référence aux Elm Street Piru, gang qui se nomme comme la rue où se déroule le film de Wes Craven. Plus que son appartenance à tel gang, cela montre l’importance qu’il donne aux détails, et, encore une fois, qu’il ne laisse rien au hasard. Il le faisait comprendre clairement en 2005 en appelant un album Conceptz & Contradictionz (ses (albums) concepts à lui, faces aux contradictions des autres) ou plus subtilement avec la série des Everybody Loves Me, dont les initiales font encore une fois référence à son gang. Le moindre détail semble toujours avoir été pensé dans ses albums, et Pullin’ Strings ne fait pas exception à la règle. L’écriture d’A-Wax y est toujours pleine de doubles sens et d’images à décoder, que ce soient des références aux gangs (« N.A.S.A. like astronauts » qu’on peut aussi comprendre « Ene (N), Ese (S) » pour Nortenos et Surenos), des références cachées à ses beefs avec les rappeurs de la Bay Area ou des hommages pudiques à ses amis, tous morts ou enfermés (Lay Em Down Twice reprend mélodie et refrain d’un titre de son album en duo avec Woodie, décédé en 2007).

Simple d’accès, grâce à ses productions, au flow chantonné et à l’articulation claire d’A-Wax, Pullin’ Strings et donc aussi un album qui se révèle complexe s’y on s’y laisse entièrement tomber. Au même titre que les Kevin Gates, Starlito, et autres Gunplay (pour ne citer que des rappeurs qui ne fâcheront pas Waxfase…) A-Wax transforme ses épreuves et sa mélancolie en instruments musicaux, et livre un témoignage qui ressemble à l’envers de ce que raconte la majorité du gangsta rap. Aussi longue qu’intéressante, aussi urgente à découvrir qu’elle est jusqu’à présent ignorée, la carrière d’A-Wax est parfaitement résumée dans ce dernier album. Les textes introspectifs, le rap chanté et les productions éthérées sont les héritages de la Mob Music qui a marqué ses débuts en 2000 (encore une fois sans citer les noms qui fâchent ^.^) et les sprints de caisses claires et basses saturées sont les apports de la Trap moderne, qu’il pratique depuis que Flockaveli a traumatisé le gangsta rap.

Avec Pullin’ Strings A-Wax a sorti un des meilleurs albums de 2014 (peut-être le meilleur) et un des meilleurs disques de sa carrière (peut-être le meilleur…). En espérant qu’il donne envie au public de découvrir le reste de son immense discographie qui, étendue sur plus d’une décennie, regorge de pépites dans des styles très différents.

illustration : Hector de la Vallée