juvethegreat

Si en 1998 Cash Money flambe autant sur scène, c’est parce que Bryan « Birdman » Williams et son frère Ronald « Slim » auraient négocié un deal stratosphérique. On raconte qu’en prime d’une distribution nationale désormais orchestrée par Universal Music, ils seraient riches de 30 millions de dollars et assurés de récupérer 85% des royalties de leurs disques. Le prix de l’indépendance ?

Pour démontrer que même après avoir rallié une grande major ils sont toujours les Rois de la Nouvelle-Orléans, les frères Williams fêtent l’engraissement de leur compte en banque avec la préparation de disques on ne peut plus louisianais. Il y a d’abord le 400 Degreez de Juvenile, annoncé par le single Ha. Avec son patois que seuls les locaux déchiffrent et ses rythmes bounce cuisinés par Mannie Fresh, Ha est un des tubes rap de l’année 1998, et pour toujours un des hymnes ultimes de la Nouvelle-Orléans.

Aux sonorités typiques, s’ajoute le clip tourné au cœur du quartier de Magnolia. On peut y apercevoir les habitants, y admirer les fresques de Lester Carey, et avoir une idée claire de l’atmosphère chaude et humide des nuits orléanaises. Le pari est réussi pour Cash Money puisque le single s’écoule à plus de deux millions d’exemplaires, préparant le terrain pour la tornade 400 Degreez, certifiée quatre fois Platine un an après sa sortie.

Dans la foulée, B.G. assène le coup final et assoit pour de bon la domination et le style Cash Money. Chopper City In The Ghetto est clinquant et paré de dorures. On croirait que les instruments synthétiques joués par Mannie Fresh essaient de recréer le son des métaux précieux. Entre ces braquages de bijouteries monégasques, quelques titres plus funk ou accompagnés de ritournelles country resituent l’affaire dans la moiteur du Sud.

Mais le titre qui envoie l’album dans la stratosphère est son deuxième single, un hymne à l’outrance, à la surcharge de bijoux et au bruit qu’ils font quand on les secoue sans ménagement : Bling Bling. On y retrouve Juvenile, Turk et aussi Lil Wayne, qui pour le refrain bricole ce mot d’argot qui va faire le tour de planète, jusqu’à forcer l’entrée des langues du monde entier et du Petit Robert.

Avec Bling Bling, B.G. et les Hot Boy$ font honneur au sigle dollar qui trône à la fin de leur nom puisqu’ils aident Chopper City In The Ghetto à franchir la barre du million de ventes.

Pourtant, B.G. avoue détester cette chanson. Les kilos d’or, le champagne et les sols en marbre, ce n’est pas lui, et il se sent mal à l’aise dans l’univers imposé par son label. C’est en partie pour cela qu’il rompt son contrat trois ans plus tard.

illustration : Hector De La Vallée

Lorinsers On Yokahama Tires

Le 13 mars 2013, sous les flashs et les néons d’ambulances, Lil Wayne est admis d’urgence au centre médical Cedars-Sinai de Los Angeles. Alors qu’il dansait pendant le tournage d’une vidéo de la chanteuse Nicki Minaj, une artiste signée sur son label, Lil Wayne s’est soudainement évanoui, avant d’être pris de violentes convulsions.

Les rumeurs sur son état de santé sont inquiétantes, on raconte que la crise est due à sa surconsommation de codéine, l’héroïne liquide qu’il sirote à longueur de journée dans ses grands gobelets en plastique rouge. À moins que ça soit quelque chose qui pousse à l’intérieur de sa tête.

« Ce n’est pas ma première, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième ni septième crise. J’ai eu des tas de crises. Vous n’en aviez juste jamais entendu parler. »

En 1998, Cash Money n’a jamais aussi bien porté son nom. Les artistes du label donnent des concerts luxueux, où chaque détail est là pour rappeler l’opulence dans laquelle ils se répandent. Bryan « Birdman » Williams et Mannie Fresh arrivent sur scène en sortant du cadran d’une Rolex géante ornée de diamants, pendant que tout autour de l’arène, des bouteilles en cristal lancent de grands jets d’eau pétillante pour arroser un public en sueur.

Sur le parking qui sert de coulisses, les Hot Boy$ se préparent à arriver sur scène dans de faux hélicoptères de combat. Faisant suite à Get It How U Live !, leur deuxième album Guerilla Warfare vient d’atteindre le sommet des charts, et les quatre soldats de Cash Money sont décidés à fêter ce succès avec leurs fans.

Mais au moment où les hélicoptères quittent le sol, tirés par un mécanisme de grue, le mélange de chaleur, d’adrénaline et de bruit font entrer le cerveau du jeune Dwayne en ébullition. Pris d’une crise d’épilepsie, Lil Wayne s’évanouit et tombe de l’hélicoptère en plein vol.

Ce jour-là, il devait rapper le single de son premier album solo. Quelques minutes plus tard The Block Is Hot retentit dans le stade, mais sans la présence de son interprète. Les semaines qui suivent, Birdman raconte à la presse que son artiste est simplement malade. Deux mois plus tard, ce premier album entièrement produit par Mannie Fresh – et quasiment vierge de mots vulgaires à la demande de Cita – est certifié disque de platine.

Avec cette crise, Dwayne Carter Jr. a frôlé la mort une seconde fois. À son réveil, le cadet de la fratrie Hot Boy$ sera devenu fils unique, débutera alors la première étape de sa conquête du Monde.

« Parfois j’aimerais simplement partir, mais je dois prendre soin de Ginae, protéger Cita, alors j’essaie et continue de souffrir, mais comment faire quand mes proches continuent de mourir… »

illustration : Hector de la Vallée

hotboys

Ronald et Bryan chevauchent un pick-up en beuglant dans un mégaphone pour motiver leur troupe. Devant eux, quatre adolescents avec des bandanas et des dog tags militaires autour de la gorge courent en récitant des strophes.

« Ferme tes yeux petit haineux, regarde ailleurs. Je fais tout ça pour ma mère, depuis que j’ai perdu mon père », le petit en queue de peloton, c’est Dwayne, qu’il faut désormais appeler Lil Wayne. Il s’est débarrassé du « D » pour ne plus porter le même prénom que ce père biologique qu’il n’a pas connu.

« Je garde mes yeux ouverts et n’ai confiance en personne. De nos jours, tu ne peux même plus croire en tes proches », le parano aux cheveux coupés court s’appelle Tab Virgil Jr. dit Turk. Un gamin des rues que Bryan a découvert alors qu’il rappait pour les dealers aux alentours de la cité Magnolia.

« Montrez-moi un politicien et je verrai un escroc. Montrez-moi un flic qui respecte les règles du jeu, qui ne vous piègent pas avec de la drogue pour vous emprisonner», avec son sourire carnassier recouvert d’or, Terius Gray alias Juvenile est le plus âgé. Il est le rappeur star de Magnolia et l’artiste numéro un de Cash Money Records.

« Tu sais que ce monde est dégueulasse, crois-moi il ne renferme rien de bon. Je me dois d’être grand tout en restant ce petit garçon », en tête du marathon, avec sa voix d’outre-tombe et son regard bridé, pointe Christopher Dorsey, B.G., le grand frère de cœur de Lil Wayne.

Ronald et Bryan font courir leurs artistes en les faisant chanter pour qu’ils travaillent leur souffle et leur endurance. Cash Money est une armée, alors ses artistes sont traités comme de véritables soldats. Ensemble, Juvenile, B.G., Turk et Lil Wayne sont les Hot Boy$, le quatuor le plus bouillant de toute la Louisiane.

Juve et B.Gizzle sont co-leaders du groupe, les rappeurs les plus doués et les préférés des fans. Dwayne endosse le rôle du fantassin porteur d’eau, et admire tellement ses frères de contrat qu’il ne se rend pas compte que du haut de ses quatorze ans, il n’est qu’un faire valoir.

Pour partir sur les routes avec sa nouvelle famille, Lil Wayne doit laisser sa mère seule derrière lui. « Pourquoi tu n’aurais pas un bébé avec quelqu’un, Dwayne ? Dis à leurs mères que je m’en occuperai. Ne t’inquiètes pas. Demande à Toya, tu l’aimes bien, non ? », lui souffle Cita. Dwayne connaît Antonia « Toya » Johnson depuis l’école primaire. Il l’aime bien, mais ce qui compte c’est qu’elle est la seule fille de son âge à accepter de tomber enceinte pour lui.

En 1998, Dwayne devient père d’un bébé fait pour Cita, sa mère, pour ne pas qu’elle s’ennuie sans lui, et pour qu’enfin elle le considère comme un homme. Cette petite fille, il la prénomme Reginae Carter, en hommage à feu Reginald « Rabbit » McDonald.

« Regarde, j’ai un enfant. Je suis jeune, je sais, et tout s’est compliqué quand tu es parti. Mais je gagne des millions avec Baby, alors je garde le sourire. Et je prends soin de ta femme, mon ami. »

illustration : Hector de la Vallée